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Cinema- - Arrêt sur image

Format carré pour triangle humain

Xavier Dolan, le prodigieux cinéaste québécois – 25 ans et déjà cinq films – avait suscité une vague d'applaudissements spectaculaire lors de la première projection, au Festival de Cannes, de son dernier film, « Mommy», en 2014. Retour sur un film formellement audacieux.

Le triangle humain
Le film a été très souvent présenté comme un pendant à son premier film, J'ai tué ma mère, résonnant par contraste avec un thème de prédilection du jeune réalisateur : la relation mère-fils. Si Xavier Dolan avait des envies matricides à 18 ans, c'est à présent un hommage à la maternité qu'il offre à son public. Diane (Anne Dorval), mère exubérante, a une relation fusionnelle avec son fils, Steve (Antoine-Olivier Pilon), un ado survolté et hyperactif qui la tourmente à coup de crises excessives. La voisine, Kyla (Suzanne Clément), qui bégaye suite au traumatisme du deuil de son enfant, rejoint le duo. Trois personnalités brisées se heurtent, et c'est une surprenante complémentarité qui les lie, dans un équilibre inespéré.

Le format carré
Dès le début du film, le spectateur est cloîtré, incommodé par le format étroit du film. Le réalisateur a choisi une forme très peu courante dans le cinéma actuel, le 1: 1, c'est-à-dire un carré parfait. Proche du cinéma des premiers temps, l'ancien standard 1: 33: 1, il en radicalise la verticalité. Les tensions qui éclatent à l'intérieur du cadre retentissent immédiatement sur le spectateur, décuplées par la pression convergente du format. On se sent à l'étroit dans cette dimension d'écran carré. Au début le spectateur imagine que c'est un effet de style ponctuel, il espère un retour rapide à la normale, ne s'expliquant pas exactement son inconfort. Nous sommes habitués à un format horizontal, le fameux cinémascope. Les bandes noires latérales qui empêchent une vision large, ouverte, panoramique, sont des entraves à notre passivité spectatrice.
Simultanément, les personnages sont eux aussi enfermés, captifs à la fois des limites matérielles du plan et des murs abstraits de leurs psychés. Mais, puissant soulagement, après 75 minutes de film dans ces conditions extrêmes, le réalisateur nous libère, littéralement. Alors que les personnages se promènent, en vélo et en longboard, la complicité du triangle relationnel est à son comble et Steve écarte le cadre de l'image, libérant le champ visuel à son maximum.
Fissurant la frontière entre espace fictif et espace de projection, ce geste a parfois été critiqué de trop littéral, ou même de kitsch. Peut-être que c'est en effet le cas, mais pourquoi pas, puisque Xavier Dolan assume cette esthétique ? La forme est au service d'une intensification dramatique, et c'est là un choix de mise en scène des plus osés. La séquence se poursuit sur la musique Wonderwall d'Oasis et s'achève lorsqu'un huissier apporte une lettre qui va à nouveau détruire la courte et précaire harmonie. L'écran se rétrécit alors, pour se dilater quelques scènes plus tard. Mais ce deuxième sursaut d'exaltation est un leurre. L'écran s'étire sur une fresque idyllique, un tourbillon inattendu de bonheur, auquel on se laisse prendre, piégé par son attraction séductrice, et malgré sa démesure qui devient rapidement suspecte. Mais le rêve s'achève et la réalité lui succède, terrible, dans un retour au carré.

L'élan d'empathie
Plus qu'une simple rhétorique maniériste, comme on a pu fréquemment le reprocher à Xavier Dolan, qui abusait des ralentis dans Les amours imaginaires notamment, c'est une audacieuse expérimentation : le mimétisme visuel d'une sensation. Par un pur outil formel – la malléabilité du cadre de l'écran –, le réalisateur reproduit une émotion corporelle d'étouffement sur son spectateur. Il le conditionne ainsi à une réception guidée par la sensibilité. À l'égal des personnages, le spectateur bouillonne et vit à 100 % les excès passionnés d'euphories ou de déchirements. Le concept d'empathie au cinéma a ici atteint son paroxysme.

Le triangle humainLe film a été très souvent présenté comme un pendant à son premier film, J'ai tué ma mère, résonnant par contraste avec un thème de prédilection du jeune réalisateur : la relation mère-fils. Si Xavier Dolan avait des envies matricides à 18 ans, c'est à présent un hommage à la maternité qu'il offre à son public. Diane (Anne Dorval), mère exubérante, a une...

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