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Liban - Le commentaire

Au secours, la proportionnelle revient !

Décidément, cela devient une manie. À peine est-il question depuis quelque temps de la tenue d'élections législatives que, déjà, le spectre de la proportionnelle pointe à nouveau son nez, cette fois-ci à travers les sacs d'ordures jonchant les rues de la ville.


De plus en plus de cadres et de formations politiques, d'ONG, de collectifs de la société civile, d'experts de tout poil, de commentateurs, et jusqu'à monsieur et madame tout-le-monde se laissent persuader que ce mode de scrutin est le plus juste ou en tout cas le seul à même de régénérer la vie politique au Liban... Laquelle, tout le monde est d'accord là-dessus, a bien besoin de l'être.
Il suffit de tendre l'oreille quelquefois face à un écran de télé retransmettant un talk-show politique pour noter combien il est devenu difficile dans ce pays de défendre d'autres modes de scrutin sans passer pour un rétrograde absolu, quand on n'est pas un politicien égoïste. Quelles que soient les motivations des uns et des autres, le flot de ceux qui croient – ou à qui on a donné à croire – que la proportionnelle est un passage obligé vers le changement tant souhaité au Liban grossit de jour en jour.


Sans prétendre le moins du monde clore le débat à ce sujet – à supposer qu'un tel débat existe aujourd'hui dans le pays, ce qui est loin d'être le cas –, il est utile de récapituler sommairement un certain nombre de données de nature à éclairer le sujet et inciter à plus de modération ceux qui veulent à tout prix voir dans la proportionnelle la panacée.

1 – La proportionnelle est reconnue, mondialement, comme étant le mode de scrutin qui traduit le plus fidèlement l'état de l'opinion dans l'arithmétique de la répartition des sièges. Mais, de ce fait, elle représente souvent un casse-tête dans la mesure où elle favorise l'éparpillement des voix et donc la multiplication de ce qu'on appelle les majorités « introuvables » : d'où les gouvernements de coalition qui, lorsqu'ils ne sont pas articulés autour d'un programme clair et restreint, marquent parfois une régression dans la pratique démocratique.
Au Liban, cette problématique est d'autant plus superflue qu'il y a longtemps que, sous prétexte de consensualisme, on a imposé à outrance la tradition des cabinets de coalition. Or l'opinion se plaint à juste titre de l'absence de sanction politique des gouvernants, laquelle constitue, à côté de l'alternance au pouvoir, la seconde mamelle de la démocratie. Mais du moment que tout le monde est au pouvoir, que les concepts de majorité qui gouverne et de minorité qui s'oppose s'estompent et que le gouvernement est transformé en une reproduction en petit du Parlement, on ne voit pas qui va pouvoir sanctionner qui, et cela quelle que soit la façon dont les députés sont élus.
Il ne s'agit donc pas ici d'un problème de système électoral, mais plutôt de gouvernance. L'introduction de la proportionnelle n'y changerait strictement rien.

 

2 – L'un des défauts majeurs et universellement reconnus du mode de scrutin proportionnel est la marge de manœuvre qu'il donne aux états-majors de partis pour leurs jeux politiciens en amont des élections, aux dépens parfois de la volonté des électeurs. Or à cause du système plurinominal (scrutin de liste) en vigueur, le Liban souffre déjà assez du fait que les députés de base sont bien davantage tributaires pour leur élection des chefs de file (les zaïms) qui les ont choisis – et parfois imposés – comme candidats que de leurs électeurs. L'adoption de la proportionnelle aggraverait à coup sûr cette tendance, faisant de près de 120 députés de parfaits « pions » au service de sept ou de huit chefs de file. Ce problème reste bien entendu relatif dans les sociétés où il existe une culture de partis (et non pas du zaïm). Croire que la proportionnelle est susceptible de modifier la culture politique des Libanais, dans un pays où le culte du chef est omniprésent et où les masses sont prêtes à tourner casaque dès que le zaïm change lui-même son fusil d'épaule, c'est pour le moins faire preuve de naïveté.

 

3 – Dans un pays où la culture politique dominante reste d'essence traditionnelle, la seule démocratie possible est une démocratie de proximité. Ce qu'il faudrait, au Liban, c'est faire en sorte que les députés dépendent le plus possible de leur électorat et non pas qu'ils s'en éloignent. Pour cela, il convient que les circonscriptions soient les plus petites possibles. Or la proportionnelle, au contraire, exige de les élargir. Pour nombre de commentateurs, la petite circonscription est un encouragement au clientélisme. Leur erreur est de croire qu'on change la société en changeant le mode de scrutin. La réalité est tout autre : entre petite et grande circonscription, l'alternative proposée n'est pas entre clientélisme et démocratie idéale, elle est simplement entre clientélisme à petite échelle et clientélisme à grande échelle. Plus concrètement, cela voudrait dire qu'on devrait choisir entre un Parlement réservé aux seuls milliardaires et un autre qui serait ouvert aussi aux...millionnaires.

 

4 – La plupart des défenseurs de la proportionnelle au Liban pensent que la mise en place de ce mode de scrutin conduirait à briser le monolithisme politique dominant au Liban, notamment au sein des communautés musulmanes (le pluralisme étant une réalité constante chez les chrétiens). En théorie, oui. En pratique, c'est autre chose. Les législatives de 2009 ont démontré que les conditions de candidature et de campagne électorale ne sont pas les mêmes partout. Certaines régions ont été le théâtre de duels entre deux listes complètes du 14 et du 8 Mars, d'autres pas. Indépendamment des chiffres obtenus par les uns et par les autres, une élection se joue le plus souvent bien avant le jour du scrutin. Sachant que, dans certains cas précis, un candidat potentiel ne peut pas se présenter ou alors mener campagne en toute sécurité, l'adoption de la proportionnelle aboutirait à la configuration suivante : chez les sunnites, une minorité antiharirienne entrerait au Parlement ; chez les chiites, rien ne changerait, non pas parce qu'il n'y a pas d'opposition chiite au tandem Hezbollah-Amal, mais parce que la réalité sur le terrain empêche cette opposition d'exister, électoralement parlant. Pour le moins, ce serait une grave injustice.

 

5 – Enfin, techniquement, la proportionnelle pose un vrai défi dans un système où la répartition des sièges reste tributaire de quotas, en l'occurrence confessionnels. Certes, il existe des procédés permettant de créer l'illusion de la proportionnelle, mais, en réalité, on est dans une majoritaire déguisée du fait que, dans beaucoup de cas, il n'y a tout simplement pas de proportions. (Que signifie, par exemple, l'élection « à la proportionnelle » du seul député chrétien minoritaire du pays ? )
À cela s'ajoute le fait qu'en l'absence de partis démocratiquement structurés, la hiérarchisation des listes est impossible, d'où le nécessaire recours au vote préférentiel (l'électeur devra voter deux fois, une fois pour la liste de son choix et une autre fois pour un ou deux candidats à l'intérieur de la liste choisie)... Encore un reliquat du mode majoritaire.
Sujet à suivre...

 

Pour mémoire

Pour Aoun, « tous les Libanais » veulent la proportionnelle

Décidément, cela devient une manie. À peine est-il question depuis quelque temps de la tenue d'élections législatives que, déjà, le spectre de la proportionnelle pointe à nouveau son nez, cette fois-ci à travers les sacs d'ordures jonchant les rues de la ville.
De plus en plus de cadres et de formations politiques, d'ONG, de collectifs de la société civile, d'experts de tout poil, de...

commentaires (13)

"En réalité, on est dans une majoritaire déguisée du fait qu'il n'y a pas dans certains cas de proportions. (Que signifie, e.g., l'élection « à la proportionnelle » du seul député chrétien minoritaire du pays ? )". Il suffit de doubler le nombre total de députés : Passer de 100 à 200 députés. Déjà le chiffre 128 était surfait....

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 20, le 13 septembre 2015

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Commentaires (13)

  • "En réalité, on est dans une majoritaire déguisée du fait qu'il n'y a pas dans certains cas de proportions. (Que signifie, e.g., l'élection « à la proportionnelle » du seul député chrétien minoritaire du pays ? )". Il suffit de doubler le nombre total de députés : Passer de 100 à 200 députés. Déjà le chiffre 128 était surfait....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 20, le 13 septembre 2015

  • la peur n'a pas sa place parmi les bâtisseurs, mais elle existe chez ceux qui détruisent plutôt !!

    Bery tus

    20 h 59, le 12 septembre 2015

  • PEUR de la proportionnelle ici, hein!? Celle qui donne de la lé-gi-ti-mi-té au VRAI candidat à la présidence de notre pays. Tant pis! Je pense que Le puissant hezb qui a un devoir moral et de justice envers il "watan" Michel Aoun, ne cessera son énorme et indéfectible soutien politique, social et populaire à son allié et ami, que si dernier le lui demandera.

    Ali Farhat

    18 h 07, le 12 septembre 2015

  • La Solution ? Que chaque confession élise ses "propres" représentants au scrutin de liste à la proportionnelle sans tête de liste, dans un Liban circonscription unique.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 00, le 12 septembre 2015

  • Merci pour cette très bonne analyse, Monsieur Fayad. L’association libanaise pour le développement local (ALDL) partage votre avis sur l’inopportunité d’adopter au Liban la proportionnelle. Le mode de scrutin uninominal à deux tours serait celui qui assurerait le mieux la représentativité populaire et le renouvellement de la classe politique.

    Citoyen volé

    11 h 55, le 12 septembre 2015

  • Tant qu'il y a des citoyens dans une région du Liban qui sont interdits de vote, toute discssion à ce sujet est un plat de galets.

    Un Libanais

    11 h 37, le 12 septembre 2015

  • Merci de partager cette excellente analyse. C'est exactement ce qu j'avais appris en Droit Constitutionnel sur l;es modes de scrutins. Nous ne pouvons pas nous permettre un repeat d'un mode de scrutin qui ne nous permet pas de changer notre systeme clienteliste / Zaiimist. Nous ne sortirons jamais de l'auberge pourrie dans laquelle nous nous debatons aujourd'hui. Nous devons en finir avecke systeme de gouvernements de coalition qui nourrit l'absence de sanction par la vraie alternance et donc l'absence de comptes, de gouvernance... Notre avenir est concerne nous sommes tous concernes... a lire absolument et surtout a comprendre.Merci Monsieur Fayad. Nous attendons la suite avec impatience

    Bibette

    11 h 03, le 12 septembre 2015

  • je propose que soit consitue un groupe qui fasse campagne eclairsissant exactement les principaux points de cette analyse et les inconvenients de la proportionnelle. Il suffit d'en parler clairement dans des emissions televisee a large audience, d'en parler sur les reseaux sociaux et en multopliant les articles journaux dans ce sens. Une vraie campagne qui explique la chose personnellement aux chefs de fil du mouvement populaire actuel... je partage deja sur mon FB cette excellente analyse

    Bibette

    10 h 42, le 12 septembre 2015

  • Très bonne analyse. Il faudrait qu'une conference soit organisée a cet effet pour EXPLIQUER et ECLAIRCIR le sujet aux citoyens qui ânonnent et répètent ce que leurs leaders souhaitent.... A mon avis, il est indispensable qu'une telle action prenne place le plus tot possible et qu'elle soit parrainée par les organismes adéquats.

    Tabet Karim

    09 h 59, le 12 septembre 2015

  • La Solution ? Que chaque confession élise ses "propres" représentants.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 53, le 12 septembre 2015

  • 0N DISCUTE DE NOUVEAU DE L,HYBIRE... UNE BATARDE AUX MULTIPLE PARENTS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 30, le 12 septembre 2015

  • Tres bonne analyse

    Fares Paul

    07 h 45, le 12 septembre 2015

  • 100% d'accord! Au Liban, la proportionnelle serait le pire des systèmes car il contribuerait à perpétuer la classe politique que - à juste titre - la société civile rejette. Le seul mode de scrutin valable est le scrutin uninominal à deux tours. Rien d'étonnant d'ailleurs à ce que les partis le refusent, mais le peuple, lui, devrait le réclamer.

    Yves Prevost

    06 h 40, le 12 septembre 2015

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