Un jour, ce seront les étrangers qui auront besoin d'un visa pour venir chez nous... « J'ai beau ne pas avoir les pieds sur terre, préférer voguer dans mes rêves plutôt que de me cogner à la réalité, je n'ai jamais eu cependant l'habileté d'inclure cette hypothèse dans ma cervelle, ne serait-ce que dans mon imagination. Comme des centaines de Libanais, j'ai attendu mon tour pour une demande de visa pendant 2 ou 3 heures de temps. Autour de moi, les gens râlaient et tempêtaient. Certains, plus patients, venaient d'arriver, mais ne tardaient pas à s'impatienter à l'idée de devoir rester immobiles sur une chaise pendant 2 heures, sans évidemment ce qui aurait pu nous sauver de l'ennui : le téléphone, puisqu'ils nous l'avaient pris ! Comme c'est mal organisé !
Et on se demande encore pourquoi la Grèce est dans la crise !
N'osant pas quitter ma place de peur de n'en plus trouver une autre, je me disais que même pour aller dans un pays « en crise », il fallait mendier un laissez-passer avec humiliation. Et pourquoi cette humiliation ?
Notre pays n'était-il pas l'un des plus beaux pays du monde ?
N'avions-nous pas plein de beaux endroits à visiter ? Chez nous, c'est le paradis ! Avions-nous vraiment besoin de nous éloigner pour respirer l'air des vacances ? Partout où nous irons, nous ne pourrons jamais passer une journée à la montagne et à la mer à la fois (ce que personnellement je n'ai jamais fait). Et puisque nous avons de la chance d'avoir une maison à la montagne avec un beau jardin, là où les enfants sont bien, entourés de leurs cousins, là où il fait beau (10 degrés de moins qu'à la ville), là où l'air est frais et propre (loin des odeurs nauséabondes des poubelles de Beyrouth), est-ce vraiment nécessaire de voyager ? »
C'est alors que je revois défiler dans ma mémoire la journée de dimanche dernier qui, pourtant, s'annonçait bien. Comme tous les dimanches, les mariés étaient nombreux à venir pour se photographier dans la région. Nos enfants se réjouissaient d'entendre les klaxons des voitures au loin qui s'approchaient au fur et à mesure et s'éloignaient de nouveau. Quand soudain la fête nous parut plus proche que d'habitude. Des mariés s'approchaient suivis de tout un convoi, mais ne s'éloignèrent plus de sitôt. On aurait dit qu'ils étaient arrivés chez nous à destination !
Musique, applaudissements, klaxons, cris d'extase, tout un vacarme et un brouhaha suivis tout à coup de mille coups de tonnerre. Prise de panique, j'appelai mes enfants qui jouaient tranquillement dans le jardin pour les ramener à l'intérieur. Mon mari essaya de me réconforter : « N'aie pas peur, ce n'est qu'un feu d'artifice. » À peine avait-il prononcé ces mots qu'une fusillade suivit je ne puis dire pour combien de temps. Quelques secondes plus tard, des cris de femmes affolées et des pleurs convulsifs se sont fait entendre de l'extérieur. Quelqu'un avait-il été blessé ou tué ? Les cris ne faisaient qu'augmenter ; toute la famille s'affola, se rendant compte que nos hommes n'étaient pas à l'intérieur. Nos jeunes filles étaient sorties devant la maison pour voir la mariée bien avant les feux d'artifice, et mon mari en entendant les coups de feu est tout de suite sorti pour les voir et se rassurer, bientôt suivi de ses frères. En ouvrant la porte du jardin, il furent tous surpris de voir un feu d'artifice installé juste devant le seuil de notre maison. Les mariés ainsi que leurs parents et amis étaient tous saouls et jetaient leurs bouteilles de bière par terre. Mon mari en colère leur demanda « poliment » de s'éloigner, leur expliquant qu'il y avait des enfants chez nous. Je dis « poliment » car je n'ai pas vu ses yeux à ce moment. Une porte et des feuilles d'arbre nous séparaient de ces gens ivres et armés. Comment garder son sang-froid ? N'a-t-il pas été trahi par son regard de colère et d'horreur en voyant ces criminels qui, selon eux, voulaient fêter et vivre ce mariage à leur guise ? Notre porte ouverte et notre mécontentement ont tout de suite été perçus comme une vraie déclaration de guerre. Un homme brandit son arme, un autre se dirigea vers une voiture pour en sortir une autre.
Conscients de ce qui pourrait suivre, nos hommes prirent soin de refermer la porte pour éviter que leurs enfants, dont l'âge varie entre 18 et 24 ans, ne soient pris pour cible. Ils étaient tous allés voir ce qui se passait, et en voyant leurs pères menacés, se préparaient déjà à la bagarre...
Mes belles-sœurs, chacune s'étant cramponnée au bras de son fils pour le retenir, s'évanouirent presque quand tout le monde se retrouva à l'intérieur sain et sauf et durent avaler plusieurs sachets d'antistress pour se calmer. Un vrai minisketch de
W Halla2 la wein ? de Nadine Labaki : des cris, des hommes prêts à utiliser des armes parce que « les autres » ont commencé et des femmes prêtes à tout pour les arrêter... Voilà donc le Liban des années passées, voilà le Liban de nos jours et voilà le Liban, je le crains, de l'avenir. Cette fois, j'ai eu de la chance. Mes enfants ont moins de dix ans. Il suffit de leur ordonner de rentrer à la maison pour qu'ils obéissent. Mais je n'ai pas pu retenir mon mari. Dieu l'a épargné ! Nous ne pourrons pas fuir le sort qui nous attend, mais sommes-nous prêts à affronter chaque jour un incident pareil ?
Maintenant, nous craignons désormais les klaxons des voitures qui annoncent la fête, et nos petits, au lieu de se réjouir des feux d'artifice, meurent de trouille et viennent se réfugier dans nos bras.
Je retourne à mon siège et à mon numéro à l'ambassade de Grèce : le 423 ! Ça y est. C'est mon tour ! Je me dirige vers le guichet indiqué pour obtenir un visa pour les vacances en me demandant si la prochaine fois je ne serai pas dans une autre ambassade à attendre les papiers pour l'immigration...
Nos Lecteurs ont la Parole - Diana BARBIR BISSAT
Un visa pour le Liban !
OLJ / le 04 septembre 2015 à 01h22
Wallâh habboûbéh hâl Madâme !
11 h 33, le 04 septembre 2015