Après les bagarres, les gardiens de l’AUB exigeaient, sous la protection des agents de la « Brigade 16 », de toute personne désireuse de pénétrer sur le campus sa carte d’étudiant ou de professeur.
Pour la seconde fois en quatre jours, le campus de l'AUB a été le théâtre de violentes bagarres. L'affrontement qui a opposé les nassériens aux membres des groupements de gauche dans la grande salle du West-Hall a fait 13 blessés graves (dont 9 étudiants) et plusieurs dizaines de blessés légers. Le nombre exact de ces derniers n'a pas pu être déterminé, une bonne partie d'entre eux ne s'étant pas adressés à un hôpital afin de recevoir les soins nécessaires.
Certains étudiants blessés ont été appréhendés en sortant de l'hôpital par les agents de la « Brigade 16 » qui se trouvaient en masse devant l'entrée de l'université, rue Bliss, ainsi que devant l'hôpital américain.
Des éléments étrangers à l'université ont participé à la bagarre aux côtés des nassériens. Il s'agit, affirment les étudiants, de membres de la milice de l'Union des forces du peuple travailleur (UFPT, groupement qui affirme détenir l'orthodoxie nassérienne) venus du « fief nassérien » de Aïn el-Mreissé.
L'affaire a commencé au moment où les formations « progressistes » et « démocratiques » de l'AUB s'apparêtaient à tenir, en début d'après-midi, un meeting de soutien aux étudiants du Caire. La séance oratoire avait été organisée par les « Comités d'action pour les libertés démocratiques » (CDLD), les pro-FPLP, l'Organisation de la lutte étudiante et le parti de l'Action. Les pro-Fath ont participé au meeting, auquel avaient été également conviés les Comités d'action de l'UL. L'atmosphère était tendue en raison de l'hostilité manifestée par les nassériens contre l'organisation d'un meeting visant le régime égyptien.
Pour et contre Sadate
Le meeting a commencé par deux interventions, celle d'un représentant des « C.A. » ainsi que celle d'un membre de l'UFPT. Le premier orateur a stigmatisé la politique du régime égyptien et dénoncé l'attitude de M. Anouar Sadate. Le second, au contraire, a défendu le chef de l'État égyptien. Lorsqu'un membre des CDLD a succédé au nassérien, des miliciens de l'UFPT, sur un signe de l'un de leurs chefs, ont tiré de leurs manches des barres de fer et ont attaqué les étudiants de gauche. Ces derniers ont alors reflué et se sont massés dans l'aile nord de la salle commune du West-Hall, leurs adversaires occupant la partie sud.
Là, dans le style d'une véritable bataille rangée et pendant une demi-heure, les deux groupes (une trentaine de nassériens secondés par leur milice et une centaine d'étudiants appartenant aux groupements ayant organisé le meeting) ont échangé des projectiles divers, utilisant tous les objets qui leur tombaient sous la main, vases, chaises, cendriers, tables, etc. Dix étudiants devaient être blessés au cours de cette partie des affrontements. Il s'agit de Adnan Charif (blessé assez grièvement à la tête), Ali Choucair, Mohammad Dajjani, Adel Zantout, Oussama Hamdane, Nassib Bitar, Adnan Charif, Rafic Husseini, Ayman Soubra et Abdel-Latif Rayyane.
Du côté nassérien, on relevait une quinzaine de blessés mais ceux-ci devaient être évacués par leurs camarades. Ces derniers, pressentant en effet qu'ils allaient être cernés par leurs adversaires qui, gagnant peu à peu du terrain, commençaient à engager avec eux des combats au corps-à-corps, ont brisé les carreaux des fenêtres de la salle et pris la fuite à travers les allées du campus. Sept d'entre eux cependant n'ayant pu suivre leurs amis ont été roués de coups, « faits prisonniers », puis transportés à l'hôpital ou livrés à la police. Parmi eux trois chauffeurs de taxis-service, Abdel-Latif Rial, Mohammad Kurayk et un individu portant le nom de Karnib.
Chasse à l'homme
Une partie des étudiants de gauche devait se lancer par ailleurs à la poursuite des fuyards, organisant une véritable chasse à l'homme dans les allées et les bosquets du campus. Des rumeurs (démenties plus tard) sur l'enlèvement d'un étudiant de gauche ayant circulé, les membres des CDLD ont multiplié leurs recherches. Ils devaient retrouver un milicien nassérien et le faire prisonnier. L'individu, lui aussi chauffeur de taxi-service, Sobhi Chérif Mahdi, a été interrogé par les étudiants, puis par le doyen chargé des étudiants, M. Robert Njaïmy, qui devait le livrer ensuite à la police. Une demi-heure plus tard, le calme était revenu sur le campus, mais l'atmosphère était particulièrement tendue et les groupements de gauche organisaient des patrouilles en prévision « d'attaques-éclairs que les nassériens de l'UFPT auraient pu mener à partir de Aïn el-Mreissé ».
En début de soirée, l'administration de l'AUB a publié un communiqué relatant les faits et annonçant que la police enquêtait sur les incidents.
Quant au président de l'AUB, M. Samuel Kirkwood, il a « déploré les incidents » et trouvé « inadmissible l'intervention d'éléments étrangers ». Ajoutant que « la violence n'avait pas de place sur le campus », il a annoncé toutefois qu'il avait « confiance dans les étudiants de l'AUB qui ont un degré de claivoyance et de maturité qui leur permet de séparer le bon grain de l'ivraie et d'œuvrer en vue de réaliser les idéaux en lesquels ils ont foi ».
29 janvier 1972