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Culture - En librairie

Vénus, veuve vive et virevoltante

Après une longue carrière de romancière et de poétesse, Vénus Khoury-Ghata se penche, plus drôle et farfelue qu'éplorée, sur ses compagnons passés. L'écriture au détriment des hommes ?

Vénus-Khoury-Ghata. Photo Catherine Hélie / éditions Gallimard

Elle n'a pas su retenir ses hommes car l'écriture a mangé ses jours, ses nuits et son cœur ? Peut-être, mais elle a bien retenu leur affection et confortablement bénéficié de leur statut ! Un énième opus de fiction revisitant inlassablement le passé familial et sentimental. Avec à la clef une variante sur la solitude féminine. Un livre au titre se voulant accrocheur, mais au fond plus sérieux qu'il n'en a l'air : La femme qui ne savait pas garder les hommes (Mercure de France, 123 pages). Vraiment ?

Parcours littéraire tortueux de Vénus-Khoury Ghata dont les premiers ouvrages, aussi bien poésie, théâtre que romans, étaient pratiquement illisibles. Mais depuis Le fils empaillé (1980) et Vacarme pour une lune morte (1983), sa voix a mué et son écriture s'est gainée d'humour (d'une ingénuité souvent au premier degré, telle cette réflexion : « Un oiseau-mouche a-t-il un crâne pour le fracasser sur la vitre ? »), de sensualité, d'une phrase à la syntaxe plus sérieuse et d'une « orientalité » où couleurs, parfums et folie levantine ont d'amusantes combinaisons. Tout en ne reniant pas sa parité parisienne, installée qu'elle est dans la Ville Lumière depuis 1972.

Aujourd'hui, à 78 ans, toujours aussi théâtrale dans la déclamation que dans ses écrits, elle dresse son bilan affectif et littéraire. Sans acrimonie, avec une certaine ironie mêlée à de la tendresse. Avec un lyrisme excessif et des pointes d'une narration baroque et extravagante. Pour le dire autrement, elle règle un peu ses comptes avec les hommes, surtout ses hommes. Et l'écriture, son nerf moteur, son bol d'oxygène.
Écriture versus compagnons d'une vie. Comme si elle veut faire la part des choses et trier l'ivraie du froment. Et en avoir définitivement le cœur net, équilibrer la balance et accéder à la transparence !

On sait qu'elle a une langue bien pendue dans ses livres, des ongles acérés et toujours bien laqués pour jongler (et griffer) avec les mots et les formules. Vénus est une incorrigible coquette avec sa chevelure teinte en rouquine, sa taille de guêpe malgré le temps (« je mange des yeux », me disait-elle si l'on parlait gastronomie et table richement dressée à faire saliver un diable !), ses tailleurs élégants et ses essences aux arômes pénétrants.

Le procès qu'elle se fait...
On la retrouve par conséquent dans ces pages, sagement assise (un peu comme le personnage de Copi), méditant, non sombrement, mais un peu en vieille radoteuse aux portes d'un délicieux gâtisme qui ne manque ni de piquant ni d'un tamis-réflexion à voilette de légèreté. Mélangeant en toute désinvolture les êtres et les objets, les continents et les pays, les sentiments et les avoirs, les fantasmes et la réalité. Comme toujours, dans les narrations de l'auteure de Cherche désespérément chat, tout est tarabiscoté comme une architecture incohérente qui tient debout du miracle. Pour coucher ses démons ou invoquer ses anges sur papier, l'écriture lui tient lieu de colonne vertébrale et de rambarde contre le mal d'être et de vivre.

On passe outre ses félicités, ses déboires et ses attentes avec ses conjoints ou partenaires de vie, ses hantises d'un frère poète mort dans la tourmente, la dévotion d'une mère aux confins de la sainteté, la tyrannie d'un père au machisme insoutenable, du village de Bécharré accroché au pied des cèdres, terreau de son inspiration, tout cela déjà saga personnelle et thèmes opulemment écumés, rabâchés, et on retient ce procès et constat qu'elle fait (à et d') elle-même.

On écoute la modeste jeune fille née Abdel Sater, qui a depuis fait du chemin, se raconter. Et nous, Libanais d'exil pour une patrie morale de la terre de Molière ou éduqués dans les écoles des missionnaires sous la formule « nos ancêtres les Gaulois », nous nous reconnaissons dans ces propos qui visent juste : « Venue d'ailleurs, tu serais toujours l'étrangère. Tolérée sans plus. Le français écrit par des non-Français de souche, du fruit congelé sans odeur, sans saveur pour certains, démodé pour d'autres, exotique pour les nostalgiques du colonialisme qui collent cette étiquette à tout ce qui n'est pas hexagonal... Appréciée ou rejetée, ta rencontre avec cette langue reste le plus grand événement de ta vie. »

Voilà le verdict. Le vrai. Un verdict doublé d'une vibrante déclaration d'amour. Sans appel. Pour justifier une vie, un choix, un épanouissement, un accomplissement, une liberté. Tout le reste est littérature.

*La femme qui ne savait pas garder les hommes de Vénus Khoury-Ghata (Mercure de France, 123 pages) est disponible à la librairie al-Bourj.

 

Pour mémoire
Douze écrivains libanais (re)font les mots du monde

Une narration rocambolesque signée Vénus Khoury-Ghata

Exercice de style, de Yasmine Ghata, pour une mère romancière...

Elle n'a pas su retenir ses hommes car l'écriture a mangé ses jours, ses nuits et son cœur ? Peut-être, mais elle a bien retenu leur affection et confortablement bénéficié de leur statut ! Un énième opus de fiction revisitant inlassablement le passé familial et sentimental. Avec à la clef une variante sur la solitude féminine. Un livre au titre se voulant accrocheur, mais au fond plus...

commentaires (2)

Pour atteindre au parfait calme de la Raison, il faut avant tout se débarrasser de l'amour. L'amour est 1 passion, et rien n'est plus dangereux pour la raison que la passion. À l'occasion de cette "fiction", la Vénus cède donc à cet "enfantillage" qu'on appelle l'amour. Quelle horreur, quelle abomination ! Voilà de quoi exciter la rage de la Raison, lui faire tourner la bile et même perdre la tête et la Raison ! L'amour est 1 dieu cruel qui, semblable aux autres divinités, veut posséder la femme toute entière et n'a de cesse que la femme lui ait sacrifié non seulement son âme, mais encore son Moi physique. Le culte de l'amour, c'est la souffrance, et l'apogée de ce culte, c'est le sacrifice de soi. Pour pouvoir métamorphoser l'amour en un diable de chair et d'os, la Raison commence par en faire un dieu. Devenu dieu, i.e. objet théologique, il relève naturellement de l’exégèse de la théologie, et tout le monde sait d'ailleurs qu'il n'y a pas loin de dieu au diable. La Raison fait de l'amour un dieu, et qui plus est un "dieu cruel", en substituant à la femme aimante, à l'amour de la femme, la femme de l'amour ; en détachant de la femme "l'Amour" dont elle fait un être particulier et en lui conférant 1 pure existence indépendante. Par ce simple processus, par cette métamorphose de l'attribut en sujet, on peut donc "raisonnablement", n'est-ce pas, transformer toutes les déterminations essentielles et toutes les manifestations essentielles de la femme en monstres et aliénations !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

02 h 25, le 25 août 2015

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Commentaires (2)

  • Pour atteindre au parfait calme de la Raison, il faut avant tout se débarrasser de l'amour. L'amour est 1 passion, et rien n'est plus dangereux pour la raison que la passion. À l'occasion de cette "fiction", la Vénus cède donc à cet "enfantillage" qu'on appelle l'amour. Quelle horreur, quelle abomination ! Voilà de quoi exciter la rage de la Raison, lui faire tourner la bile et même perdre la tête et la Raison ! L'amour est 1 dieu cruel qui, semblable aux autres divinités, veut posséder la femme toute entière et n'a de cesse que la femme lui ait sacrifié non seulement son âme, mais encore son Moi physique. Le culte de l'amour, c'est la souffrance, et l'apogée de ce culte, c'est le sacrifice de soi. Pour pouvoir métamorphoser l'amour en un diable de chair et d'os, la Raison commence par en faire un dieu. Devenu dieu, i.e. objet théologique, il relève naturellement de l’exégèse de la théologie, et tout le monde sait d'ailleurs qu'il n'y a pas loin de dieu au diable. La Raison fait de l'amour un dieu, et qui plus est un "dieu cruel", en substituant à la femme aimante, à l'amour de la femme, la femme de l'amour ; en détachant de la femme "l'Amour" dont elle fait un être particulier et en lui conférant 1 pure existence indépendante. Par ce simple processus, par cette métamorphose de l'attribut en sujet, on peut donc "raisonnablement", n'est-ce pas, transformer toutes les déterminations essentielles et toutes les manifestations essentielles de la femme en monstres et aliénations !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    02 h 25, le 25 août 2015

  • À la poétesse que j'apprécie Madame Vénus Khoury Ghata je dédie ce poème car il porte son nom. À divaguer vous vous amusez, ô ma belle. N'oubliez pas : les vers sont la langue des dieux. N'oubliez surtout pas qu'une Muse Immortelle Entend chanter en vers et non en mots odieux. SUR UN POÈME PARU DANS L'ORIENT DES ANNÉES SOIXANTE ET INTITULÉ : VÉNUS. Faire naître Vénus d'un reflet de lumière, D'un océan paisible où dort le vent du soir, De l'haleine amoureuse aux vagues de l'espoir, Ou d'une longue nuit si profonde et si claire, De la berge argentée où danse une sorcière ; Son obscur mysticisme est insondable et noir ; Ou du ciel orageux d'un étrange miroir ; Mais qu'elle naisse enfin sans larme ni prière. Pauvre Vénus ! Hélas, je m'inquiète pour Elle, Car dépeinte en des mots où le mesquin se mêle À l'art assassiné des vers appelés blancs ; Vous, qui pondez ces vers marâtres, ô ma belle, Au nom du ciel ! J'insiste : Arrêtez vos façons, De confondre entre vers et vilains hameçons.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 05, le 24 août 2015

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