À peine signé, l'accord sur le nucléaire iranien suscite les commentaires les plus variés dans les communautés d'affaires à Téhéran. Chacun va de sa petite analyse. Les uns parient qu'il ne va pas passer, les autres rétorquent que c'est déjà fait. Tous sont unanimes que l'Iran a déjà obtenu un blanc-seing de la communauté internationale et que le sort de l'accord n'a plus aucune importance. Chez les Libanais, c'est l'impact de l'accord sur le Liban qui provoque les débats. Chez les plus optimistes, l'accord va débloquer la présidence et déclencher automatiquement un retour de la confiance. Laquelle, comme par magie? va stimuler les flux de capitaux vers les banques libanaises qui? fortes de leur savoir-faire légendaire, vont les réinvestir dans les bons du Trésor et l'immobilier. Ce qui aura pour résultat, selon eux, la remontée des prix des actifs et la relance de l'économie. Pour les autres, l'accord sera cantonné au volet nucléaire et ne servira qu'à rebloquer une présidence dans tous les cas bloquée.
Sauf que tout le monde se trompe. Car c'est à Beyrouth et non pas à Vienne, Téhéran, Washington ou a Riyad que se joue l'avenir du Liban. Celui-ci dépend moins de l'élection d'un président fantoche par un Parlement discrédité que de l'élaboration d'un plan libanais de sauvetage du Liban. La République Libanaise est née de l'incapacité des politiciens libanais de concevoir une nation. Elle est en train de périr par leur incapacité de créer un État. Il faut donc aujourd'hui reprendre l'État où il a été abandonné sous le poids de la facilité, de la cupidité, de l'aveuglement, et des égoïsmes privés et tribaux. Recommencer par le commencement est le dur impératif du moment. Mais où commence le commencement ? Par la mainmise des milices sur les institutions de l'État au début des années 90 ? Par la mainmise des banques sur ses ressources bar le biais d'un financement bancaire à des taux d'intérêt outrageusement élevés ? Par le dépérissement planifié de l'État central et la sous-traitance de ses activités à des institutions et des caisses fortement politisées ? Par le transfert de tout ce qui est profitable aux chefs politiques et à leur clientèle ? Par la privatisation et le partage de l'argent des déchets et la socialisation des déchets eux-mêmes ? Par la capture du Parlement, de la justice, des médias ? Il est assez facile de pousser des cris de détresse pour prévenir le suicide économique ; plus difficile d'expliquer aux gens que le suicide économique était programmé par avance dans les gênes de ce même système économique quand les recettes publiques annuelles sont cannibalisées par les intérêts des dettes à hauteur de 42 %, par les salaires et retraites à hauteur de 48 % et par les transferts à EDL à hauteur de 20 %. Et quand la constitution de réserves en monnaies étrangères est le résultat d'une course effrénée à l'emprunt public qui ressemble chaque jour un peu plus à une insoutenable fuite en avant. Il est de même assez habile politiquement de pousser des cris pour la protection des droits des chrétiens, de proposer un référendum pour l'élection du maronite le plus fort comme président ou de répéter à tout bout de champ que l'élection d'un président est la clé de la solution ; mais ça ne marche plus. Le peuple résigné sait qu'il vit dans l'imposture, mais ne réagit pas parce que, au fond, il n'attend plus rien de sa classe politique. Il souffre de la pesanteur de cet État sans gravité, d'autant plus nocif qu'il est tiraillé par des despotismes désincarnés et fédérés (ou confédérés, qu'importe).
On aurait été plus convaincu des qualités d'hommes d'État de nos politiciens locaux s'ils avaient profité de la crise pour mobiliser le peuple libanais, un peuple magnifique mais magnifiquement léthargique, pour prendre son destin en main. En faisant adopter par le peuple, selon les divisions les plus représentatives de ses composantes et par référendum, d'un plan draconien d'éradication de la corruption, de la lutte contre les inégalités criantes, de la lutte contre les détournements des biens publics pour la satisfaction des intérêts privés, de la lutte pour une citoyenneté laïque et éclairée, pour une politique écologique moins insoutenable, pour une justice impartiale, pour des médias moins dépendants, pour une politique d'immigration choisie, pour une politique plus décente, pour une politique fiscale en faveur de la production, pour une vraie politique énergétique et une véritable relance économique. Faute de courage pour regarder en avant, on ne cesse de mentir au peuple sur son passé et de ne lui offrir que la mendicité permanente comme alternative pour retarder les échéances : l'échéance principale étant devant nous : à savoir celle de l'effondrement de la République communautaire libanaise sous le poids de sa propre légèreté.
Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ
Recommencer par le commencement
OLJ / le 12 août 2015 à 00h00