Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Sagi SINNO

Étrange étrangeté

«Knefeh ou omelette, Monsieur?» Le ton expéditif de la question décolla ses lourdes paupières, le turquoise de l'uniforme les écarta. Bien attaché dans le siège de la métamorphose kafkaïenne, il s'abandonne à ce tour de magie où un simple vol fusionne les deux lettres d'un préfixe et chamboule, de ce fait, tout un statut. Il vient d'embarquer croulant sous sa condition d'immigré. Il débarquera, quelques heures plus tard, en se voyant pousser les ailes de la fierté d'un émigré.
La voix de l'hôtesse sonna la fin du rêve. Il rentre au Liban. Non, plutôt il y retourne. Pour quelques jours. Disons qu'il y voyage, enfin, qu'il y va. Plus les années passent, plus il se perçoit comme touriste dans sa terre natale. Habitué à être l'éternel étranger dans un pays d'accueil, il est surpris de se sentir maintenant étranger dans son pays d'origine. Une fois sur place, il s'affole, dépense et se dépense en essayant de retrouver dans l'écume de la mer, d'une tasse de café ou d'une boîte de labneh, celle des jours où il vivait encore au Liban. Mais rien n'y fait. Malgré toute la familiarité du houmous au cumin, il inaugure, à l'instar de L'Étranger de Camus, son propre « cycle de l'absurde ». Chaque nouvelle visite à son pays d'origine lui révèle davantage que la rupture entre eux est, désormais, consommée.
En dépit des retrouvailles et de la convivialité exceptionnelles, les gens lui paraissent très angoissés. L'atmosphère est chargée d'une telle tension, d'une telle agressivité, qu'une déflagration générale semble imminente, ultraviolente et, peut-être même, secrètement désirée dans l'inconscient collectif. Comment un pays qui était habitué, pendant des décennies, à monopoliser sur son sol la guerre, ses misères et son lot de victimisation va-t-il pouvoir s'adapter à l'idée qu'il jouisse actuellement, dans la région, de l'exclusivité d'une paix relative ? Cela paraît trop beau pour être vrai. Cela ne pourrait durer. La génération de la guerre civile chercherait une catharsis, même malsaine, qui pourrait enfin la libérer de cette attente anxieuse, alléger le poids d'une pseudoculpabilité par omission et, surtout, la rassurer face à une aliénation existentielle par rapport à son passé. Depuis 2011, la vie au pays du Cèdre se résume à une chronique d'une explosion annoncée. La violence sociétale, elle, est omniprésente: dans la rue, entre conducteurs, dans les faits divers qui se multiplient à un rythme et une intensité effrénés, dans les propos des charognards qui se frottent les mains devant des scènes de torture « justifiée » ou qui salivent aveuglément devant une peine de mort « nécessaire». Le Liban lui parut rapidement comme une énorme boule de nerfs. Elle enfle au rythme d'une boule de neige. De quoi avoir une boule permanente dans la gorge.
À peine sorti de l'aéroport qu'il se sentit dans Carlito's Way de Brian de Palma, où « tu cherches désespérément une tête qui n'ait pas changé, un visage qui te reconnaisse encore, qui te regarde comme avant ». Il réalisa rapidement que le sentiment d'étrangeté qu'il éprouve ne provient pas du changement appréhendé mais, au contraire, du fait que le pays est resté un peu trop fidèle à lui-même. Avec son traditionnel «tous pareils, tous pourris», la société préfère encore fermer les yeux sur ce qui la regarde : les tours-champignons qui imitent les barreaux d'une vaste prison pour bien asphyxier la capitale, les montagnes urbaines de poubelles qui portent leur manteau blanc de chaux en plein été ou, plus généralement, ses droits les plus élémentaires. En revanche, toujours aussi envahissante, cette société n'a pas froid aux yeux devant tout ce qui ne la regarde pas. La sphère de l'intime se rétrécit comme une peau de chagrin sous les salves continues de a'abelik, nefrah mennak, toujours pas d'enfants? Et le deuxième, c'est pour quand?! Par ailleurs, il ne peut pas nier l'excellence du secteur privé, ni son haut degré de professionnalisme, encore moins son efficacité. Il est fier et friand des services proposés. Mais l'esprit mercantile, qui domine, demeure la taxe morale exorbitante de cette excellence. Lui a changé. Pas le Liban.
Cet été, il est déçu. Déçu d'avoir stressé toute une année pour avoir droit à des vacances aussi stressantes. Déçu d'être aliéné dans son propre pays qui, du coup, ne serait plus vraiment le sien? Mais, par-dessus tout, déçu à cause d'un sentiment d'étrangeté par rapport à lui-même. Il a honte de ce qu'il serait devenu : un snobinard condescendant aux narines sensibles, qui se permet de juger une société qui le reçoit toujours, malgré toutes ses plaies, à bras ouverts; un grand insatisfait qui, maintenant, jette une pierre dans le puits qui a longtemps soulagé sa soif. L'image que lui dévoile le miroir poli par l'authenticité de ses racines le bouleverse et le terrifie. Alors vite, il fuit cette nouvelle étrangeté pour une autre à laquelle il est déjà habitué. Au revoir, à l'année prochaine, comme d'habitude. Ou, finalement, peut-être pas.

Sagi SINNO

«Knefeh ou omelette, Monsieur?» Le ton expéditif de la question décolla ses lourdes paupières, le turquoise de l'uniforme les écarta. Bien attaché dans le siège de la métamorphose kafkaïenne, il s'abandonne à ce tour de magie où un simple vol fusionne les deux lettres d'un préfixe et chamboule, de ce fait, tout un statut. Il vient d'embarquer croulant sous sa condition d'immigré. Il...
commentaires (3)

Il faut à tout prix purger toutes humeurs peccantes. Et inviter, en ces heures déprimantes, à pratiquer 1 catharsis. Surtout si de successifs traumatismes compromettent l’indispensable attachement au "fabuleux libaniiisme", lequel reste ; qu'on le veuille ou non ; structuré par toutes sortes d’indigènes sectaristes. I.e. par des conFréries d’énergumènes qu’on a certes some raisons de vouer aux gémonies, mais qui sont encore + néfastes évanescentes qu’existantes. Car le désabusement ne doit pas faire négliger que toute alternative à ce styyyle de libanisme, est la si dangereuse "libânnerie" à laquelle les fautes de ces sectaires confèrent, de façon récurrente, des regains d'engouement. Il est patent que la tentation de tant flatter ce libanisme se manifeste à la moindre nulle opportunité. C'est ainsi d’1 maronitique, qui pense que some émigrés diasporiques suffisent pour mettre tout chrétien à l'abri dans ce pays. Ou 1 druzizte, dont la fine opinion sur toutes choses s'adapte docilement sur celle d'1 brutal conSeil bää bää bääSSyrianique. Ou encore 1 sunnitique, qui profère cette aberration que "jamais son sunnitique n'a à s'excuser des décisions qu'il prend." Si, si ! Sans compter 1 chïïtique qui, lui, yâ hassirtîîîh, évoquant sa résistancielle, yîîîh ; alors qu'il subsiste des doutes sur n’importe quelle culpabilité, pareille ; avance ce tarabiscotage glaçant :"Faut obligatoirement tenir compte du fakkîIranàRienisme de nos si chers.... sé(yy)ides sourds et non-voyants." !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 32, le 06 août 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Il faut à tout prix purger toutes humeurs peccantes. Et inviter, en ces heures déprimantes, à pratiquer 1 catharsis. Surtout si de successifs traumatismes compromettent l’indispensable attachement au "fabuleux libaniiisme", lequel reste ; qu'on le veuille ou non ; structuré par toutes sortes d’indigènes sectaristes. I.e. par des conFréries d’énergumènes qu’on a certes some raisons de vouer aux gémonies, mais qui sont encore + néfastes évanescentes qu’existantes. Car le désabusement ne doit pas faire négliger que toute alternative à ce styyyle de libanisme, est la si dangereuse "libânnerie" à laquelle les fautes de ces sectaires confèrent, de façon récurrente, des regains d'engouement. Il est patent que la tentation de tant flatter ce libanisme se manifeste à la moindre nulle opportunité. C'est ainsi d’1 maronitique, qui pense que some émigrés diasporiques suffisent pour mettre tout chrétien à l'abri dans ce pays. Ou 1 druzizte, dont la fine opinion sur toutes choses s'adapte docilement sur celle d'1 brutal conSeil bää bää bääSSyrianique. Ou encore 1 sunnitique, qui profère cette aberration que "jamais son sunnitique n'a à s'excuser des décisions qu'il prend." Si, si ! Sans compter 1 chïïtique qui, lui, yâ hassirtîîîh, évoquant sa résistancielle, yîîîh ; alors qu'il subsiste des doutes sur n’importe quelle culpabilité, pareille ; avance ce tarabiscotage glaçant :"Faut obligatoirement tenir compte du fakkîIranàRienisme de nos si chers.... sé(yy)ides sourds et non-voyants." !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 32, le 06 août 2015

  • QUE DU VRAI ! MAIS LE PAYS N'EST PAS RESTÉ CE QU'IL ÉTAIT... çA A EMPIRÉ !

    LA LIBRE EXPRESSION. LA PATRIE EST EN DANGER.

    09 h 58, le 06 août 2015

  • Archi-vrai, ultra triste et si bien décrit ! Merci.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 34, le 06 août 2015

Retour en haut