Des Kurdes brandissant le portrait d’un de leurs militants, Gunay Ozarslan, tué au cours d’affrontements avec la police turque, à Istanbul. Ozan Kose/AFP
Depuis quelques jours, la Turquie propose la mise en place d'une zone de sécurité au nord de la Syrie, qui aurait pour principal objectif d'apporter un soutien aux rebelles « modérés » syriens pour déloger les membres de l'organisation État islamique (EI) le long de la frontière turque. La Turquie, qui a accueilli avec circonspection l'action de la coalition mise sur pied par les États-Unis, a opéré un revirement stratégique à la suite de l'attaque, qui a fait 32 morts le 20 juillet, attribuée à l'EI lors d'un rassemblement prokurde à Suruç, près de la frontière syrienne. Ankara a finalement accepté de mettre à disposition de la coalition ses bases aériennes et a bombardé les cibles de l'EI. Cependant, la déclaration du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu sur une convergence américano-turque pour apporter une couverture aérienne aux « forces modérées » en conflit avec l'EI est à prendre avec précaution, car jusque-là rien n'atteste qu'un deal ait été conclu entre les deux pays. La lecture de l'évolution des rapports de force en Syrie porte à croire que les seuls alliés fiables des Américains demeurent les forces kurdes.
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Les réserves américaines
La première raison qui expliquerait la réticence de Washington à donner son feu vert à la Turquie pour la constitution d'une zone de sécurité serait l'absence de forces terrestres modérées du point de vue américain. Le programme d'entraînement de ces forces en Syrie, lancé par le Pentagone avec pour objectif d'augmenter les capacités défensives de l'opposition, de stabiliser les zones sous le contrôle de l'opposition et de combattre l'EI, est toujours au point mort. Des sources sécuritaires avaient déjà fait état, il y a quelques semaines, de l'incapacité à trouver des candidats acceptables dans le cadre de cette mission ; parmi les milliers de candidats proposés par la Turquie, seules quelques centaines n'étaient pas fichées aux États-Unis, et seuls 60 noms ont été retenus. Cette difficulté à recruter des effectifs « modérés » est éloquemment illustrée par la parution dans le quotidien américain Washington Post de la note de Labib Nahas, un dirigeant d'Ahrar-el-Cham, lié à el-Qaëda, qui affirme que « l'extrémisme de l'État islamique ne sera vaincu que par une alternative islamique, sunnite et modérée qui sera choisie par les Syriens et non par la CIA », offrant ainsi indirectement les services de son groupe à l'administration américaine. Le 21 juillet, le Pentagone a également annoncé que le chef du groupe Khorassan, affilié à el-Qaëda, Mohsen al-Fadhli, a été tué dans un bombardement américain début juillet près de Sarmada, dans le nord-ouest de la Syrie. Jusqu'à 7 millions de dollars de récompense avaient été offerts pour sa capture. Dans leur intérêt stratégique, il semble que les Américains aient progressivement misé sur la force kurde ascendante en lieu d'une opposition modérée jusque-là introuvable.
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Le pari kurde en voie de réalisation
Si des membres de l'EI ont repris lundi soir trois quartiers de la ville kurde syrienne de Aïn el-Arab (Kobané), le rapport de force évoluait jusque-là à la faveur des Kurdes sur le terrain. Les Américains ont donc parié sur la combativité des Kurdes de Syrie du YPG (la branche armée du parti de l'Union démocratique – PYD) qui sont seuls à mener la bataille contre l'EI. L'objectif des Kurdes syriens est de relier les trois cantons du Nord : Djézireh, Tell Abyad et Afrine. Ce dernier se trouve plus à l'ouest ; il nécessite le contrôle du passage de Jerablus, de 60 km de long et 40 km de profondeur, et constitue la dernière étape à la réalisation du projet kurde. De Aïn el-Arab à Afrine, les Kurdes auraient alors la mainmise sur les 900 km de frontière avec la Turquie. Or, d'après nombre d'observateurs, il est peu probable que les unités militaires turques concentrées le long des frontières syriennes interviennent dans la zone de Jerablus-Manbij, contrôlée par l'EI, si les Kurdes atteignent ce passage vital. Face à la faiblesse du régime syrien, avec la garantie que les Turcs n'interviendront pas au sol et bénéficiant de l'appui américain, les Kurdes pourraient bouleverser le rapport de force et aller au-delà du projet d'autoadministration initialement programmé.
Dans cette configuration, les Turcs deviendraient rapidement les grands perdants. Ils auraient rejoint la coalition sans obtenir la mise en place d'une zone de sécurité, et, comme l'a laissé entendre le patron de la coalition internationale, John Allen, en renonçant à la condition préalable de bombarder le régime de Bachar el-Assad, sans pour autant parvenir à contenir les ambitions kurdes.
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JOUER A L,HERCULE... SANS LE VRAI SUPPORT GARANTI MASTODONTIEN... RISQUE FORT LA DEBANDADE !!!
11 h 57, le 29 juillet 2015