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Moyen Orient et Monde - Décryptage

La Turquie bombarde l’EI... mais à ses conditions

La Turquie, longtemps accusée de complaisance à l'égard de l'État islamique (EI), a fini par opérer un changement stratégique vis-à-vis de l'organisation jihadiste en bombardant ses positions. Comment expliquer ce revirement stratégique ? Les Turcs sont-ils encore en train de poursuivre leur objectif principal de renversement du régime syrien, ou se sont-ils engagés dans un deal à court terme qui met en péril leur entreprise ?

Dans le quartier de Gazi, des affrontements ont opposé les forces de l’ordre à des manifestants qui dénonçaient la mort vendredi d’une militante d’extrême gauche de confession alévie, une minorité musulmane libérale, lors d’une opération de police. Ces heurts ont conduit à la mort d’un policier, a rapporté l’agence de presse Anatolie, proche du gouvernement. Bulent Kilic/AFP

La Turquie, présentée comme le fer de lance de la lutte contre le régime syrien du fait de son soutien actif aux groupes armés de l'opposition, s'est vu reprocher par ses alliés occidentaux sa connivence avec le groupe État islamique (EI) dans son opposition aux forces kurdes. Ankara, qui partage une frontière de 900 kilomètres avec Damas, a en effet longtemps servi de base arrière pour les combattants de Nosra et de Ahrar el-Cham, et a été fustigée pour son attitude attentiste et troublante au moment où les Kurdes du PYD (branche syrienne du PKK) combattaient l'EI à Kobané. Si cette passivité a pu se justifier notamment par la volonté turque d'affaiblir le régime de Bachar el-Assad et de contenir les velléités autonomistes kurdes, elle n'en a pas moins irrité son allié américain, dont l'objectif déclaré est celui d'une guerre « totale » contre l'EI. Aussi Washington a-t-il apporté un soutien au Parti de l'union démocratique (PYD) qui administre le Kurdistan syrien depuis trois ans, en fournissant depuis décembre 2014 des armes au PYD sous la stricte condition qu'elles ne soient pas redistribuées au PKK (Parti du travail du Kurdistan) turc, qui figure sur la liste terroriste des États-Unis. Le PYD et le PKK constituent cependant une seule et même organisation « terroriste » pour Ankara.

(Lire aussi : La Turquie risque de s'enfoncer plus dans le bourbier syrien)


Dans un contexte où le rêve d'unité des trois cantons kurdes en Syrie pourrait se concrétiser, et face au dérapage de la situation sécuritaire interne et à l'évolution du rapport de force global régional, il semble que les Turcs aient fait le choix de conclure un accord avec l'administration Obama. Un accord qui fait de la Turquie une pierre angulaire de la lutte contre l'EI en permettant aux avions de la coalition d'utiliser ses bases aériennes. Mais en contrepartie de quoi ?

Gagnant-gagnant ?

Lundi, un attentat visant des jeunes recrues sur le point de se rendre à Kobané, ville aux mains de l'EI, avait causé la mort de 31 personnes. Ces attaques expliquent probablement le revirement de position d'Ankara, même s'il était déjà observable depuis quelque temps. À la suite de ces attaques, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a eu une conversation téléphonique avec son homologue américain, Barack Obama, qui marque un tournant stratégique pour la politique turque en Syrie. La Turquie a accepté de s'investir davantage dans la lutte contre l'EI et de laisser les avions de la coalition utiliser ses bases aériennes, ce que les alliés d'Ankara réclamaient depuis déjà des mois.

Du fait de la proximité des bases turques avec le territoire syrien, les membres de la coalition vont pouvoir effectuer des opérations moins coûteuses et plus opérationnelles. Mais qu'a obtenu M. Erdogan en contrepartie de cette faveur ? Les Américians ont-ils accepté, comme les Turcs le laissent entendre, l'idée d'une zone d'exclusion aérienne au nord de la Syrie et la possibilité d'une intervention turque pour créer une zone tampon entre les cantons kurdes de Syrie ? Les officiels américains répondent par la négative, mais il semble que, du côté turc, l'appui concret à la coalition internationale en Syrie ne s'est traduit qu'après l'acceptation des garanties américaines visant à empêcher la création d'une zone autonome kurde en Syrie et la possibilité de mettre en place une zone tampon dans le nord de la Syrie, qui servirait de base à l'opposition syrienne.

(Lire aussi : À Hassaké, soldats syriens et Kurdes font front commun face à l'EI)

Dans tous les cas, après avoir fait un pas en avant dans son engagement dans la coalition internationale, la Turquie s'est empressée de faire un pas en arrière en bombardant les positions du PKK, alors que les Kurdes du PYD (proche du PKK) sont les principaux alliés de l'Occident dans la lutte contre l'EI. Un bombardement qui attise un peu plus les tensions entre les différents acteurs et qui remet sérieusement en question le processus de paix entre Ankara et le PKK. La lutte contre l'EI n'est-elle qu'un alibi pour affaiblir le PKK et ses alliés, et pour, à terme, empêcher le projet d'union des trois cantons kurdes syriens ?

Dérivatif

Pour Richard Labévière, expert en questions stratégiques, « cet accord a été négocié avec les Turcs dans un contexte où Erdogan se trouve dans une situation périlleuse puisqu'il ne parvenait pas à former un gouvernement d'union nationale. La situation syrienne est utilisée comme dérivatif, Erdogan a besoin d'un sursis et le soutien de l'administration Obama est important dans cette configuration ». Cette position s'est avérée payante dans la mesure où le président du principal parti de l'opposition turque s'est dit prêt, hier, pour la première fois, à participer « dans l'intérêt de la Turquie » à un gouvernement de coalition avec le parti islamo-conservateur du président Erdogan.

Selon M. Labévière, ce deal s'inscrit également dans le cadre du changement de rapport de force global et les retombées positives de l'accord sur le nucléaire avec l'Iran, où « Saoudiens, Israéliens et Turcs doivent tenir compte de la nouvelle donne et tenter d'assouplir leur position en ce sens que les situations sont moins antagonisées ». Dans ce contexte, les raids aériens turcs contre le PKK irakien ont été justifiés hier par la Maison-Blanche au risque de remettre en cause le cessez-le-feu précaire entre les deux parties en vigueur depuis 2013. Le vice-conseiller à la Sécurité nationale, Ben Rhodes, qui accompagne le président américain Barack Obama dans sa visite au Kenya, a rappelé depuis Nairobi que les États-Unis considéraient le PKK comme une « organisation terroriste » et estimaient que la Turquie avait « le droit de mener des actions contre des cibles terroristes ».

In fine, si l'objectif demeure inchangé pour la Turquie, ce deal manifeste l'infléchissement de la position turque. L'équation « pas de bombardements de l'EI sans bombardements du régime syrien » a été remplacée par l'équation « pas de bombardements contre l'EI sans bombardements contre les Kurdes ». Tout cela sans confrontation directe avec le régime Assad. La complexité de la situation turque, qui doit gérer, dans le même temps, une luitte contre trois ennemis (Assad/ les Kurdes du PKK/ l'EI) explique en partie ces revirements politiques. Revirements à haut risque pour Ankara : d'une part, le risque d'un mouvement de contestation de la part des Kurdes de Turquie (plus de 15 millions de personnes) ; d'autre part, le risque d'attentats de l'EI qui dispose de cellules dormantes en Turquie.


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commentaires (2)

BOMBARDE L'EI... MAIS LES KURDES RECOIVENT LES COUPS !!!

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 02, le 27 juillet 2015

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Commentaires (2)

  • BOMBARDE L'EI... MAIS LES KURDES RECOIVENT LES COUPS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 02, le 27 juillet 2015

  • L'equation est simple . Moi occicon , je t'ordonne a toi erdocon de laisser passer les bacteries que je t'envoie , vers la Syrie et l'Irak, et je ferme l'oeil sur tes faceties . Ensuite moi occicon , je soutiens les kurdes que tu combats pour un etat futur. Enfin , moi occicon, te vois dans la merde , mais demerde toi tout seul . Conclusion , eh oui , je ne suis pas occicon que ca avec des larbins comme toi .Demande a ceux qui m'ont essaye avant toi .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 52, le 27 juillet 2015

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