Le nucléaire, rien que le nucléaire ? À en croire les différentes déclarations des diplomates présents à Vienne, les négociations entre l'Iran et les 5+1 (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et Chine – plus l'Allemagne) concernent uniquement la question du nucléaire. À ce niveau-là, le deal est très clair même si plutôt technique : l'Iran est empêché d'acquérir l'arme atomique en contrepartie de quoi les 5+1 acceptent de lever les différentes sanctions mises en place à son encontre. Une parfaite « win-win situation », comme disent les Américains. Les nombreux détails techniques comme le nombre de centrifugeuses, le rythme de la levée des sanctions ou encore la possibilité pour les membres de l'Agence Internationale de l'énergie atomique (AIEA) de contrôler les sites iraniens sont autant de gages de garanties d'un côté comme de l'autre. Mais ils ne suffisent pas à comprendre ce qui se joue réellement à Vienne, au-delà de l'accord sur le nucléaire, à savoir : le retour de l'Iran dans le concert des nations. Et par extension : le rééquilibrage des alliances au Moyen-Orient.
Nouveaux moyens
Marginalisé depuis la révolution islamique de 1979, l'Iran pourrait, en cas d'accord, réintégrer la communauté internationale et devenir, à moyen terme, un nouveau partenaire stratégique pour Washington. Ce rééquilibrage dans la politique étrangère américaine au Moyen-Orient semble se dessiner depuis déjà quelques mois. La lutte commune contre l'État islamique, l'élection de Hassan Rohani à la présidentielle iranienne, la perspective d'une indépendance énergétique pour les États-Unis, mais aussi leur volonté de se désengager du Moyen-Orient sont autant de raisons qui amènent les deux capitales à vouloir se rapprocher, après 36 années marquées par une profonde méfiance réciproque.
Mais la perspective de ce rééquilibrage déplaît très fortement aux deux plus fidèles alliés des États-Unis dans la région : Israël et l'Arabie saoudite. Les deux États n'ont cessé de critiquer la possibilité d'un accord sur le nucléaire en raison des conséquences que celui-ci aurait sur la région. Au-delà de leurs déclarations incendiaires sur le danger d'un Iran possédant la bombe atomique – un danger qui, selon tous les experts, serait totalement écarté en cas d'accord – c'est plutôt les nouveaux moyens offerts par la levée des sanctions qui inquiètent Riyad et Tel-Aviv. La fin de l'embargo sur l'Iran va permettre à Téhéran de récupérer une manne financière conséquente notamment grâce à la vente de son pétrole. Israël, tout comme l'Arabie saoudite, craint que l'Iran utilise cet argent pour alimenter – encore plus qu'il ne le fait déjà – ses guerres par procuration sur différents fronts : à Gaza, en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban.
(Lire aussi : Pourquoi les négociations sur le nucléaire iranien n'en finissent plus ?)
Le complexe de Riyad
Si un accord sur le nucléaire n'aurait pas de réelles conséquences sur l'alliance avec Israël, qui apparaît comme une donnée structurelle de la politique américaine au Moyen-Orient, il n'en est pas de même pour l'alliance entre Washington et Riyad. Même si les États-Unis ne vont pas lâcher du jour au lendemain leur allié saoudien, qui reste leur principal acheteur d'armes, il n'empêche que cette alliance pourrait être repensée en fonction des nouveaux intérêts américains dans la région et de la nouvelle configuration des rapports de force. Dans leur guerre contre l'extrémisme sunnite, les États-Unis pourraient être tentés de s'appuyer sur deux gendarmes régionaux : d'une part l'Arabie saoudite, cœur de l'islam sunnite, et d'autre part l'Iran, cœur de l'islam chiite. Un rééquilibrage qui jouerait très clairement en défaveur de Riyad, qui a déjà beaucoup plus de mal que Téhéran à justifier sa guerre contre l'État islamique (EI). Riyad souffre – à juste titre – d'un réel complexe d'infériorité vis-à vis de Téhéran. L'Iran dispose d'une puissance diplomatique, militaire, scientifique et de ressources démographiques sans équivalent avec l'Arabie saoudite. Autrement dit, un accord sur le nucléaire entre l'Iran et les 5+1 signifierait l'échec de la volonté hégémonique – ravivée par la guerre au Yémen – de Riyad dans la région : le déclin du monde arabe au profit des Perses.
(Lire aussi : Un bon accord est un accord qui rassure les alliés des grandes puissances »)
Carte blanche ?
Un accord sur le nucléaire ne signifierait pas pour autant que les États-Unis offrent une carte blanche à l'Iran dans la région. Les tensions entre les deux pays sont telles qu'elles ne peuvent pas être effacées du jour au lendemain. Le régime iranien continuera probablement d'utiliser l'argument de la lutte contre l'impérialisme pour justifier une politique répressive et expansionniste. A contrario, les États-Unis tenteront de rassurer leurs alliés et persévéreront, probablement, dans leur critique à l'égard du régime.
À court terme, l'accord sur le nucléaire ne devrait pas fondamentalement changer la donne régionale. À moyen et long termes, il pourrait cependant totalement la bouleverser avec des possibilités de négociations sur les dossiers libanais, syrien, irakien, yéménite et israélo-palestinien.
L'accord s'apparente clairement à un pari américain. Un pari risqué, puisque rien ne garantit que l'Iran va modifier sa politique étrangère. Bien au contraire, elle pourrait se sentir en position de force et se laisser aller à la tentation de l'hubris. Trois éléments viennent toutefois nuancer cette possibilité. Un : si l'Iran est réintégré au sein de la communauté internationale, il devra en respecter les règles. Deux : l'aile réformatrice (Rohani / Zarif) sortirait renforcée en cas d'accord et pourrait, à terme, prendre le dessus sur l'aile conservatrice, notamment représentée par le général Qassem Soleimani. Trois : le peuple iranien, en demande de modernisation mais appauvri par les sanctions, verrait certainement d'un très mauvais œil le fait que les nouvelles entrées financières soient uniquement destinées à financer des guerres aux quatre coins de la région.
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Le nucléaire iranien au cœur des tensions régionales
Au Yémen, la réponse saoudienne à l'Iran
Des rebelles chiites brandissant leurs armes à Sanaa, capitale du Yémen, pour protester contre les frappes aériennes déclenchées le jour même, 26 mars 2015, par l'Arabie saoudite via l'opération « Tempête décisive ». Ces derniers mois, le Yémen est ainsi devenu une sorte de ligne de front opposant l'Iran soutenant les rebelles houthis, et l'Arabie saoudite voisine soutenant le président Hadi. Khaled Abdullah/Reuters
Quand Netanyahu s'improvise en spécialiste du nucléaire
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, présentant un croquis à la tribune des Nations unies à New York le 27 septembre 2012, symbolisant les trois étapes de développement du programme nucléaire iranien et sur lequel il a tracé une ligne rouge à ne pas franchir. Depuis lors et particulièrement ces derniers mois, Benjamin Netanyahu n'a cessé de fustiger l'accord tant attendu sur le nucléaire iranien qui, selon lui, « menace la sécurité d'Israël ». Mario Tama/AFP
Soleimani, le visage de l'expansion iranienne au Moyen-Orient
Le général Qassem Soleimani, commandant d'al-Qods, l'unité des gardiens de la révolution chargée des opérations militaires et du renseignement à l'extérieur de l'Iran depuis 1998, devenu le principal représentant du soutien aux gouvernements irakien et syrien. Habituellement homme de l'ombre, Qassem Soleimani est récemment apparu à Tikrit aux côtés de milices chiites, ce qui fait de lui une des principales figures de la lutte contre l'État islamique. Mehdi Ghasemi/AFP
Ces milices irakiennes au service de... Téhéran
Une des nombreuses milices chiites en Irak, ici à al-Hadidiya, au sud de Tikrit le 6 mars 2015. Soutenues par l'Iran, ces dernières se sont imposées dans la lutte contre l'État islamique. Thaier al-Sudani/Reuters
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commentaires (4)
Ceux qui s'attendent à ce que l'arrogance des mollahs iraniens au Moyen-Orient cesse ne comprennent rien au Moyen-Orient.
Halim Abou Chacra
17 h 04, le 14 juillet 2015