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Liban - Interview

Sigrid Kaag à « L’OLJ » : Ce n’est nullement le moment pour le Liban d’être sans président

Le Palais de Verre a été ces derniers jours le théâtre d'une série d'entretiens que la coordonnatrice de l'Onu au Liban, Sigrid Kaag, a eus avec divers diplomates en poste à New York. Dans une interview à « L'OLJ », accordée en marge de ces contacts, Mme Kaag évoque le problème de la vacance présidentielle et les défis auxquels le Liban est confronté, notamment de la part des courants extrémistes « qui ne se limitent pas à l'État islamique ».

Mme Sigrid Kaag au cours de sa récente visite à Ersal en compagnie du ministre de la Défense : un fort message de soutien à l’armée.

La coordonnatrice spéciale des Nations unies au Liban, Sigrid Kaag, a présenté mercredi soir au Conseil de sécurité de l'Onu le dernier rapport du secrétaire général sur l'application de la résolution 1701 (2006), pour la période du 28 février au 26 juin 2015. La veille, elle avait eu au Palais de Verre une série d'entretiens et « d'exposés formels » axés sur la situation au Liban. La coordonnatrice spéciale a rencontré notamment le vice-secrétaire général des Nations unies, Jan Eliasson, la plupart des membres permanents du Conseil de sécurité, et les représentants permanents d'un certain nombre de pays, en présence de l'ambassadeur Nawaf Salam.
« Mon message à tous a mis en relief la complexité de la situation et les défis auxquels le Liban est confronté aujourd'hui, et qui probablement persisteront dans le futur », indique Mme Kaag dans un entretien accordé à L'Orient-Le Jour, après ses différents entretiens à NY. Mme Kaag insiste dans ce cadre sur la spécificité du pays du Cèdre, invitant la communauté internationale à « ne pas oublier le Liban, car il est unique ». Voici le texte de l'interview...

Les dangers particuliers qui guettent le Liban ont-ils été mis en exergue lors de vos différentes rencontres?
J'ai rencontré la plupart des membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu ; j'ai présenté un briefing plus formel à d'autres États membres, avant mon exposé au Conseil de sécurité, y compris aux représentants de la Libye, d'Arabie saoudite, du Liban, et aussi de l'Allemagne et d'Italie, pour maintenir un appui continu au Liban. Mon message à tous a mis en relief la complexité de la situation et les défis auxquels le Liban est confronté aujourd'hui, et qui probablement persisteront dans le futur. J'ai donc évalué cette situation à travers l'approche que nous avons adoptée depuis que j'ai pris en charge mon poste ici. Cette approche repose en réalité sur les trois piliers de l'engagement des Nations unies : paix et sécurité ; efforts continus pour l'application de la résolution 1701 ; et, bien sûr, le suivi de notre préoccupation portant sur les risques des mauvais calculs d'une partie ou d'une autre, avec leurs conséquences au Liban.

Dans une région si trouble, le Liban risque-t-il de subir davantage l'impact de la crise syrienne ?
Nous avons aussi considéré l'aspect sécuritaire de la situation au Liban à la lumière de la crise en Syrie, notamment pour ce qui a trait à l'engagement au Qalamoun, l'engagement du Hezbollah en Syrie, mais aussi l'immense menace sur le Liban de la part d'éléments extrémistes et le rôle considérable joué par l'armée libanaise sous le commandement du général (Jean) Kahwagi pour résoudre ces problèmes. Nous discutons donc de la paix et de la sécurité, de la situation actuelle du Liban dans une région trouble en pleine mutation où de nombreux pays sont fortement sous pression et éprouvés par l'impact de la crise syrienne.
J'ai aussi discuté de la nécessité de fournir davantage d'appui à l'armée, de manière plus accélérée. J'ai exprimé notre grande reconnaissance pour les États membres qui nous ont aidés. Il faut continuer. Tel était le message très clair adressé au ministre (de la Défense) Samir Mokbel, quand j'ai été avec lui à Ersal, et au commandant en chef de l'armée, le général Kahwagi. Nous avons discuté aussi des incidents récents à la prison de Roumieh pour souligner que la sécurité doit prendre en considération les droits humains. En examinant la situation au Liban, le taux élevé de chômage, les risques de radicalisation de la jeunesse libanaise et parmi les réfugiés, aussi bien palestiniens que syriens, nous constatons qu'il faut faire encore plus pour aider le Liban face aux défis croissants et continuer à apporter une aide humanitaire.

« Protéger le Liban »
Mes messages dans ce sens portent sur trois volets. Je demande d'abord à mes interlocuteurs de ne pas oublier le Liban, car ce pays est béni et il constitue une valeur régionale. Il a besoin d'être protégé et soutenu davantage par la communauté internationale. Il est irréaliste de demander davantage d'efforts au Liban.
Nous devons aussi considérer un soutien financier au Liban pour l'aider à gérer sa crise à long terme. En même temps, nous continuons à mettre l'accent sur la nécessité de respecter les droits de l'homme au niveau des réfugiés parce que leurs enfants sont sans école, traînent dans la rue, et les filles sont vulnérables. J'ai discuté à cet égard du travail des enfants, du manque d'adaptation, de l'exploitation sexuelle des femmes syriennes réfugiées au Liban et des difficultés rencontrées par les réfugiés à renouveler leur permis de résidence. J'ai aussi exprimé ma sympathie à l'égard de l'État qui gère un équilibre délicat.
J'ai pu réaliser ainsi à quel point le Liban est unique. Il constitue un modèle dans la région. Il reste que c'est facile de dire que c'est un miracle que le Liban s'en tire si bien, contre vents et marées, mais cela ne veut pas dire que tout va bien. Ce serait une conclusion erronée.

« Vigilance continue »
J'insiste donc sur la vigilance, une vigilance continue et le besoin de réduire la rhétorique et les gesticulations autour de la ligne bleue. Il faut veiller de près à la sécurité et la stabilité au Liban parce que la situation est liée aux perspectives en Syrie et aux efforts de Staffan de Mistura. La réalité est que le Liban est dans une situation où il y a 30 à 40 pour cent de la population qui sont maintenant des réfugiés. Aucun pays européen ne pourrait gérer une telle situation. Nous devons donc continuer à aider le Liban. J'ai, bien sûr, exprimé mon appui aux efforts énormes et à la générosité continue de la communauté internationale, des États membres, de l'Union européenne, de l'Arabie saoudite et du Koweït. Mais nous devons voir loin. C'est une crise à long terme avec ses risques.
Tel a été mon message lors des rencontres que j'ai eues. Avec le vice-secrétaire général, nous avons discuté de l'opportunité d'une nouvelle réunion à haut niveau du Groupe international de soutien, dans la mesure où c'est faisable en marge de l'assemblée générale, à condition de choisir le bon timing. La prochaine étape est de préparer le terrain au vice-secrétaire général, en demandant le soutien des États membres et des institutions.

« Pas le moment d'être sans président »
La vacance présidentielle représente-t-elle un sujet de préoccupation pour l'Onu ?
Ce n'est pas le moment d'être sans chef de l'État. Nous avons discuté du problème de la présidence. Aujourd'hui, nous nous rapprochons du triste record du Liban des années 1998-1999, de 409 jours. Compte tenu de mes conversations et de ma propre évaluation de la situation politique, et en lisant les récentes déclarations, je vois que personne n'est optimiste ou continue de l'être. Nous devons souligner que le vide constitutionnel entrave les prises de décisions ; des décisions qui deviennent politisées au lieu de rester simples. Ceci est très malsain dans une région où le sectarisme est encouragé.

Peut-on régler le problème de la présidence ?
Cela revient aux Libanais. La tâche est très claire ; nous devons accorder la priorité à l'intérêt national. Le pays et les citoyens libanais endurent, et ce n'est nullement le moment d'être sans président. C'est une situation que nous n'avons jamais connue dans la région. Il y a donc une demande pressante pour que les politiciens s'emploient à résoudre ce problème. Je suis consciente du fait que différentes factions ont des vues différentes, et je sais qui est à blâmer. Mais nous ne sommes pas intéressés à blâmer telle ou telle personne. Ce qu'il nous faut c'est une solution. Nous félicitons le Premier ministre Tammam Salam pour sa capacité à gérer la situation, mener l'action du gouvernement, essayer de mettre au point son agenda. Bien sûr, nous sommes également toujours en contact étroit avec le président de la Chambre, Nabih Berry, et un certain nombre de responsables politiques. Le Liban est un pays unique, mais cet atout devrait également être préservé par tous ses leaders. La communauté internationale doit apporter son appui mais elle ne peut pas décider à la place des Libanais.

« Lente érosion »
Dans sa dernière publication, le World Affairs écrit : « Le Liban se désagrège – qui pourra trouver le moyen de contester le Hezbollah et de concevoir un futur cohérent ? Êtes-vous d'accord avec cette déclaration ? »
Je n'ai pas lu l'article complet, ni vu le tweet. Tomber en morceaux ? Je ne pense pas que le Liban se désagrège, mais je vois une lente érosion. Mon souci est que du fait de la paralysie et de l'érosion des institutions, l'érosion dans les prises de décision, le Liban est en train de former un déficit de démocratie. Un Parlement qui ne se réunit pas, des élections reportées, tout cela est malsain. Cela produira la faillite des citoyens et du système démocratique. C'est est un souci majeur à long terme. En tant que citoyens, vous devez vous identifier avec les gens que vous élisez. La démocratie est construite autour de la responsabilisation, de la fiscalité et de la représentation. Si ces citoyens voient la faillite des services, des délais, s'ils se sentent marginalisés, cela est malsain. Dans ce cadre, il y a toujours un risque de perte des droits, et, pour certains, un risque de radicalisation.
Tomber en lambeaux veut dire que la désagrégation s'est produite. Non, je pense que le système est érodé, et, avec l'érosion, les choses disparaissent. Il faut avoir une forte volonté, un leadership fort et une vision pour reconstruire ou lancer des projets. Le Liban est riche en opportunités. J'en suis convaincue, cinq mois seulement après avoir pris en charge mon poste. Nous savons tous, et le monde aussi, que le Liban bénéficie de nombreux talents, d'un savoir, d'expériences, de gens sages qui ont souffert et qui se sont engagés à maintenir le cap. Il faut leur donner une chance de briller dans leur pays.

« L'extrémisme, une menace globale »
Avec la radicalisation, le Liban peut-il contrer une tentative de l'État islamique de le transformer en un « émirat » ?
Je pense que l'extrémisme n'est pas limité à l'État islamique. De nombreux groupes et individus que nous avons vus en Europe ou ailleurs n'ont pas besoin d'être affiliés au drapeau noir. L'État islamique va au-delà du Liban. Je pense que c'est une des dernières frontières pour l'Europe. Je pense que, et là je parle en tant qu'Européenne et non pas en tant que responsable de l'Onu, nous avons grand intérêt à aider un pays comme le Liban. Cela fait partie de la vision du futur, de la coexistence, et cela montre que l'extrémisme n'est pas né au Moyen-Orient. L'extrémisme vient du désespoir, de la pression, du manque de choix. Et en ce moment, pour de tas de raisons que nous ne connaissons pas encore, des jeunes de l'Ouest, du Royaume-Uni, et de mon pays, la Hollande, trouvent aussi une attraction à rejoindre des groupes extrémistes.
C'est un phénomène global et une menace globale. Et, de ce fait, beaucoup reste à faire. Aller à l'encontre des symptômes ne suffit pas ; il faut attaquer les causes à la source. Dans beaucoup de pays, il y a la pauvreté, l'exclusion, le manque d'opportunités. Il faut avoir de meilleurs choix. D'après moi, le problème est que notre réaction et nos réponses sont trop symptomatiques. Nous devons offrir un autre projet de développement, renforcer les connaissances, développer des opportunités. Est-ce un rêve ? La coopération internationale est basée sur cela. Si le monde est un village global, nous n'avons pas d'autres alternatives. Ce n'est pas un rêve. En fait, notre survie nécessite de construire rapidement ces alternatives.

 

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