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Culture - En librairie

Que dirions-nous à Nizar Kabbani s’il revenait ?

Pleins feux sur le « Prince du Jasmin » qui a autant aimé les rives du Barada, où il est né, que Beyrouth « Sitt el-Dunia » où il a longtemps vécu.

C'était un homme d'amour et de paix. Mais cela ne l'a pas empêché d'écrire cette phrase qui a fait enrager et venger plus d'un : « Quand annonceront-ils la mort des Arabes ? »*
Nizar Kabbani, immortel poète, avait, par-delà l'audace de réhabiliter l'image de la femme, le sens de l'autocritique du monde arabe. Parfaitement dans le ton de l'ouragan et la boue qui soufflent sur la région.
Avec la réédition de Akher Kalimat Nizar (Les dernières paroles de Nizar)** de Arfane Nizam Eddine, quand Damas est dans la tourmente, la désolation et le noir, lumière sur le Prince du Jasmin qui a aimé autant les rives du Barada, où il est né, que Beyrouth « Sitt el-Dunia » (La dame de l'univers) où il a longtemps vécu.
Un livre à la fois tendre, amical et éclairant. Qui se lit avec plaisir tant la charge humaine et l'apport culturel y sont omniprésents. Sans parler de la voix même de Nizar Kabbani qui résonne à travers de généreuses citations adroitement choisies.

Des souvenirs groupés en biographe où interviennent aussi des voix amies et des plumes d'autres poètes, romanciers ou essayistes tels Abdallah el-Jafary, Ghada el-Samman, Ghazi el-Kousssaibi, Salma Haffar el-Kozbari, Nabih Moukaïd, Hicham el-Yafi, Salim Nassar.
Des témoignages, des rencontres, des discussions, des panégyriques, des échanges épistolaires qui ne manquent pas d'originalité, d'émotion, de sincérité et de profondeur. Comme des éclairages indispensables pour fixer à jamais un visage, un portrait. Séduisant portrait d'un éternel jeune homme qui se plaisait volontiers à se définir comme « un mélange d'eau et de feu ».
Un livre de transparence, qui cite avec opulence et sagacité les vers, les paroles, les cris de cœur ou de colère, les houleuses prises de position de Nizar Kabbani. Pour ne pas laisser de chance aux malentendus, aux secrets, aux déformations, aux zones d'ombre.

L'auteur, Arfane Nizam Eddine, homme de lettres et journaliste (rédacteur en chef du quotidien al-Hayat et fondateur à Londres du Charq el-Aousat), compagnon du parcours du poète jusqu'à sa disparition à 75 ans en 1998, offre aux lecteurs l'occasion de (re)découvrir l'image et la vie de Nizar Kabbani, voyant de la « oumma ».
Et de se pencher à nouveau sur une œuvre (plus d'un demi-siècle d'écriture, de missions diplomatiques et culturelles, d'innombrables recueils de poésie au succès retentissant et autant d'articles dans la presse qui ont fait couler beaucoup d'encre et susciter enthousiasme et controverse) qui n'a pas pris une seule ride. Œuvre plus brûlante d'actualité que jamais dans l'asservissement, l'oppression de la femme et le démembrement, le morcellement du monde et de la cause arabes.

Pour ce fervent amant des mots de la langue d'al-Moutanabbi qui a voulu casser l'étroit carcan où l'on enferme les femmes et ce libre penseur qui eut le front de dénoncer les dérives et les abjections des gouvernants de la région, la vie fut semée de drames. Depuis la mort de sa jeune sœur à celle de ses deux enfants nés de son premier mariage et de sa seconde épouse Balkis décédée dans un attentat.
Homme élégant, affable, aimable, inspiré, maniant avec brio et extrême sensibilité la formulation du Parnasse (et ne dédaignant pas les dessins dont il remplissait des feuillets en des gestes précis et habiles), usant avec dextérité la rhétorique sans emphase, l'invective, l'anathème, la sensualité, le romantisme et serviable dans une absolue discrétion, Nizar Kabbani incarne avec noblesse et panache l'image qu'on se fait d'un poète. Essence de l'humanité qui frôle tout et s'en imbibe pour mieux dire la vie, comme dans un fulgurant raccourci à travers la clarté d'une boule de cristal. Aux confins de la perfection, si la perfection était de ce monde...
Toutes les plumes et les voix dans ces pages fourmillantes de détails l'attestent. En toute simplicité, mais aussi avec sympathie, effusion et chaleur.

Aujourd'hui, dix-sept ans après son ultime voyage, dans ce chaos innommable, ces exodes et ces destructions, cette barbarie inconcevable, par-delà « ces cascades de sang », « fatigués de notre arabité », que dirions-nous à Nizar Kabbani s'il revenait ? Que Jérusalem, Le Caire, Damas, Bagdad et Beyrouth ont le ciel encore bien sombre? Que ces villes ont touché au plus bas des échelles des valeurs humaines ? Qu'elles sont abonnées à l'angoisse et à l'incertitude ? Aux orties les voiles noires des Cassandre !

L'on préfère s'en retourner à ses poèmes (qui ont porté l'empreinte de Mohammad Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez, Feyrouz, Oum Kalsoum) et retrouver des bribes de sa déclaration d'amour à Beyrouth. Car la poésie a toujours pactisé avec le Liban.
En vers à la musicalité – mesure et cadence particulières – sans contrainte ni ridelle, le poète envoie sa salve et gerbe de mots :
« Et qui est poète s'il ne défend pas une jolie rose qu'on assassine ? Une jolie toile qu'on assassine ? Une jolie ville qu'on assassine ? Une jolie femme qu'on assassine ?
« Et parce que Beyrouth est une très jolie ville, j'ai payé le prix de sa beauté. Et parce qu'elle est très cultivée, j ai payé le prix de sa culture. Et parce qu'elle est une ville libre jusqu'à la dernière limite de la liberté, j'ai payé le prix de sa liberté.
« Telle est la dictature de l'histoire depuis la loi de la jungle jusqu'au nouvel ordre du monde.... »
Oyez, oyez hommes sourds à toute notion d'humanisme, d'humanité, de paix, d'amour, de charité, de pardon, d'élévation, de compassion, de tolérance, d'harmonie, de justice et de beauté. Tel est le legs de Nizar Kabbani !

*« Quand annonceront-ils la mort des Arabes ? » est le titre de l'un des poèmes-articles de Nizar Kabbani publié de son vivant dans le quotidien « al-Hayat ».
**« Akher kalimat Nizar » (Les dernières paroles de Nizar,de Arfane Nizam Eddine, Dar al-Saqui, 191 pages) disponible à la librairie el-Bourj.

 

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commentaires (3)

QU'IL AVAIT RÊVÉ... ET QUE LE MONSTRE ARABE A MIS BAS DES HYDRES MULTIPLES !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 27, le 07 juillet 2015

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Commentaires (3)

  • QU'IL AVAIT RÊVÉ... ET QUE LE MONSTRE ARABE A MIS BAS DES HYDRES MULTIPLES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 27, le 07 juillet 2015

  • Ne reviens pas ! Laisse tomber.... ces "arabes" !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 23, le 07 juillet 2015

  • Si Nizar Kabbani revenait, c'est lui qui nous dirait avec la plus grande stupéfaction : la barbarie enfantée par cette "oumma" a dépassé toutes mes prévisions.

    Halim Abou Chacra

    03 h 55, le 07 juillet 2015

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