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Moyen Orient et Monde - Tribune

Mon rêve pour le Proche-Orient

Dans un quotidien romand de mai 1984, l'écrivain et leader politique kurde Noureddine Zaza (1) plaidait en faveur d'un Moyen-Orient calqué sur le modèle suisse. Arabes, Juifs, Kurdes, druzes, Persans, chrétiens et musulmans y cohabiteraient dans l'harmonie si leurs droits y étaient reconnus. Mon mari est mort en 1988 sans avoir vu son projet se réaliser et sans avoir non plus assisté à la déliquescence de cette région du monde. Le sort du Moyen-Orient ne m'étant pas indifférent, j'ai fait un rêve...
Désireux d'assurer le bien-être à son peuple et de le libérer des sanctions, le régime iranien dialoguerait en toute amitié et franchise avec le gouvernement d'Obama. Fort de cette nouvelle entente, Téhéran renoncerait à soutenir Bachar el-Assad et le Hezbollah libanais. Il serait demandé aux quelques excités qui prônent régulièrement la destruction d'Israël de se taire.
À Damas, l'un des derniers dictateurs du monde irait se retrancher provisoirement dans son fief. Puis Assad quitterait la base soviétique de Lattaquié à bord d'un avion soviétique et s'en irait finir sa vie en Russie, pourquoi pas en Sibérie dont Varlam Chalamov nous a laissé un témoignage impitoyable et sublime dans les Récits de la Kolyma.
Quant à la Cour pénale internationale de La Haye, elle attendra encore pour juger « le boucher de Damas » en tant que criminel de guerre. Après tout, combien de nazis se sont-ils cachés après la guerre en Amérique latine? L'un d'eux, Aloïs Brunner – que Hafez el-Assad, le père, avait bien connu –, s'était même attardé à Damas puisqu'il y est mort en 2010. Bachar suivra donc l'exemple des fuyards nazis. Mais après lui ?
Dans mon rêve, les Syriens s'entendraient pour que Daech et les autres extrémistes islamistes retrouvent la raison. Ensemble, ils créeraient une nouvelle Syrie où Arabes, Kurdes, Arméniens, musulmans, chrétiens, druzes, alaouites et agnostiques auraient tous les mêmes droits. Les réfugiés pourraient rentrer chez eux et reconstruire leur pays.
En Irak, la région autonome du Kurdistan n'ambitionnerait plus de devenir « un nouveau Dubaï ». Elle poursuivrait son développement selon des critères plus équitables et véritablement démocratiques.
Ailleurs en Irak, chiites et sunnites parviendraient à se réconcilier soit ensemble, soit sur la base de deux cantons spécifiques, l'un réservé aux chiites, l'autre aux sunnites.
Le Liban ne serait plus submergé par ses réfugiés (les Palestiniens sont là depuis 1948... et les Syriens depuis 2011) et retrouverait enfin une stabilité politique. Il établirait une nouvelle Constitution, celle instituée par les Français étant devenue totalement anachronique. Comment peut-on, sans rire, oser revendiquer en 2015 que le président de l'État soit un maronite, le Premier ministre un sunnite et le président du Parlement un chiite ? Cette Constitution d'un autre temps, reposant honteusement sur une base confessionnelle, a privé le Liban de responsables politiques qui auraient évité bien des guerres et des malheurs au Liban. Ceux-ci avaient le seul tort de ne pas être de « la bonne religion », comme Ghassan Tuéni, l'éditeur et journaliste visionnaire, qui était grec-orthodoxe et ne put de ce fait diriger son pays.
Mais je ne suis pas encore sortie de mon rêve.
À Jérusalem, les Israéliens reconnaîtraient enfin l'injustice subie par le peuple palestinien. Le gouvernement dédommagerait les Palestiniens chassés de leurs terres en 1948 comme eux-mêmes ont été indemnisés par les Allemands. Les colonies seraient restituées aux propriétaires des terres originelles. Les uns n'auraient plus peur des autres. Les autres ne terroriseraient plus les uns. Et l'État de Palestine existerait.
L'esprit de convivence prôné par Ghassan Tuéni pourrait être vécu au quotidien par les Juifs et les Palestiniens, chrétiens ou musulmans.
Dans toute la région, une ère de prospérité s'ouvrirait. Les relations culturelles et commerciales s'intensifieraient ou plutôt ressusciteraient, comme elles ont existé à une certaine époque. Dans tous les pays, comme ce fut le cas au Liban avant la guerre, le nombre de mariages mixtes augmenterait.
Les Israéliens iraient découvrir les beautés de Petra, Baalbeck, Palmyre et Persépolis.
Les Iraniens, les Syriens, les Irakiens et les Libanais pourraient connaître les hauts lieux d'une terre triplement sainte...
Au réveil, lorsque je demanderai à mon grand fils : « Que penses-tu de mon rêve? » il me répondrait : « Maman, tu es une incorrigible idéaliste... Ne vois-tu pas que le monde a changé ? »
Mais je refuse de désespérer et je ne changerai pas. Je ne suis d'ailleurs pas la seule. Du Proche-Orient à l'Europe, un peu partout, des êtres partagent mon utopie.
Le 22 mai, Libération m'a appris que cette année encore, à Berlin, naîtrait l'Académie du divan dont le recteur serait égyptien et la professeure de philosophie israélienne. Daniel Barenboïm en était l'instigateur. Une douzaine d'élèves y travailleront leur instrument, en plus du piano, et seront invités à suivre « des cours d'éducation philosophique ».
À la musique comme instrument de paix, le chef d'orchestre a cette fois ajouté la philosophie.
Sans doute le grand musicien a-t-il déjà vu que la paix est un long combat. La philo ne sera pas de trop pour ouvrir les esprits et les cœurs.
En 1999, avec son ami l'écrivain palestinien Edward Said, Daniel Barenboïm avait créé le West-Eastern Divan Orchestra, un orchestre symphonique réunissant des musiciens arabes et israéliens. Après s'être produit un peu partout dans le monde – à Genève, Ramallah, Doha, au Maroc, aux États-Unis et en Europe –, l'orchestre est au programme du prochain Festival de Lucerne. Le 16 août, il jouera Debussy, Boulez et Tchaïkovski. Quant au concert du 17 août, avec Beethoven et Schönberg, il aura pour solistes Guy Braunstein et Kian Soltani.
Tout n'est donc pas perdu. Il n'est plus interdit de rêver à la paix au Moyen-Orient et dans le monde.

(1) Dans son autobiographie, « Ma vie de Kurde », il retrace son itinéraire du Kurdistan de Turquie à la Syrie, du Liban à la Suisse. Ce livre a été traduit après sa disparition en turc, en kurde et en arabe.

*Gilberte Favre est l'auteure d'une dizaine de livres dont le dernier, « La langue des dieux », a été publié aux éditions de L'Aire.

Dans un quotidien romand de mai 1984, l'écrivain et leader politique kurde Noureddine Zaza (1) plaidait en faveur d'un Moyen-Orient calqué sur le modèle suisse. Arabes, Juifs, Kurdes, druzes, Persans, chrétiens et musulmans y cohabiteraient dans l'harmonie si leurs droits y étaient reconnus. Mon mari est mort en 1988 sans avoir vu son projet se réaliser et sans avoir non plus...

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