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Économie - Liban - Litige commercial

Imperial Jet : comment l’État risque de payer des milliards

Après s'être heurtée pendant des années au refus du gouvernement de respecter les décisions de justice annulant son retrait de licence, la compagnie d'aviation privée Imperial Jet réclame désormais deux milliards de dollars d'indemnités au Liban, dans une procédure d'arbitrage international. Le président du Conseil d'État Chukri Sader revient pour « L'Orient-Le Jour » sur ce bras de fer qui pourrait coûter cher.

Selon le président du Conseil d’État Chukri Sader – photographié lors de la remise de sa légion d’honneur par l’ambassadeur de France en mars dernier –, l’État libanais perd chaque année environ 1 milliard de dollars en contentieux administratifs. Photo DR

Symptomatique des errements juridiques d'une administration qui perd chaque année, selon le président du Conseil d'État, environ 1 milliard de dollars devant les tribunaux administratifs, l'affaire Imperial Jet pourrait s'avérer particulièrement douloureuse pour les finances publiques.

Tout commence en 2009, lorsque le ministre des Transports Ghazi Aridi décide d'annuler la licence octroyée deux ans plus tôt par l'État libanais à la compagnie d'aviation privée Imperial Jet pour « non-conformité aux normes de sécurité ». Contestant cette décision, Imperial Jet saisit alors à deux reprises le Conseil d'État, en 2009 puis 2011, qui prend cette année-là deux arrêts annulant la décision ministérielle pour « vices de procédure ».

Devant le refus du ministre Aridi et de son successeur Ghazi Zeaïter de se conformer à ses décisions, le Conseil d'État, saisi à nouveau par la compagnie d'aviation, les confirme par un nouvel arrêt en 2014. Dans ces arrêts consultés par L'Orient-Le Jour, le Conseil d'État explique notamment que « tous les motifs de l'annulation d'une licence d'aviation doivent être énoncés clairement dans la décision (...) et un délai de 30 jours accordé à la partie concernée afin de préparer sa défense ». Deux conditions formelles qui n'ont pas été respectées par le ministère, selon la haute juridiction. « Conformément à son rôle de gardien des lois, le Conseil d'État devait se prononcer sur la forme et non le fond du dossier. Autrement dit, la question n'était pas de savoir si la décision de retrait de la licence de cette compagnie était justifiée, mais si l'exécutif a respecté la procédure prévue par la loi dans ce dossier », explique à L'Orient-Le Jour le président du Conseil d'État Chukri Sader. « Dans ce cas précis, le ministre Aridi a dérogé à la procédure légale, et sa décision est de ce fait caduque », ajoute-t-il, rappelant à cette occasion que le ministère des Transports reste juridiquement tenu d'exécuter les décisions du Conseil d'État.

Arbitrage ou conciliation ?

Illégal, ce refus d'obtempérer aux décisions de la haute juridiction risque aussi de coûter cher. S'estimant lésée par l'État libanais, Imperial Jet lui réclame deux milliards de dollars d'indemnités pour les dommages subis entre les années 2009 et 2015. Et ce dans le cadre d'une procédure d'arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi). Cet organe arbitre les conflits entre un État et un investisseur étranger – l'un des actionnaires d'Imperial Jet est allemand – afin que ce dernier puisse invoquer les garanties prévues dans les traités de protection des investissements. Cette procédure, prévue par tous les traités bilatéraux d'investissements conclus par le Liban, donne lieu à une sentence exécutoire, le Liban ne disposant d'aucun recours interne pour la suspendre ou la contester. « Il y a bien possibilité d'interjeter appel devant le Cirdi, mais cette institution ne revient que très rarement sur ses décisions... » précise Chukri Sader.

Certes, même dans l'hypothèse où l'arbitre confirme que le retrait de licence était infondé, il reste libre dans son appréciation du préjudice. Or, pour Chukri Sader : « Les indemnités réclamées par Imperial Jet sont excessives. En cumulant entre les dommages et intérêts, les coûts de procédure et le manque à gagner sur la période incriminée, elles devraient plutôt se situer entre 5 et 10 millions de dollars. » Mais rien n'indique que le Cirdi partagera cette estimation...
Désormais conscient de l'urgence de la situation, le gouvernement libanais a chargé le ministre des Transports, Ghazi Zeaïter, de trouver une solution de conciliation. Les conseillers juridiques du gouvernement ont ainsi proposé de payer 180 millions de dollars à Imperial Jet comme contrepartie à la clôture du dossier. Une proposition rejetée par le ministre Zeaïter. Une course contre la montre est donc engagée pour trouver une indemnisation acceptable par les deux parties avant que l'arbitre n'ait à trancher.
Pas sûr que le contribuable en sorte gagnant...

Symptomatique des errements juridiques d'une administration qui perd chaque année, selon le président du Conseil d'État, environ 1 milliard de dollars devant les tribunaux administratifs, l'affaire Imperial Jet pourrait s'avérer particulièrement douloureuse pour les finances publiques.Tout commence en 2009, lorsque le ministre des Transports Ghazi Aridi décide d'annuler la licence octroyée...

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