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Liban

Une semaine, un thème : #8 Le Liban otage de ses réfugiés ?

Ils sont arrivés d'abord dans les années 70 en tant que main-d'œuvre bon marché dans les secteurs de pénibilité, telle la construction, puis dans les années 80, comme soldats occupants envoyés par le régime de Damas. Et quand ce dernier et ses détracteurs, trente-cinq ans après, ont mis la Syrie à feu et à sang, ils n'ont eu d'autre choix que de fuir en masse et se réfugier ailleurs, notamment au Liban, où ils ont atteint plus de 25 % de la population d'un pays où les Palestiniens les avaient précédés en 1948 et suivants...
Dans un contexte régional et local explosif, ils sont en butte à la défiance des autochtones qui, dans leur majorité, les perçoivent comme une quadruple
menace : démographique, économique, politique et même militaire. L'Occident, lui, les ignore superbement, ayant déjà fort à faire en essayant de se prémunir contre le flot des immigrés clandestins de tout un continent en ébullition qui leur exporte, dans la foulée, des jihadistes aguerris à la sauce islamiste. Quant à l'Onu et ses multiples organisations humanitaires et caritatives, elle s'achète bonne conscience à travers des missions inachevées et des promesses de dons loin d'être tenues.
Pour traiter de cette question, « L'Orient-Le Jour » a invité trois personnalités à analyser le phénomène et ses répercussions : Sejaan Azzi, ministre kataëb du Travail, Ghazi Aridi, député PSP de Beyrouth, et Shérif Elsayed-Ali, directeur du secteur des réfugiés et des migrants à Amnesty International.
Paradoxalement, les dirigeants libanais ne semblent pas avoir pris la vraie mesure de cette crise humanitaire majeure et de ses incidences. Loin de toute urgence nationale, le personnel politique est tout à ses bras de fer internes : chamailleries incessantes sur les nominations, les contrats et les passe-droits.
Quant à la présidence, pourquoi penser à s'entendre sur un compromis historique ? Sur un président d'un pays qui peut-être n'existera plus ?

Le retour des Syriens

 

Sejaan Azzi
Ministre du Travail
Parti Kataëb

Tous les protagonistes sont à bout de souffle. La crise syrienne aggrave de jour en jour la situation de millions de déplacés, mais aussi le sort de millions de Libanais. La réalité dans laquelle le Liban s'inscrit le lie à celle des réfugiés syriens et scelle le sort de son épanouissement politico-économique au destin de la Syrie.
Certains experts de la macro-économie tentent d'explorer des justifications à cette vague de réfugiés qui envahissent le pays avec des arguments tels que leur contribution à l'essor des constructions. La construction d'immeubles ne doit cependant pas mener à la destruction du Liban. La balance commerciale ne doit pas supplanter le défi existentiel qui est plus important que les retombées du secteur économique. Toute approche de ce sujet selon un angle plus ouvert serait une erreur fatale.
Le Liban doit certes être bienveillant à l'égard des réfugiés syriens, non seulement par solidarité de voisinage, mais également parce que le pays du Cèdre a un dessein humanitaire dans cet Orient déchu. Cependant, cette mission d'ouverture, d'accueil et de refuge ne doit pas outrepasser l'intérêt national en menaçant son unité, sa sécurité et sa stabilité démographique. Mais par-dessus tout, elle ne doit pas entraver son entité déjà fragilisée par une « diversité d'allégeances » émanant de ses différentes composantes et écornée par une série de guerres et de crises jalonnant l'histoire du pays de 1958 à aujourd'hui.
Le Liban ne peut supporter ce fardeau de plus en plus lourd. En effet, avec 1,7 million de réfugiés syriens qui viennent s'ajouter à un chiffre conséquent d'environ 500 000 Palestiniens, nous nous retrouvons avec un taux de 52 % de la population, soit 1 réfugié pour 2 habitants, et la plus forte densité de réfugiés au monde. La présence syrienne atteint 150 réfugiés par mètre carré au Liban alors qu'elle est seulement de 0,8 % en Turquie. De plus, 80 000 ex-réfugiés palestiniens de Syrie ont pris le chemin de l'exode vers le Liban, venant aggraver un bilan déjà extrêmement pénible.
Le Liban qui a tant lutté depuis 1976 pour se débarrasser de l'occupation de 30 000 soldats syriens n'a pas mené combat pour se retrouver envahi aujourd'hui par 1,7 million de Syriens. D'autant plus que ce phénomène revêt la forme d'une émigration plutôt que celle d'un simple déplacement. Nous ne nions pas le fait que ces personnes ne sont pas ici de leur propre gré, nous ne nions pas la guerre et les atrocités, mais cela seul n'explique pas ces chiffres.
En effet, une partie d'entre eux aurait pu rester en Syrie ou se rendre ailleurs. Preuve en est que 45 % environ des réfugiés syriens présents sur notre territoire n'appartiennent pas aux régions limitrophes du Liban, mais plutôt à proximité de l'Irak, de la Jordanie et de la Turquie. Ces personnes ont donc traversé toute la Syrie pour venir au Liban, accentuant cette idée d'émigration. Ce sont des familles entières qui ont envahi notre territoire pour y chercher du travail, des logements et y poursuivre des études. Un grand nombre d'entre eux ouvrent des usines et des entreprises de manière arbitraire, exerçant une concurrence déloyale à l'égard des Libanais, à la fois patrons et ouvriers. En tant que ministre du Travail, je m'exprime en connaissance de cause, étant donné ma connaissance quotidienne des études et des statistiques élaborées à ce sujet au ministère.
Le nombre de Libanais vivant au-dessous du seuil de pauvreté atteint en 2015 le chiffre de 1 170 000, soit une augmentation de près de 270 000 personnes depuis l'année 2011, date de la grande vague de déplacés syriens. Par ailleurs, le taux de chômage qui était de 11 % en 2011, atteint à la fin 2014 environ 25 % de la population, dont 36 % de jeunes. On a enregistré une augmentation de 346 000 chômeurs entre 2011 et fin 2014. Ces pics dans les nombres du chômage redonnent un nouvel « élan » à l'émigration libanaise, avec des chiffres avoisinant ceux qui datent de la guerre libanaise des années 1975-1990. D'autre part, la croissance au Liban a subi une diminution de 2,9 % chaque année depuis que les Syriens arrivent sur nos terres, soit une baisse de 10,14 % en 4 ans. Ceci se traduit par 8,6 % de déficit budgétaire.
Le Liban est à l'orée de la guerre syrienne. Se plaindre sans passer à l'action ne suffit plus et trouver des solutions est vital si nous ne voulons pas nous retrouver face à un nouveau plan d'implantation à un moment où une solution à l'implantation palestinienne reste inconnue. Ce petit pays subit le spectre d'un danger politico-confessionnel qui se radicalise. Les dernières statistiques des services de sécurité montrent que 34 % des délits et crimes commis au Liban sont perpétrés par des Syriens.
Le Liban se sent seul face aux défis de l'afflux des réfugiés, les services de base et les infrastructures sont saturés, le marché du travail est déstabilisé, les programmes d'aide nécessitent des ressources financières qui arrivent, qui s'épuisent. Il est vrai que les Nations unies, les grandes puissances et les pays donateurs ne cessent de faire des déclarations d'aide et donnent maintes conférences au Koweït, à Berlin, à New York ou à Paris afin de nous venir en aide, mais des milliards qu'ils nous consacrent, seuls des milliers nous parviennent.
Le cataclysme régional trouve son impact le plus important au Liban. Le manque de perspective d'une issue proche du conflit brouille toute vision d'un retour des réfugiés au pays.
Mais on ne peut pérenniser l'installation des réfugiés, sous peine de nous retrouver dans un gouffre impossible à surmonter. Le défi est de concilier la responsabilité humanitaire et le devoir politique, sécuritaire et économique du pays. Nous devons concentrer nos efforts non seulement à réagir au statu quo, mais également à prévoir des situations et préparer le terrain pour faire face aux complications futures.
Avec les meilleurs sentiments humains, il faut d'abord penser à l'avenir du Liban en essayant de trouver une solution de crise au phénomène. Les solutions sont directes. Le conflit syrien ne se terminera pas demain ; les pronostics les plus optimistes parlent d'une dizaine d'années. Le Liban peut-il supporter dix ans de prolifération du flux de réfugiés, auquel s'ajoute un taux de natalité qui s'élève à 52 000 nouveau-nés syriens ? Une première solution serait la création d'une no-fly zone à l'intérieur du territoire syrien, sous la protection des Nation unies et de l'alliance arabo-internationale, avec la construction de logements pour ces réfugiés. Une autre solution serait le retour des réfugiés qui s'identifient comme s'apparentant au régime dans les régions dominées par ce dernier, et ceux dont l'allégeance va à l'opposition sur les terres dominées par cette denière. Le territoire syrien a bel et bien subi une division entre forces du régime et forces de l'opposition. Il est certain que nous ne réclamons pas l'expulsion des Syriens du Liban, car c'est un peuple frère. Mais il devient impératif de trouver une solution, au risque que le désastre ne devienne commun. L'enjeu est de les aider à sortir du drame et de sauvegarder notre pays.

 

L'inventaire de la honte

 

Ghazi ARIDI
Député de Beyrouth
Parti socialiste progressiste

 

La question de l'émigration et du déplacement de population en Syrie est la plus grave dans le monde aujourd'hui. Il y a 50 millions de réfugiés et de déplacés dans le monde entier, et parmi eux figure environ la moitié du peuple syrien. Le Liban est en tête des pays qui ont absorbé le fardeau de l'émigration.
Pour apporter un éclairage à cette question, il convient d'abord de passer en revue les causes, les responsabilités, les résultats et les pronostics attendus, afin de trouver les solutions opportunes, sur base de la nécessité d'établir le bon diagnostic afin de trouver la bonne solution.
Les causes et responsabilités :
1 – La première cause et le premier responsable de cette catastrophe est le régime syrien, qui a choisi, dès les premiers instants de la révolte populaire pacifique, l'option sécuritaire et la répression. Cela a imposé aux opposants de se défendre – après avoir fait preuve de beaucoup de patience et d'endurance –, et de prendre les armes. Le cercle des affrontements s'est alors élargi, et le processus de déplacement de population programmé et d'épuration étudiée dans plusieurs zones a commencé. Cela s'inscrivait dans le cadre d'une politique de haine, de vengeance et de modification du visage de beaucoup de régions, après le déplacement de leurs habitants et la destruction de leur infrastructure. C'est ainsi que la tragédie a commencé. Avec l'extension des affrontements dans les diverses provinces syriennes, le développement des moyens et des instruments de la guerre programmée, l'usage des armes chimiques et des barils d'explosifs lâchés sur les habitants – sans oublier les grands massacres commis à leur encontre –, nous sommes désormais face à la catastrophe que constituent l'émigration et le déplacement de millions de fils du peuple syrien. C'est là le résultat naturel des guerres civiles...
Qu'en est-il alors lorsqu'elle est aussi sanglante que la guerre syrienne ?
2 – Ce qu'on appelle la communauté internationale assume une responsabilité fondamentale sur deux points essentiels qui ont influé sur les développements de la situation, ainsi que le cours de la guerre et ses résultats en Syrie, à commencer par la catastrophe du déplacement de population.
D'abord, cette communauté internationale a trahi toutes ses positions sans exception. Lorsque le régime a sombré dans l'option sécuritaire et a intensifié ses actes de répression contre son peuple, les pays qui ont annoncé qu'il avait perdu sa légitimité, qu'il n'était plus apte à diriger la Syrie, et qu'Assad n'avait plus sa place dans le concert des nations non rien fait pour soutenir l'opposition populaire pacifique et démocratique. Ils n'ont mené aucune initiative contribuant à donner une traduction pratique à leurs positions, comme ils l'avaient fait ailleurs dans le monde, et leurs fils n'ont rien consenti comme sacrifices en comparaison avec ceux que le peuple syrien a consentis.
Partant, l'Onu a paru incapable d'appliquer ses résolutions, pour ne pas dire de prendre les décisions opportunes, puisque nous savons qu'il existe un droit de veto d'un pays ou un autre face à toute décision au sein du Conseil de sécurité. C'est pourquoi le cercle de la guerre s'est élargi et nous nous sommes retrouvés dans un jeu de nations dangereux et de calculs qui se sont télescopés entre la Russie et les États-Unis, avec les développements de la situation en Ukraine et l'opposition des intérêts que cela a induits, les négociations américano-iraniennes et la recherche d'un nouvel ordre régional, la guerre ouverte en Irak, le morcellement, la partition et l'émigration sur des bases sectaires et ethniques, et, enfin, ce qui se déroule au Yémen.
Au cœur de tout cela, il y a aussi les intérêts israéliens. Le gouvernement Netanyahu a pratiqué toutes sortes de chantages pour assurer ces intérêts, qui assurent la primauté d'Israël et son rôle fondamental dans l'élaboration de la nouvelle carte de la région et la répartition des rôles de tout un chacun. Sans oublier non plus le rôle et les intérêts de la Turquie.
Une mauvaise appréciation de la situation a également caractérisé la position internationale, de sorte que terroristes et radicaux en provenance de tel ou tel pays viennent se battre et se liquider mutuellement dans une Syrie envisagée comme abcès de fixation. Voilà maintenant que cette même communauté internationale craint que ces jihadistes ne retournent dans leurs pays d'origine et n'y mènent des opérations. Aussi a-t-elle justifié le fait de ne pas offrir de soutien à l'opposition modérée par le fait que celle-ci n'existerait pas, et que les armes pourraient finalement échouer entre les mains d'oppositions non garanties. Toutes ces raisons, entre autres, ont mené au prolongement de la guerre et des souffrances et à l'augmentation du nombre de réfugiés et de déplacés.
Ensuite, cette communauté internationale n'a pas assuré le soutien requis aux pays qui abritaient les réfugiés. Elle a multiplié les conditions rédhibitoires, dressant ainsi de nombreux obstacles, sans compter le fait que certains pays régionaux ont traité à la légère cette question, surtout au Liban, sous le prétexte que Beyrouth n'aurait pas élaboré un plan ou une stratégie claire dès le départ pour gérer la catastrophe du déplacement de population. Un plan sur base duquel de l'aide aurait pu lui être offerte. Ici, la responsabilité est libanaise.
3 – Oui, au Liban, nous avons commis deux grosses erreurs : une erreur d'appréciation et une erreur de gestion, et les deux sont complémentaires. L'erreur d'appréciation a été commise par les deux principaux camps du pays. Celui qui était hors du pouvoir a estimé qu'avec le début de la révolte syrienne, le régime s'effondrerait en quelques mois. Il a donc œuvré pour la constitution d'un nouveau pouvoir en Syrie et d'un nouveau cabinet au Liban sur base d'une prochaine chute du régime !
Le deuxième camp, qui tenait en main les rênes du pouvoir en général, et du cabinet en particulier après la mise à l'écart du premier camp, a estimé des semaines après le début de l'intifada que le régime trancherait la bataille en quelques heures. Oui, en quelques heures... Aussi, ce camp a-t-il bâti ses calculs sur base de cette appréciation pour consolider son équation.
Quant à nous, nous avions perçu dès le départ que nous étions face à un cycle de plusieurs rounds de violence rappelant les débuts de la guerre libanaise, et que, partant, la Syrie allait sombrer dans une longue guerre, plus moche et plus dangereuse que celle que le Liban avait vécue. Nous avons donc appelé toutes les parties à prendre conscience de cela et à établir leurs calculs sur cette base, afin de protéger le Liban et le partenariat qui y prévaut.
Malheureusement, nos efforts n'ont pas été couronnés de succès. L'erreur d'appréciation des deux camps et de leurs alliés a coûté beaucoup et a conduit à une mauvaise gestion du dossier. Le cabinet Mikati n'a pas réussi à mettre en place une stratégie claire dès le départ pour gérer la crise des réfugiés. Nous sommes entrés dans des conflits stériles et des calculs étroits. Nous n'avons pas pu mettre en place des camps centraux, comme l'ont fait d'autres États, ou encore créer une seule référence pour gérer cette affaire. Nous avons sombré dans un chaos et l'État est devenu le maillon faible, le maillon fort étant des associations financées par diverses sources. Certains d'entre nous ont même été jusqu'à faire de la surenchère au point de lancer des slogans racistes contre les déplacés syriens et mettre en garde contre le danger d'une nouvelle implantation dans le pays, sans pour autant proposer d'initiatives réalistes capables de résoudre le problème sur des bases nationales et avec la participation de tous. Le gouvernement actuel n'a pu, par la suite, avancer davantage dans cette direction. Et cela a servi de prétexte à la communauté internationale pour poursuivre sa politique. Entre une mauvaise appréciation et une mauvaise gestion, le Liban continue de soutenir le grand fardeau et de payer le prix de l'incapacité des responsables des parties principales à prendre une décision rassembleuse.
Il est clair qu'il existe beaucoup de craintes sécuritaires, politiques, sociales, sanitaires, environnementales, scolaires, économiques et socio-économiques. Nous parlons d'un million et demi de citoyens syriens sur le territoire libanais, qui abrite près de trois millions et demi de personnes! Les frères syriens partagent notre eau, notre électricité, notre couverture sociale au sein des diverses institutions, les bancs de nos écoles et de nos universités, les routes et les différentes institutions qui s'occupent des doléances des Libanais au quotidien. Plus de quatre ans après le début de la guerre, le fossé s'est creusé au Liban en raison des ingérences dans les affaires du pays et de l'augmentation des craintes. La tension monte et apparaît clairement au quotidien alors que les zones de confrontation sont de plus en plus proches de la frontière libanaise dans plus d'une région. Nous en sommes là. Que faire ?
Le traitement :
Il convient de partir de l'assomption selon laquelle nous allons vers de grandes étapes sanglantes dans la guerre syrienne, qui vont augmenter la crise du déplacement de population, en dépit de tous nos efforts. Si certains s'imaginent que les dernières mesures qui ont été prises sont capables de mettre fin à la crise, ce qui est à mon avis irréaliste, le traitement nécessite les mesures suivantes dans tous les cas :
1 – Il n'est pas trop tard pour s'entendre sur un plan à même d'absorber les retombées du déplacement, loin des surenchères et des calculs étroits.
2 – Il convient de redynamiser l'action des institutions de l'État, notamment sécuritaires et sociales. La coordination sécuritaire entre les services a prouvé que ces derniers possèdent une structure solide et capable si elle est bien gérée. Cela a donné de très bons résultats dans le cadre de la confrontation de certaines situations sécuritaires et d'éventuelles opérations sécuritaires contre le pays. Cela a rassuré tous les Libanais, qui ne veulent pas d'un chaos sécuritaire.
3 – Il est nécessaire de poursuivre le dialogue politique pour décrisper la tension médiatique, politique et sur le terrain dans certaines régions. Il convient également de consolider la stabilité politique et sécuritaire dans le pays, afin de parvenir à profiter du soutien offert aux institutions sécuritaires et à en demander plus, et de consolider la crédibilité de l'État dans la confirmation de son autorité de référence, au moins pour ce qui est de la gestion des affaires quotidiennes des Libanais, et, à travers cela, la gestion du dossier des réfugiés syriens.
4 – Il faut poursuivre le dialogue politique et l'action collective pour éviter toute nouvelle retombée de la guerre syrienne dans le cadre des divisions internes. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les démarches importantes effectuées sur le terrain par le leader national Walid Joumblatt à travers sa visite dans différentes régions, notamment Rachaya et la Békaa-Ouest, jusqu'à Chebaa, et la coordination avec toutes les forces et les composantes politiques qui s'y trouvent, ainsi que sur l'ensemble du territoire libanais, pour éviter des réactions contre les réfugiés syriens face à tout développement qui pourrait se produire en Syrie. Ces derniers ne sauraient supporter le poids de ce qui se produit et ne sont pas des otages au Liban, quels que soient les calculs des forces politiques.
Par ailleurs, ce n'est pas rien que de pouvoir désamorcer les dangers jusqu'à présent, en dépit des mauvaises appréciations et gestions internationales et locales signalées, de sorte que le Liban soit heureusement en sécurité. Cela signifie que nous pouvons, en menant plus d'action collective de ce genre qui absorbe les chocs, continuer à assurer la protection du pays, tout en prenant en considération le fait que les réfugiés syriens ne sont pas dans une situation similaire à celle de nos frères palestiniens. Ils retourneront dans leur pays dès que la guerre y prendra fin.
5 – Dans ce cadre, et avec les développements sécuritaires rapides au niveau de la guerre, le régime subissant nombre d'effondrements et de reculs, la responsabilité d'un changement rapide en Syrie retombe sur la communauté internationale, afin de commencer à ramener les déplacés dans leur pays, même si cette opération doit prendre un certain temps.

 

Les problèmes de la crise des réfugiés syriens

 

Sherif ELSAYED-ALI
responsable du programme Droits des réfugiés et des migrants pour Amnesty International

 

 

Dimanche, dans la vallée de la Békaa, j'ai rencontré un Syrien venu au Liban, après que le conflit en Syrie eut ôté la vie à son frère. Comme 4 millions de ses compatriotes, il été forcé de quitter son pays et de trouver refuge et sécurité dans un des pays voisins. Il est l'un des centaines de milliers de Syriens réfugiés au Liban dont les papiers de séjour ont expiré. Ceux-ci ne peuvent se permettre de payer les coûts de renouvellement de leurs papiers, et ne peuvent obéir aux procédures compliquées imposées par les autorités libanaises. Sans un permis de séjour valide, les réfugiés sont considérés en situation de violation de la loi libanaise et courent le risque d'une arrestation ou d'une détention. Ils sont également interdits d'accès à des services essentiels.
La seule maison que sa fille de sept ans a jamais connue est cet établissement informel où ils vivent – une collection de tentes renforcées en marge d'une ville libanaise de la vallée de la Békaa. Elle est née réfugiée et, à l'instar de milliers d'enfants réfugiés au Liban, elle ne possède aucun certificat de naissance, du fait que la plupart de ces réfugiés ne peuvent obtenir tous les documents requis. Elle pourrait aussi faire partie plus tard de ces 50 % d'enfants syriens réfugiés qui ne reçoivent aucune forme d'éducation.
La véritable tragédie, c'est que les choses ne devraient pas obligatoirement se dérouler de la sorte. Il existe de nombreuses mesures que le gouvernement libanais peut adopter – par exemple : faciliter les procédures actuelles requises pour que les enfants obtiennent un certificat de naissance et que tous les réfugiés puissent avoir un permis de séjour valide. D'autres pays ont aussi beaucoup à faire. La communauté internationale devrait contribuer davantage, à travers la répartition des réfugiés et l'assistance financière, afin de partager la responsabilité du Liban et des autres pays qui accueillent un grand nombre de réfugiés syriens.
La crise des réfugiés syriens est la plus grande mais n'est, en aucun cas, l'unique crise de réfugiés dans le monde. Le jeudi 18 juin, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, UNHCR, a rendu publiques ses statistiques annuelles les plus récentes, montrant qu'actuellement 60 millions de personnes ont été forcées à quitter leurs maisons dans le monde – parmi eux, environ 20 millions de réfugiés ont trouvé refuge dans un autre pays. Le nombre de personnes ayant été déplacées chaque jour en 2014 est quant à lui stupéfiant : 42 500.
Pourtant, la réponse de la communauté internationale à cette crise a été faible. Dans un rapport publié par Amnesty International un peu plus tôt cette semaine, l'organisation a accusé les leaders du monde de se satisfaire d'égoïstes intérêts politiques au lieu de faire preuve de compassion humaine basique envers ceux qui sont dans le besoin. Par exemple, moins de 90 000 endroits de réinstallation ont été promis aux vulnérables réfugiés syriens, et cela constitue uniquement 2,2 % des réfugiés dans la région. La réponse financière, elle, a été tout aussi inadéquate. L'appel humanitaire des Nations unies pour les réfugiés syriens a été financé à seulement 24 % ; celui des réfugiés du Soudan du Sud est actuellement financé à 13 %. Il 'agit d'un échec moral et politique qui n'a d'égal que l'ampleur de la crise.
Je crois que cette négligence de la part de la communauté internationale peut être expliquée par deux facteurs : l'apathie et la lâcheté politique.
De nombreux gouvernements et politiciens ne portent pas assez d'intérêt au problème. Dans le meilleur des cas, ils sont satisfaits de balancer un peu d'argent, mais refusent de réinstaller des réfugiés. Les pays du Golfe, malgré tous les liens linguistiques, géographiques et religieux, n'ont pas offert un seul endroit de réinstallation aux réfugiés syriens.
D'autres leaders, par ailleurs, capitulent ou même adoptent de tout cœur le discours xénophobe proposé par quelques partis politiques et médias. Ils échouent à contester l'idée – qu'ils répandent souvent eux-mêmes – que les réfugiés et les migrants sont responsables des échecs dans les secteurs de l'emploi, de l'éducation et de la santé. Leurs politiques sont aussi irrationnelles que ces idées. Les leaders de l'Union européenne se chamaillent aujourd'hui autour d'une proposition de redistribuer 40 000 réfugiés arrivant à des pays du sud de l'UE, à d'autres membres de l'UE ; plusieurs gouvernements refusant d'accueillir une seule personne. Ils devraient plutôt se poser et réfléchir au message qu'ils envoient à des pays comme le Liban, où un habitant sur cinq est aujourd'hui un réfugié, ou comme la Turquie, le voisin de l'UE, qui a accueilli 1,7 million de réfugiés syriens.
La crise globale des réfugiés ne peut être résolue sur le long terme qu'en adressant ses causes directes : les conflits et les persécutions. Cependant, il y a beaucoup de choses que la communauté internationale peut faire pour réduire les souffrances de millions de réfugiés dans le monde. Ils peuvent réinstaller tous les réfugiés qui en ont besoin – 300 000 chaque année selon nos estimations. Ils peuvent fournir plus de fonds humanitaires et pour le développement, afin d'aider à répondre aux besoins des réfugiés et des pays d'accueil. C'est pour cela que nous avons appelé à la tenue urgente d'un congrès international, afin de répondre à la crise globale des réfugiés. Ce dont nous avons le plus besoin, toutefois, c'est de courage politique. Cela pourrait bien être la chose la plus difficile à réaliser.

 

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Le retour des Syriens
 
Sejaan AzziMinistre du TravailParti Kataëb

Tous les protagonistes sont à bout de souffle. La crise syrienne aggrave de jour en jour la situation de millions de déplacés, mais aussi le sort de millions de Libanais. La réalité dans laquelle le Liban s'inscrit le lie à celle des réfugiés syriens et scelle le sort de son épanouissement politico-économique au...

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"150 réfugiés par mètre carré au Liban" écrit notre Ministre du travail... Soit c'est un problème de relecture à l'OLJ (faute pardonnée, mais bon, quand même...), soit vous n'avez pas voulu modifier son texte. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, tant pour l'OLJ que pour notre Ministre (et pour le gouvernement, et pour le pays). Maintenant, essayez de faire tenir 150 personnes sur un mètre carré. Il va encore falloir construire des tours.

Sophie Schoucair

10 h 07, le 24 juin 2015

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  • "150 réfugiés par mètre carré au Liban" écrit notre Ministre du travail... Soit c'est un problème de relecture à l'OLJ (faute pardonnée, mais bon, quand même...), soit vous n'avez pas voulu modifier son texte. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, tant pour l'OLJ que pour notre Ministre (et pour le gouvernement, et pour le pays). Maintenant, essayez de faire tenir 150 personnes sur un mètre carré. Il va encore falloir construire des tours.

    Sophie Schoucair

    10 h 07, le 24 juin 2015

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