Dernière personne en date recherchée par la justice internationale sur la liste mondiale des dictateurs, le président soudanais Omar el-Béchir est de nouveau, depuis deux jours, sous les projecteurs. Le 4 mars 2009, la Cour pénale internationale (CPI) émet un mandat d'arrêt à son encontre et l'accuse de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. En 2010, le génocide est ajouté aux premiers chefs d'accusation. Il devient le premier chef d'État en exercice sous mandat d'arrêt de la CPI et le premier accusé de crime de génocide devant cette juridiction. Depuis, M. Béchir fait fi des accusations à son encontre, en narguant ouvertement la communauté internationale, comme lors de sa toute récente visite, il y a quelques jours à peine, à Johannesburg, en Afrique du Sud, à l'occasion du 25e sommet de l'Union africaine. L'Afrique du Sud, signataire du traité de Rome (qui entérine la création de la CPI), n'aurait normalement pas dû laisser le dictateur soudanais quitter le pays. Surtout qu'un tribunal sud-africain avait pourtant enjoint aux autorités de Pretoria de le retenir. M. Béchir a pu toutefois quitter impunément le territoire sud-africain pour rentrer chez lui.
La CPI joue-t-elle le rôle d'épouvantail face aux dictateurs africains ?
Béchir oui, Kenyatta non
Pour le chercheur au CNRS-France, Roland Marchal, la CPI n'est pas concernée spécifiquement par les dictateurs, mais par tout dirigeant ou chef d'État qui aurait commis des crimes de masse. Ainsi, certains pays comme le Rwanda, l'Éthiopie ou l'Érythrée peuvent avoir un régime autoritaire, sans relever de la CPI. « Ce que certains espèrent, c'est que les positions de la CPI conduiront à minimiser la fréquence des conflits et des crimes de masse. Depuis la mise en œuvre du traité de Rome, ce n'est pas exactement ce qui se voit sur le continent. Heureusement, il y a peu de conflits où se produisent des crimes de masse comme cela a pu être fait en RDC ou au Darfour », relève M. Marchal.
Les Africains estiment que la CPI et indirectement l'Occident ne les portent pas dans leur cœur. Ils estiment que la CPI concentre ses investigations sur le continent noir. Ce ressentiment est-il pour autant justifié ? Selon le chercheur, il y aurait effectivement une interrogation sur le fait que, dès qu'on évoque les crimes de masse, l'Afrique est automatiquement sous mirador, alors que le Proche-Orient ou même l'Asie ne sont que très peu inquiétés. Or, « on constate qu'il y a des situations qui appelleraient à une réaction. Des situations qui provoquent même la réaction d'organisations de défense de droits de l'homme, mais sans jamais entraîner une démarche propre de la CPI », poursuit le chercheur.
Depuis les débats qui ont suivi l'adhésion de l'Autorité palestinienne au traité de Rome, « il y a eu des guerres en milieu urbain, qui soulèvent d'énormes questions. Sauf que nous pouvons remarquer que la timidité de la CPI sur ces problèmes-là n'existe pas dès lors qu'il s'agit de l'Afrique », souligne-t-il.
Omar el-Béchir compte parmi ses alliés la Chine, son principal partenaire économique, l'Union africaine ainsi que la Ligue arabe. Cette dernière a fait le choix de ne pas donner suite au mandat international, protégeant de facto le dictateur, alors qu'elle n'a pas hésité à lâcher un autre dictateur, le président syrien, Bachar el-Assad. Selon M. Marchal, il faut également regarder du côté de l'Union africaine.
« Je crois que les Occidentaux n'ont pas vu et ne veulent pas voir le fait que le régime d'Omar el-Béchir n'a pas été aussi isolé qu'on le pense. Il a eu de très nombreux soutiens en Afrique, et pas uniquement du côté du monde arabe », rappelle-t-il.
Mais selon le chercheur, la question qui doit être soulevée est « pourquoi la CPI n'est pas vue comme un instrument légitime de la communauté internationale ? On pourrait aussi se poser la question de savoir pourquoi y a-t-il une telle mobilisation occidentale pour le cas de Omar el-Béchir ? Pourquoi les Occidentaux ont été aussi discrets quand la CPI a abandonné toutes les poursuites contre le président kényan, Uhuru Kenyatta. C'est dommage ».
(Lire aussi : Omar el-Béchir, le survivant qui défie la justice internationale)
« Les Occidentaux n'ont pas peur des dictateurs »
À la surprise générale, l'Afrique du Sud, qui s'était toujours montrée exemplaire sur les questions relatives aux droits de l'homme (depuis la fin de l'Apartheid), n'a pas souhaité arrêter le président soudanais, malgré son adhésion au traité de Rome. Ce geste serait, premièrement, dû au fait que ce pays est lié à l'Union africaine par un accord qui permet la libre circulation des chefs d'État. « Ils avaient effectivement à choisir entre deux accords internationaux. Ils l'ont fait », souligne Roland Marchal.
Deuxièmement, nombre de chefs d'État en Afrique seraient très hostiles à la CPI « pour de bonnes et de très mauvaises raisons, et l'Afrique du Sud, mais également Nkosazana Dlamini-Zuma, l'épouse de l'ancien chef de l'État Jacob Zuma, présidente de la commission de l'Union africaine, doivent certainement prendre en compte cette hostilité pour pouvoir avoir une influence sur le continent ».
Enfin, au-delà du gouvernement sud-africain, le parti dominant en Afrique du Sud, l'ANC, « n'apporte pas un soutien massif et inaltérable à la CPI, comme beaucoup de partis d'ailleurs sur le continent africain », affirme le chercheur.
Alors que la CPI joue au chat et à la souris avec le dirigeant soudanais, les Occidentaux seraient-ils moins enclins, de nos jours, à s'afficher aux côtés de certains dictateurs ? Ou ne serait-ce pas plutôt parce que les grandes puissances n'ont plus rien à espérer du Soudan... « Les Occidentaux n'ont pas peur des dictateurs, ils n'arrêtent pas d'en fréquenter ! Il y a effectivement des chefs d'État qui commettent des fautes et qui peuvent être inquiétés par la CPI, et il y en a à qui on pardonne, et d'autres à qui on ne pardonne pas, parce qu'on n'a pas les mêmes intérêts. On a laissé l'instruction de la CPI vis-à-vis de deux dirigeants kényans se déliter simplement, car le calcul occidental a été que ces deux gouvernants étaient capables de lutter contre le terrorisme et qu'il valait mieux traiter avec eux, que de provoquer une crise », estime M. Marchal.
Sur un autre plan, l'inculpation d'Omar el-Béchir en juillet 2008, confirmée en mars 2009, n'a « absolument pas aidé à apaiser la situation au Darfour, car c'était quand même lié à ce conflit-là, et que d'une certaine façon les Occidentaux ont abandonné leurs ambitions de régler ce problème-là », explique-t-il.
Le chercheur déplore le fait que le Soudan soit toujours en guerre, que la population meurt, que les refugiés aient atteint un nombre astronomique et qu'on continue finalement de se contenter d'une inculpation qui ne réglerait rien. Ce qui m'inquiète, c'est moins la situation d'Omar el-Béchir que celle de la population soudanaise. Je suis très inquiet parce que, avec cette inculpation, on n'a pas fait de véritable pas politique pour un règlement du conflit au Darfour et que, depuis 2011, on est face à une multiplication de conflits dans le Sud, et Omar el-Béchir est toujours président. D'une certaine façon, cette descente aux enfers de ce pays et les souffrances de cette population n'ont pas été stoppées.
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L'Afrique, vivier de dictateurs
Les pays d'Afrique ayant à leur tête un dictateur.
Qui n'a pas en mémoire l'image de l'Ougandais Amin Dada, le plus dément, le plus sanguinaire et le plus friand de petits enfants (cannibale présumé) des dictateurs africains ? S'il y a un continent où les chefs d'État s'accrochent au pouvoir comme des arapèdes à leur rocher, élus parfois... ou pas, c'est bel et bien l'Afrique. Indéracinables, infréquentables, de moult crimes inavouables dans le placard, il n'en demeure pas moins qu'au XXIe siècle, il en subsiste toujours, dont certains sont même aimés de leur peuple. L'Érythrée, le Tchad, l'Angola, le Soudan, le Rwanda, la Gambie, le Swaziland, la Guinée équatoriale, le Congo et le Zimbabwe ont tous un dictateur à leur tête.
Denis Sassou-Nguesso, Congo
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Denis Sassou-Nguesso est un militaire et homme politique congolais né le 23 novembre 1943. Il a été président de la République populaire du Congo de 1979 à 1992 et est le président en exercice de la République du Congo depuis 1997. Au cœur de nombreux scandales financiers : factures d'hôtels extravagantes, appropriation des aides humanitaires et de nombreux comptes en France (112 au nom de sa famille), ainsi qu'à Monaco sous le prête-nom de sa fille.
Idriss Déby Itno, Tchad
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Idriss Déby Itno, né en 1952, est un homme politique tchadien. Le 2 décembre 1990, avec l'appui de la France, il chasse du pouvoir son ancien compagnon d'armes Hissène Habré et le remplace le 4 décembre avec le titre de président du Conseil d'État. Il est ensuite désigné président de la République du Tchad le 28 février 1991. En 23 ans, aucune élection libre, digne des exigences démocratiques, n'a été organisée au Tchad. Le peuple tchadien continue de subir de nombreuses humiliations et atteintes aux droits de l'homme.
Paul Kagame, Rwanda
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Paul Kagame, né le 23 octobre 1957, est le président de la République du Rwanda depuis le 17 avril 2000. En 2007, un an après une enquête française accusant M. Kagame d'avoir commandité l'attentat du 6 avril 1994 (contre l'ancien président Juvénal Habyarimana), et s'appuyant sur des éléments de cette enquête, la justice espagnole met en cause le chef de l'État rwandais et son entourage. Le président, dont la responsabilité serait désignée sans ambiguïté, est épargné, pour l'instant, en raison de son statut de chef d'État en exercice.
Mswati III, Swaziland
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Mswati III (né prince Makhosetive Diamini le 19 avril 1968) est l'actuel roi du Swaziland. Il est le 67e fils du roi Sobhuza II. Il succède à son père en 1986 après une période de régence de quatre ans. C'est un souverain tyrannique qui se permet tous les excès : pour ses 40 ans, 41 BMW ont été livrées à son palais, alors que son pays est extrêmement pauvre. 40 % de la population swazie est infectée par le sida.
Robert Mugabe, Zimbabwe
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Robert Gabriel Mugabe, né le 21 février 1924, est un homme d'État zimbabwéen. Après avoir été Premier ministre de 1980 à 1987, il est élu président de la République le 31 décembre 1987, date à partir de laquelle le régime prend un tournant dictatorial. Il est le plus âgé des chefs d'État d'Afrique et du monde en exercice. Ses revenus en tant que chef de l'État, pour l'année 2015, sont estimés à 46 millions d'euros.
Yahya Jammeh, Gambie
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Yahya Jammeh est un officier et homme politique gambien, né le 25 mai 1965, dans une famille de paysans. Au pouvoir depuis le 22 juillet 1994 après un coup d'État, il est président de la République de Gambie depuis le 18 octobre 1996. Jammeh est classé comme un prédateur de la liberté de la presse par l'organisation Reporters sans frontières. Le 17 mai 2015, il menace d'égorger tous les homosexuels qui voudraient vouloir se marier.
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Après l'affront à la CPI, l'Afrique du Sud devra rendre des comptes
L'heure des explications a sonné pour l'Afrique du Sud après l'aller-retour du président soudanais Omar el-Béchir à Johannesburg pour le sommet de l'Union africaine au nez et à la barbe de la Cour pénale internationale (CPI) qui le recherche pour génocide au Darfour. Ainsi, d'ici à la semaine prochaine, le gouvernement va devoir justifier pourquoi le dirigeant soudanais a pu quitter le pays lundi sans encombre – qui plus est, depuis, une base militaire. Le président Béchir était pourtant frappé d'une interdiction de sortie du territoire obtenue la veille par une ONG sud-africaine qui avait saisi en urgence les tribunaux.
De l'avis de plusieurs analystes, l'Afrique du Sud, poids-lourd économique dont les rouages démocratiques fonctionnent bon gré, mal gré, a délibérément choisi de ne pas arrêter M. Béchir pour rallier la fronde des dirigeants africains contre la CPI, critiquée pour ne s'en prendre qu'à des représentants du continent. « Nous allons attendre (...) que l'État explique pourquoi il n'a pas fait respecter l'ordre de la justice, a déclaré l'ONG qui avait saisi la justice, le Centre des litiges d'Afrique australe (SALC). Nous envisageons sérieusement de poursuivre l'État pour entrave à la justice. »
Muet pendant 48 heures, le gouvernement de Jacob Zuma a fait le gros dos et rompu le silence à l'heure où le président Béchir était déjà rentré à Khartoum. Pretoria a affirmé sur un ton laconique vouloir se plier aux injonctions de la justice et livrer les explications demandées sous huitaine.
Ce légalisme de façade ne devrait cependant tromper personne. « La décision de l'Afrique du Sud de ne pas arrêter Béchir amplifie les tensions qui fermentent depuis quelque temps déjà entre l'Union africaine et la CPI », a commenté Netsanet Belay, un responsable d'Amnesty International. « C'est d'autant plus décevant quand on connaît le rôle joué par l'Afrique du Sud lors de la création de la CPI (en 2002). Voilà que maintenant ils ont manqué à leurs obligations. On espérait qu'ils prendraient le parti des victimes de la crise au Darfour. L'Afrique du Sud, en tant que pays ayant émergé d'un passé douloureux, est mieux placée que quiconque pour comprendre », a-t-il ajouté.
Le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu a également déploré le séjour de M. Béchir à Johannesburg. Mais, a-t-il mis en avant, le fait que plusieurs grandes puissances n'ont toujours pas rejoint la CPI a « créé les conditions pour que le gouvernement sud-africain autorise Béchir à venir »... Les États-Unis, la Russie et la Chine notamment n'ont pas ratifié le traité instituant la CPI.
Le Botswana déçu
Hier, les dirigeants de l'ANC, le parti au pouvoir, ont tenté de se défausser en affirmant que formellement M. Béchir n'était pas l'hôte de l'Afrique du Sud, mais de l'Union africaine, non membre de la CPI et libre d'inviter qui elle veut.
En fait, l'Afrique du Sud a toujours refusé la perspective que le président Béchir soit déféré aux juges de La Haye qui le recherchent pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le conflit du Darfour. Mais, jusqu'à présent, la diplomatie sud-africaine s'était gardée de toute confrontation directe avec la CPI, recommandant au dirigeant soudanais de rester chez lui, par exemple pour ne pas gâcher le Mondial-2010 de football. Elle a réaffirmé avec constance, en 2008 déjà, du temps du président Thabo Mbeki, médiateur au Soudan, qu'une arrestation de M. Béchir nuirait à la paix au Soudan où le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et de deux millions de déplacés.
En outre, une partie de l'ANC s'est faite à l'idée que « beaucoup de pays africains trouvent que la CPI a une attitude biaisée vis-à-vis du continent », selon les termes d'un éditorial de The New Age, le quotidien proche du parti. Beaucoup de pays africains, mais pas tous : le Botswana a fait entendre sa différence hier en déclarant dans un communiqué : « Nous sommes déçus que le président Béchir ait évité une arrestation en écourtant sa venue et en fuyant, par peur d'être arrêté. »
Hier, plusieurs médias sud-africains avaient fait état de pressions sur les troupes sud-africaines de maintien de la paix présentes au Darfour alors même que M. Béchir était toujours à Johannesburg. Ces allégations ont été catégoriquement démenties hier tant par l'armée sud-africaine que la Force Onu-UA pour le Darfour (Minuad) et les Nations unies. « Nous pouvons confirmer que les troupes sud-africaines de la mission n'ont pas été prises en otages ni menacées, comme l'ont rapporté » certains médias, a déclaré hier le porte-parole adjoint de l'Onu Farhan Haq.
(Source : AFP)
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UN AUTRE QUI SE PREND DE DIVIN... COMME CEUX DE CHEZ NOUS... ET QU'IL FAUT DESCENDRE DE SON FAUX PIÉDESTAL !
19 h 56, le 17 juin 2015