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Moyen Orient et Monde - Trois questions à... Roland Marchal, chercheur au CNRS

La carte régionale, un joker pour le régime de Khartoum

L'habileté consommée à jouer des rivalités au Sud et une politique régionale active semblent réhabiliter le régime de Khartoum.

Les élections consacrent la victoire de Omar el-Béchir, président du Soudan depuis 26 ans. Ashraf Shazly/AFP

Dans un pays historiquement miné par les questions identitaires, religieuses et ethniques, doublées par une situation socioéconomique génératrice de conflits, la réélection de Omar el-Béchir, président depuis 26 ans, interpelle. La reconduction du dirigeant visé par deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité (2009) et génocide (2010) va-t-elle relancer la dynamique conflictuelle au Soudan ? Roland Marchal, chercheur au CNRS en France et spécialiste de la Centrafrique et du Soudan, répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Comment analysez-vous le contexte international qui a favorisé la réélection d'un dirigeant accusé de crimes de guerre ?
Rappelons déjà qu'en 2010, alors que les élections étaient observées par l'ensemble de la communauté internationale, Omar el-Béchir avait été réélu. Je crois que les Occidentaux n'avaient pas pris la mesure que le parti au pouvoir a des soutiens significatifs au sein de la population, d'une part, et, d'autre part, que la diplomatie soudanaise est parvenue à sortir le régime de l'isolement, un régime qui a des partenaires sur le continent africain et maintient des relations poussées avec la Chine. Ils pensaient que leur stratégie d'isolement allait conduire à son effondrement, mais cela n'a pas été le cas. Il faut tenir compte de l'importance des relations avec Pékin. Le Soudan a été un cas d'expérience réussie du développement des relations chinoises avec le continent africain sur le plan de la quête des matières énergétiques et minérales, ainsi que des investissements pour la construction des infrastructures. Néanmoins, en 2008, le gouvernement chinois a compris qu'il devait agir de telle sorte à ne pas porter la responsabilité d'éventuelles crises, mais il n'a pas cessé d'être un soutien au régime de Khartoum. La politique plus active de la Chine pour faciliter les négociations n'est pas un changement de paradigme. Elle s'explique par le fait que Pékin ne veut pas être considéré comme responsable des crises en dernière instance.

 

(Portrait : Omar el-Béchir, le survivant qui défie la justice internationale)


La politique de marginalisation d'une partie de la population compte parmi les causes des cristallisations internes. Cette réélection risque-t-elle d'aggraver la situation ?
Il est vrai que l'on assiste à une radicalisation depuis 2011, période à laquelle la faction militaro-sécuritaire la plus dure du Congrès national (le parti au pouvoir) prend un ascendant dans la direction du gouvernement et de la présidence. La politique de marginalisation risque donc de se poursuivre puisque la crise au Soudan du Sud a permis de relancer l'influence de Khartoum. Surtout que le régime de Omar el-Béchir aime jouer les cartes régionales pour se rendre indispensable. Il a facilité les négociations entre l'Égypte et l'Éthiopie dans la construction d'un barrage important utilisant les eaux du Nil, et ces deux alliés de l'Occident lui sont aujourd'hui redevables. Dans l'exemple de la campagne au Yémen, on a pu constater que l'Arabie saoudite a convaincu Khartoum d'abandonner son alliance avec l'Iran alors que, depuis 1991, il entretient des relations significatives avec Téhéran, notamment sur le plan sécuritaire (licence d'équipement militaire). Cela montre que Khartoum change de politique, et se rapproche de l'Arabie saoudite et de l'Égypte en espérant en contrepartie une aide substantielle.

Quelles répercussions cette réélection pourrait-elle avoir sur les relations du régime de Khartoum avec le Soudan du Sud ?
Le gouvernement de Salva Kiir et l'opposition entretiennent aujourd'hui tous deux des relations avec Khartoum qui peut jouer de leurs divisions. La persistance de la crise au Sud lui est donc profitable. Cette situation renforce le pouvoir de Khartoum qui peut poursuivre la politique d'élimination des éléments les plus hostiles au régime. On constate aujourd'hui que même la position des pays occidentaux est en train d'évoluer. Le mythe du Soudan du Sud démocratique et populaire est fini. Il y a une réévaluation de la position occidentale à l'égard de Khartoum qui, sans être plus conciliante, est néanmoins plus réaliste.

 

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