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Moyen Orient et Monde - Entretien

« Le seul véritable perdant, c’est Erdogan »

Jean Marcou, spécialiste de la Turquie qui enseigne à Sciences Po Grenoble, répond aux questions de « L'Orient-Le Jour » sur les raisons et les conséquences du pari perdu du président aux législatives.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan. AFP / ADEM ALTAN

Q. Comment expliquer l'insuccès d'Erdogan ? Est-ce une défaite personnelle ou celle de tout un parti ?
R. C'est avant tout une défaite personnelle pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Il s'est engagé dans la campagne avec des objectifs personnels. Il voulait obtenir la majorité des deux tiers pour modifier la Constitution afin de passer à un régime présidentiel. Pendant des semaines et des mois, il a dû convaincre son propre parti. Parmi les dirigeants de son parti, beaucoup n'étaient pas enthousiastes à cette idée d'hyperprésidentialisation, mais ils ont fini par s'y rallier.
C'est également une défaite tactique pour le parti, puisque non seulement l'AKP (Parti de la justice et du développement) n'a pas obtenu la majorité des deux tiers, mais en plus il n'a pas réussi à conserver sa majorité absolue. L'AKP n'a pas pris au sérieux la décision du HDP (Parti démocratique du peuple, kurde) de présenter des listes au nom du parti et non plus des candidats indépendants. C'était un pari du côté du HDP, car s'il n'obtenait pas les 10 %, les voix seraient essentiellement revenues à l'AKP. Mais en obtenant plus de 10 %, le HDP a créé un séisme dans le système politique turc et a permis d'empêcher la présidentialisation du régime.

 

(Lire aussi : Le président turc appelle à la formation d'un gouvernement de coalition)

 

Les résultats obligent le président turc à former un gouvernement de coalition. Qui va accepter de rentrer dans cette coalition ?
Le problème est de savoir comment va être négocié ce gouvernement de coalition. Tous les partis politiques ont dit qu'ils ne participeraient pas à une coalition avec l'AKP. Tout va dépendre en fait de savoir si l'AKP est capable de s'émanciper d'Erdogan. Le problème, c'est que tout le monde a gagné, d'une certaine manière. Le seul véritable perdant, c'est Erdogan. L'AKP est attaché à la personne d'Erdogan. Est-ce que le parti peut continuer sans Erdogan ? Cela ne paraît pas simple. Mais le résultat des élections risque de provoquer des divisions et peut amener de nouveaux candidats sur le devant de la scène.

Le Premier ministre Ahmet Davutoglu a-t-il une carte à jouer ?
Ahmet Davutoglu va être chargé de former le gouvernement de coalition parce qu'il est formellement le chef de l'AKP. M. Davotuglu est un diplomate. Il a été extrêmement prudent et réticent à cette présidentialisation à outrance souhaitée par M. Erdogan, mais a lui aussi fini par s'y rallier. Le président Erdogan l'a choisi pour lui succéder (à la tête du gouvernement), mais, d'une certaine manière, la défaite d'Erdogan lui permet de se réaffirmer. D'ailleurs, dimanche soir, il a prononcé un discours du balcon (au siège du parti), ce qui est extrêmement symbolique puisqu'auparavant, Erdogan faisait cela après chaque victoire. De son côté, (le président) s'est contenté d'une déclaration écrite.


(Lire aussi : Turquie : les scénarios possibles après les législatives)

 

Le résultat des élections législatives peut-il avoir une influence sur la politique étrangère de la Turquie ?
Il pourrait y avoir un effet sur la politique étrangère de la Turquie. Cette dernière a beaucoup changé au cours de ces trois dernières années. Beaucoup de choix, de positionnements assez radicaux ont été le fait d'Erdogan. Sur de nombreux dossiers, par exemple la Syrie, il a manqué de réalisme et a préféré une option idéologique et radicale. Or, la majorité des Turcs est contre une implication de leur pays dans le conflit syrien. D'autant plus que ce conflit a des répercussions directes sur le pays qui accueille pas moins de 2 millions de réfugiés syriens. Il est à noter que la récente affaire révélant que les camions turcs livrent des armes aux rebelles syriens a été très mal perçue par une partie de l'électorat turc.
Mais il ne faut pas oublier les motifs économiques, qui restent l'une des principales déterminantes des résultats des élections en Turquie. En 2011, la Turquie avait le meilleur taux de croissance au monde. En 2015, la croissance est en dessous de 3 %, alors que le chômage, l'inflation et le déficit commercial progressent.

 

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