Une décennie après son assassinat à Beyrouth, dont il était devenu l'historien, Samir Kassir avait une pensée qui reste pertinente aujourd'hui encore, à plus d'un titre.
J'en retiendrai ici trois réflexions.
La première est en relation avec sa critique du système politique libanais et de la médiocrité de la classe politique. En fait, Samir fut l'un des premiers à appeler à l'élaboration d'un programme de réforme du système politique et au dépassement du confessionnalisme, durant le « soulèvement de l'indépendance », en 2005. Il a, à maintes reprises, évoqué la nécessité de renouveler l'élite politique et mener une intifada dans l'intifada afin de transformer la deuxième indépendance du Liban, celle de sa libération de l'hégémonie du régime syrien, en une opportunité suscitant un changement dans la culture politique et son éthique.
Si cela était vrai il y a dix ans, ça l'est encore plus aujourd'hui au vu des conditions dans lesquelles se trouvent l'État libanais et ses institutions ainsi que le niveau du discours et des pratiques politiques dominants.
La deuxième réflexion a trait à son farouche soutien à la cause démocratique syrienne et son rejet du racisme auquel font face les Syriens au Liban.
Dans ses écrits entre 1993 et 2005, Samir a toujours considéré que la lutte des Syriens contre le régime assadien n'est pas seulement une des causes humaines et arabes les plus nobles, mais qu'elle était aussi une cause que les démocrates et républicains libanais doivent soutenir car l'indépendance de leur pays en dépend. Ainsi, Samir a toujours figuré parmi les signataires des lettres de soutien adressées aux opposants syriens et il a toujours défendu leur lutte auprès des médias et dans les cercles intellectuels arabes et français.
Dans le même temps, il n'a jamais manqué d'exprimer son rejet des manifestations discriminatoires vis-à-vis des travailleurs syriens au Liban. Dans ses articles et depuis les tribunes de la place des Martyrs, il a rappelé régulièrement la nécessité de distinguer entre le régime syrien et ses services de renseignements et le grand peuple syrien. Il avait condamné les agressions contre les travailleurs syriens et les slogans racistes à leur égard que certains scandaient à Beyrouth.
Que dire aujourd'hui du courage et des revers de la révolution syrienne d'un côté et des conditions des réfugiés syriens au Liban et de la discrimination qu'ils subissent, sans sous-estimer les défis que leur présence massive impose, de l'autre ? Encore une fois, Samir reste d'actualité.
La troisième, c'est son combat contre le culturalisme et la bêtise auxquels les Arabes sont confrontés, sans tomber dans la victimisation et sans justifier la déresponsabilisation que certains intellectuels et politiques arabes adoptent.
Dans son dernier livre Considérations sur le malheur arabe, Samir posait un regard lucide sur la réalité du monde arabe tout en s'élevant contre le culturalisme et le fatalisme, et contre la victimisation. Il avait réaffirmé que modernité et arabisme ne sont pas incompatibles. « On parle si mal du monde arabe qu'il m'a semblé nécessaire de remettre à plat certaines conceptions, notamment celle qui voudrait que les Arabes soient condamnés à toujours vivre dans les conditions dramatiques du présent. » Ainsi présentait-il son essai. Le relire de nouveau, suite aux révolutions qui secouent la région depuis 2011, rappelle que le combat contre le « malheur arabe » est possible et agissant, malgré les contre-révolutions, la barbarie et l'horreur en Syrie et en Irak.
Sur ces trois questions, comme sur les questions palestiniennes, la lucidité de Samir n'a pas pris une ride dix ans après son assassinat. Elle sonne comme un rappel de l'intelligence de son engagement et, paradoxalement, comme une des raisons pour lesquelles il a été exécuté par les ennemis de la pensée libératrice.
Dans l'attente que justice soit faite, venant d'un tribunal, ou peut-être de Damas même, libéré du « tueur en Syrie », la mémoire de Samir Kassir se posera toujours comme un des jalons de notre futur « projet moderne et démocratique »...
commentaires (2)
LA MÉDIOCRITÉ DE LA CLASSE POLITIQUE... BIEN PENSÉ ET BIEN DIT ! ET çA CONTINUE... ET çA BLESSE... ET çA MÈNE LE PAYS AUX CATASTROPHES ! QUI SERAIT L'HERCULE QUI NETTOYERAIT LES ÉCURIES D'AUGIAS ??? DES ACHETÉS ET DES VENDUS, NOUS EN AVONS À LA PELLE... DE VRAIS HOMMES, NOUS EN MANQUONS TERRIBLEMENT ! DE LÀ À VOIR SURGIR UN HERCULE LIBANAIS... SEULE L'ESPÉRANCE NOUS RESTE...
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 41, le 02 juin 2015