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À La Une - Spécial centenaire du génocide arménien

Aline Kamakian et Serge Macaron : porter haut les traditions culinaires arméniennes

 

« Malgré la catastrophe, les Arméniens ont réussi à conserver leur culture, leurs traditions, leurs recettes. Cela relève du génie. »
Assise sur une banquette mauve de son restaurant à Gemmayzé, Aline Kamakian, la quarantaine énergique, se souvient : « Mon grand-père paternel était tailleur de pierre. Ma grand-mère faisait la vaisselle pour l'armée française. Mon grand-père est le seul survivant de sa famille. Ma grand-mère a survécu avec une sœur. Ils sont arrivés au Liban à pied, en traversant le désert, par Alep. »
À côté d'elle, Serge Maacaron, son cousin et copropriétaire avec elle du restaurant, poursuit : « Notre grand-mère maternelle a perdu ses parents durant les massacres en 1915. Notre grand-père avait 9 ans quand il a pu quitter l'Arménie à bord d'un bateau français, direction Chypre. Il est le seul survivant de sa famille. Nos grands-parents se sont rencontrés dans un orphelinat à Chypre, construit pour prendre en charge les enfants arméniens rescapés. Quand mon grand-père a commencé à travailler comme maître d'hôtel au Saint-Georges, ils se sont installés au Liban. »


Aujourd'hui, c'est non sans une certaine fierté que l'héritière de ces survivants qui ont tout perdu « raconte cette culture à travers nos petits ventres ». L'aventure Mayrig, petite maman en arménien, en hommage à sa grand-mère qui a légué ses recettes, commence il y a 12 ans, avec le cousin d'Aline, Serge Macaron. Mais la passion pour la bonne chair préexistait.
À 13 ans, Aline rêve d'une mobylette. Impossible pour son père, impensable, inimaginable pour une jeune fille comme il faut. Décidée – déjà ! –, l'adolescente trouve le moyen d'obtenir ce qu'elle veut de son père. Ce sera via la cuisine. Chaque jour, sa mère est aux fourneaux à préparer de quoi régaler son mari et ses amis le soir.
Un jour que sa mère décide de préparer du souberek, la version arménienne des lasagnes, un plat qui nécessite 7 heures de travail, Aline se lance, commence à étaler les fines feuilles de pâte, en suivant les recommandations avisées de sa mère. Elle en déchire quelques-unes, en réussit deux ou trois. « Le soir, quand ma mère a mis le souberek devant mon père, elle lui a dit : Voilà, c'est ta fille qui l'a préparé. Il fallait voir la fierté de mon père. À ce moment-là, il m'a autorisée à conduire une mobylette », dit-elle. Et Aline a commencé à apprendre les recettes arméniennes avec sa mère, le mante, le itch, le keufteh... Autant de saveurs et d'arômes transmis de génération en génération, malgré les aléas de l'histoire.


Aline Kamakian a 17 ans quand elle perd son père. Couturier, il rêvait d'avoir un restaurant pour servir amis et famille dans la convivialité. Ce rêve est resté en elle, quelque part. Et il s'est concrétisé en 2003, à la suite d'un déjeuner dominical chez son cousin, Serge Maacaron. Pourquoi n'y a-t-il pas de restaurant arménien à Beyrouth, se sont-ils demandé ? Yalla ! Le lieu, une ancienne maison libanaise, est trouvé en quelques jours. Restait les cuisinières. « Il n'y a pas de chefs arméniens. Ça n'existe pas. Alors nous avons recruté des mamans, des femmes au foyer. Elles ont ainsi un emploi stable. Mais surtout, ce sont elles qui donnent toute son âme à Mayrig. Tel est le secret de notre réussite », révèle la propriétaire du restaurant.
À Mayrig, les recettes arméniennes sont fidèles à la tradition. À Batchig, par contre, ouvert il y a deux ans à Dbayé, « les mamans » revisitent la cuisine arménienne, en y ajoutant des saveurs méditerranéennes. Mais, dans les deux restaurants, une même envie, un même désir, porter haut dans le monde les couleurs arméno-libanaises, en ouvrant des franchises. Car Aline en est convaincue : « La guerre et les massacres ne font que perpétuer un cercle vicieux. Aujourd'hui je te tue, demain tu me tueras. Conserver notre culture, notre patrimoine, c'est ce qui nous sauvera, nous et les autres minorités de la région. »
Épinglée sur le revers de sa veste, Aline Kamakian arbore la fleur à cinq pétales, l'emblème choisi pour symboliser le centenaire du génocide arménien : « Se souvenir, ne pas oublier. » En cuisine, le itch et le mante sont prêts pour le service de midi. Les femmes, tablier et toque sur la tête, tournent et retournent la marmite de hrissé, mélange de viande et de boulgour. « C'est un plat de deuil, explique Aline Kamakian. Chaque avril, il est à la carte, pour commémorer le génocide. Cette année aussi. »

 

 

Notre supplément spécial centenaire du génocide arménien, "De la douleur à la renaissance" est disponible ici et dans les kiosques au Liban

 

Au sommaire, notamment

-Les petits-enfants du génocide

-Le cri du coeur d'un Arménien "comme les autres"

-Les artisans résistent aux importations chinoises

-Les Hadidian et l'histoire de la joaillerie au Liban

-Rencontre avec Paul Haidostian, président de l'Université Haigazian

et bien d'autres articles, interviews et reportages encore.

 

 

 

 


 
« Malgré la catastrophe, les Arméniens ont réussi à conserver leur culture, leurs traditions, leurs recettes. Cela relève du génie. »Assise sur une banquette mauve de son restaurant à Gemmayzé, Aline Kamakian, la quarantaine énergique, se souvient : « Mon grand-père paternel était tailleur de pierre. Ma grand-mère faisait la vaisselle pour l'armée française. Mon grand-père...

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