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Moyen Orient et Monde - Décryptage

« En Irak, les chiites font tout pour éviter de renforcer un nouveau leadership sunnite »

Quels que soient ses résultats à court terme, l'opération de reconquête menée par l'armée irakienne et par les milices chiites soutenues par l'Iran pourrait avoir des conséquences désastreuses
à moyen terme.

Des Irakiens sunnites fuyant la ville de Ramadi prise par l’organisation de l’État islamique. Ahmad al-Rubaye/AFP

Davantage que la question de la victoire contre l'organisation de l'État islamique (EI), c'est bien toute la problématique du rapport de force entre sunnites et chiites qui se joue actuellement en Irak. Quels que soient ses résultats à court terme, l'opération de reconquête menée par l'armée irakienne et par les milices chiites soutenues par l'Iran pourrait avoir des conséquences désastreuses à moyen terme. En continuant d'occulter les raisons initiales du succès de l'EI, à savoir la politique répressive que le gouvernement de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki a menée contre la communauté sunnite, les forces chiites présentes sur le terrain ne font que renforcer la discorde confessionnelle. Sans une intégration progressive des forces sunnites, l'opération pourrait finalement contribuer à accélérer le processus de démembrement de l'État.

« L'armée est considérée comme une milice chiite. Elle est gangrénée par la corruption et infiltrée par les miliciens. À côté de cela, les milices qui interviennent sur le terrain, principalement la milice Badr et le courant sadriste, obéissent aux ordres du commandement iranien », souligne Myriam Benraad, politologue spécialiste de l'Irak et chercheuse au Ceri-Sciences po et à l'Iremam. « Les forces de l'opération de reconquête ne sont pas accueillies comme des libérateurs dans les régions reprises à l'EI. D'autant que dans la province de Diyala, les milices chiites se sont livrées à des campagnes de représailles contre les villes et villages sunnites accusés d'être venues en aide à l'EI. Face à cette montée aux extrêmes, l'ayatollah Ali Sistani essaye de se placer comme un arbitre appelant à l'unité de l'État. Mais le fait qu'il ait évolué en marge de la vie politique pendant une longue période diminue fortement son influence », note Mme Benraad.

(Lire aussi : En Irak, le site d'un massacre de l'EI devient un lieu de pèlerinage)

Spécificité de Ramadi

Sur le terrain, si l'opération de reconquête a permis de rependre la ville de Tikrit, les jihadistes de l'EI n'ont pas tardé à répondre en s'emparant des villes de Bajji et de Ramadi. « L'opération de reconquête de Mossoul était prévue pour le printemps, mais personne ne semble actuellement prêt pour une opération d'une telle ampleur. Il faudra reprendre Bajji avant de reprendre Mossoul, ce qui apparaît impossible à réaliser dans les mois qui viennent. À cause des chaleurs de l'été, l'opération devrait être reportée à la rentrée. En attendant, la reconquête de la province de Anbar est peu concluante. Cette province est la plus tribale d'Irak, mais les tribus y ont des liens versatiles avec les jihadistes de l'EI. En effet, les tribus s'étaient alliées à l'EI parce qu'elles avaient reçu en retour la promesse d'être réinstituées, mais l'EI n'a pas tenu sa promesse. À Ramadi, les tribus étaient prêtes à collaborer avec le gouvernement pour lutter contre l'EI. En ce sens, la prise de cette ville par les jihadistes enterre quasi totalement les possibilités d'une rébellion sunnite dans la région, à l'image de ce qu'avaient pu être les forces de la Sahwa (milices sunnites anti-Qaëda) auparavant », explique Mme Benraad.

Carotte à l'Iran

« Tout l'enjeu actuel en Irak est de faire revenir les sunnites dans le gouvernement et dans l'armée. Cela fait des mois que les tribus réclament des armes, mais ni les États-Unis ni Bagdad ne les fournissent, malgré leurs promesses de le faire. Dans le même temps, l'Iran fait pression pour que ses armes ne soient pas livrées. Les chiites ont peur qu'émerge une force armée sunnite. Même s'ils disent vouloir sécuriser la région et renforcer l'unité nationale, ils font tout pour éviter de renforcer un nouveau leadership sunnite. À ce titre, l'opération de reconquête pourrait déboucher sur une situation encore pire qu'avant l'offensive de l'EI pour les sunnites. Moins qu'une minorité, ils pourraient devenir des sous-citoyens », note la chercheuse.
Enfin, selon elle, l'Iran est en position de force militairement et n'a aucun intérêt à revoir ses ambitions en Irak à la baisse. Cela dit, elle estime qu'un accord sur le nucléaire entre l'Iran et les 5 + 1 pourrait déboucher sur une période de détente. « Cet accord, c'est une carotte donnée à l'Iran pour qu'il fasse des concessions. En cas de levée véritable des sanctions, l'Iran pourrait être plus à même de négocier pour contribuer à trouver une sortie de crise, tout en préservant ses intérêts, en Syrie, en Irak et au Yémen. »


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commentaires (2)

DANS çA ILS ONT RAISON. ILS AVAIENT GOÛTÉ L'AMER AVEC SADDAM...

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 28, le 20 avril 2015

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Commentaires (2)

  • DANS çA ILS ONT RAISON. ILS AVAIENT GOÛTÉ L'AMER AVEC SADDAM...

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 28, le 20 avril 2015

  • Rien à faire : le vivre-ensemble entre sunnites et chiites en Irak ne marche pas (les sots vous diront : cherchez l'Amérique et Israel !!). Du temps de Saddam, le régime fait des chiites des "sous-citoyens". Après Saddam, Nouri el-Maliki opère un renversement des rôles. Il fait des sunnites des "sous-citoyens". Cela précipite et facilite énormément l'instauration de l'ère Daech. On en est là, sans issue. Même au Liban, le seul pays du vivre-ensemble entre confessions et sectes au Moyen-Orient, et malgré les avertissements des sages et leurs appels à la sagesse, les fanatiques, fous et insensés des deux bords risquent de faire presque la même chose. A chaque fois on les retient avec plus de difficulté. Lutte sectaire entre sunnites et chiites, c'est génétique. Pas de remède pour le moment pour ce fléau. Et dire que des chercheurs et des professeurs occidentaux, conditionnés, eux, par le fait qu'en Occident, mélange et confusion entre religieux et politique, spirituel et temporel, sont inconcevables depuis très longtemps, vous sortent des théories selon lesquelles les conflits en cours au Moyen-Orient, le plus intense étant en ce moment celui du Yémen, entre l'Iran (chiite) et les pays du Golfe (sunnites), "ne sont pas religieux, mais des luttes pour le pouvoir" ! Des théories qui passent bien à côté du problème.

    Halim Abou Chacra

    17 h 27, le 20 avril 2015

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