Davantage que la question de la victoire contre l'organisation de l'État islamique (EI), c'est bien toute la problématique du rapport de force entre sunnites et chiites qui se joue actuellement en Irak. Quels que soient ses résultats à court terme, l'opération de reconquête menée par l'armée irakienne et par les milices chiites soutenues par l'Iran pourrait avoir des conséquences désastreuses à moyen terme. En continuant d'occulter les raisons initiales du succès de l'EI, à savoir la politique répressive que le gouvernement de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki a menée contre la communauté sunnite, les forces chiites présentes sur le terrain ne font que renforcer la discorde confessionnelle. Sans une intégration progressive des forces sunnites, l'opération pourrait finalement contribuer à accélérer le processus de démembrement de l'État.
« L'armée est considérée comme une milice chiite. Elle est gangrénée par la corruption et infiltrée par les miliciens. À côté de cela, les milices qui interviennent sur le terrain, principalement la milice Badr et le courant sadriste, obéissent aux ordres du commandement iranien », souligne Myriam Benraad, politologue spécialiste de l'Irak et chercheuse au Ceri-Sciences po et à l'Iremam. « Les forces de l'opération de reconquête ne sont pas accueillies comme des libérateurs dans les régions reprises à l'EI. D'autant que dans la province de Diyala, les milices chiites se sont livrées à des campagnes de représailles contre les villes et villages sunnites accusés d'être venues en aide à l'EI. Face à cette montée aux extrêmes, l'ayatollah Ali Sistani essaye de se placer comme un arbitre appelant à l'unité de l'État. Mais le fait qu'il ait évolué en marge de la vie politique pendant une longue période diminue fortement son influence », note Mme Benraad.
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Spécificité de Ramadi
Sur le terrain, si l'opération de reconquête a permis de rependre la ville de Tikrit, les jihadistes de l'EI n'ont pas tardé à répondre en s'emparant des villes de Bajji et de Ramadi. « L'opération de reconquête de Mossoul était prévue pour le printemps, mais personne ne semble actuellement prêt pour une opération d'une telle ampleur. Il faudra reprendre Bajji avant de reprendre Mossoul, ce qui apparaît impossible à réaliser dans les mois qui viennent. À cause des chaleurs de l'été, l'opération devrait être reportée à la rentrée. En attendant, la reconquête de la province de Anbar est peu concluante. Cette province est la plus tribale d'Irak, mais les tribus y ont des liens versatiles avec les jihadistes de l'EI. En effet, les tribus s'étaient alliées à l'EI parce qu'elles avaient reçu en retour la promesse d'être réinstituées, mais l'EI n'a pas tenu sa promesse. À Ramadi, les tribus étaient prêtes à collaborer avec le gouvernement pour lutter contre l'EI. En ce sens, la prise de cette ville par les jihadistes enterre quasi totalement les possibilités d'une rébellion sunnite dans la région, à l'image de ce qu'avaient pu être les forces de la Sahwa (milices sunnites anti-Qaëda) auparavant », explique Mme Benraad.
Carotte à l'Iran
« Tout l'enjeu actuel en Irak est de faire revenir les sunnites dans le gouvernement et dans l'armée. Cela fait des mois que les tribus réclament des armes, mais ni les États-Unis ni Bagdad ne les fournissent, malgré leurs promesses de le faire. Dans le même temps, l'Iran fait pression pour que ses armes ne soient pas livrées. Les chiites ont peur qu'émerge une force armée sunnite. Même s'ils disent vouloir sécuriser la région et renforcer l'unité nationale, ils font tout pour éviter de renforcer un nouveau leadership sunnite. À ce titre, l'opération de reconquête pourrait déboucher sur une situation encore pire qu'avant l'offensive de l'EI pour les sunnites. Moins qu'une minorité, ils pourraient devenir des sous-citoyens », note la chercheuse.
Enfin, selon elle, l'Iran est en position de force militairement et n'a aucun intérêt à revoir ses ambitions en Irak à la baisse. Cela dit, elle estime qu'un accord sur le nucléaire entre l'Iran et les 5 + 1 pourrait déboucher sur une période de détente. « Cet accord, c'est une carotte donnée à l'Iran pour qu'il fasse des concessions. En cas de levée véritable des sanctions, l'Iran pourrait être plus à même de négocier pour contribuer à trouver une sortie de crise, tout en préservant ses intérêts, en Syrie, en Irak et au Yémen. »
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19 h 28, le 20 avril 2015