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Comment le trafic d’antiquités fait vivre l’EI et anéantit la civilisation assyrienne - Prévention

En Syrie, des fonctionnaires dévoués sauvent des milliers d’antiquités

Près de 300 000 pièces et des milliers de manuscrits ont été mis à l'abri dans des endroits secrets protégés des incendies, des obus et des inondations.

Des fonctionnaires du musée de Damas emballent des pièces antiques, les déposant dans des caisses pour être mises à l’abri dans des endroits tenus secrets. Joseph Eid/AFP

Dans une pièce du musée de Damas, totalement vide, des employés emballent avec précaution les dernières statues avant de les placer dans des caisses qui partiront vers un lieu sécurisé.
Depuis sa nomination en 2012 à la tête de la Direction générale des antiquités et des musées syriens (DGAM), le professeur Maamoun Abdelkarim n'a qu'une obsession : éviter une réédition de la tragédie de 2003 en Irak après l'invasion américaine. « J'ai en permanence devant les yeux les images du pillage du musée de Bagdad et des sites irakiens, et je me suis dit qu'il fallait à tout prix empêcher que cela se reproduise chez nous », témoigne-t-il.
Ainsi, 300 000 pièces et des milliers de manuscrits appartenant aux 34 musées de Syrie, dont 80 000 de celui de Damas, ont été mis à l'abri dans des endroits secrets protégés des incendies, des obus et des inondations.
Terre de multiples civilisations, des Cananéens aux Ottomans, la Syrie regorgeait de trésors datant des époques romaine, mamelouke et byzantine, avec des mosquées, des églises et des châteaux croisés.
Mais près de 300 sites d'une valeur inestimable pour l'humanité ont déjà été détruits, endommagés ou pillés en quatre ans de guerre en Syrie, s'est alarmée l'Onu en se basant sur des images satellitaires.

99 % des collections sauvées
Le sauvetage le plus dramatique s'est déroulé le 2 août 2014 à Deir ez-Zor (Est), tenue en grande partie par les jihadistes du groupe État islamique (EI). Pour éviter un saccage par l'EI comme à Mossoul en Irak deux mois auparavant, la décision fut prise d'évacuer les 13 000 objets de la ville.
« Pendant une semaine, avec deux collègues, nous avons tout enveloppé. Nous avons tout mis dans un camion avant d'essuyer des tirs de mitrailleuse lourde sur la route », raconte avec émotion Yaarob al-Abdallah, directeur des antiquités de Deir ez-Zor au moment des faits. « Nous avons entreposé les caisses dans un avion militaire au milieu de soldats tués ou blessés. Ce fut terrible, mais nous avons réussi », ajoute cet homme de 46 ans, actuel directeur du musée national de Damas.
M. Abdelkarim, qui avait pris cette décision, en a encore des sueurs froides. « Si l'avion était tombé, j'aurais perdu trois amis, la Syrie des pièces inestimables et moi j'aurais terminé en prison. »
Il estime que 99 % des collections des musées ont été sauvées grâce au dévouement des 2 500 fonctionnaires qui perçoivent leurs salaires, y compris ceux vivant dans les régions rebelles.
« Ils considèrent que la défense du patrimoine est une question d'honneur, équivalent à celle de défendre l'honneur de leur mère », assure le codirecteur de la mission franco-syrienne qui travaillait avant le conflit sur les 700 villes mortes de l'époque romano-byzantine dans le nord de la Syrie.
Une douzaine de fonctionnaires sont morts, dont cinq sur leur lieu de travail. L'un d'eux a été égorgé par l'EI à Deir ez-Zor car il renseignait les services des antiquités sur les trafics mafieux.

« Isolés du monde »
M. Abdelkarim s'inquiète surtout des dommages occasionnés à 300 sites et 445 bâtiments historiques dans le pays. Certains l'ont été lors d'affrontements, mais d'autres ont été victimes « des fouilles clandestines, parfois au bulldozer », comme à Mari, Doura Europos, Apamée, Ajaja (Nord-Est), la vallée de Yarmouk à Deraa (Sud) et Hamam Turkoman près de Raqqa (Nord).
« La barbarie des jihadistes, qui détruisent toute représentation humaine et les mausolées musulmans, s'ajoute à l'avidité des groupes mafieux venus du Liban, d'Irak et de Turquie pour acheter les pièces trouvées par les habitants », se désole Ayham al-Fakhry, l'ancien directeur des antiquités de Raqqa qu'il a dû fuir en 2012. « Ils paient 20 % de la valeur estimée à l'EI et peuvent emporter les objets pour les vendre en Europe ou dans le Golfe », précise-t-il.
Les défenseurs du patrimoine syrien se plaignent aussi d'avoir été considérés comme des pestiférés par la communauté internationale depuis le début de la révolte antirégime. « Nous étions isolés car le monde avait coupé toutes les relations avec nous », à l'exception du Liban, de quelques organisations internationales et de l'Unesco, explique M. Abdelkarim.
Pour cet auteur d'une thèse en France sur « Homs à l'époque romaine », « il faut pourtant, après Charlie Hebdo, Mossoul et Raqqa, une mobilisation internationale pour sauver la culture, la civilisation ».
Il remarque toutefois que les choses changent timidement depuis six mois. Les antiquités syriennes ont ainsi été primées pour leur travail ou invitées lors de conférences sur les antiquités syriennes à Venise, en Allemagne et, à la fin du mois, en France. « C'est le début de la fin du tunnel », espère Abdelkarim.

Sammy KETZ/AFP

Dans une pièce du musée de Damas, totalement vide, des employés emballent avec précaution les dernières statues avant de les placer dans des caisses qui partiront vers un lieu sécurisé.Depuis sa nomination en 2012 à la tête de la Direction générale des antiquités et des musées syriens (DGAM), le professeur Maamoun Abdelkarim n'a qu'une obsession : éviter une réédition de la...

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