Photo d'illustration/AFP
« L'Orient compliqué » n'est plus. Fini les alliances contre-nature et les luttes fratricides. Fini les revendications sociales et les réalités géographiques. Fini les communautés hétérogènes et les affiliations politiques. Une seule chose compte désormais : faire partie du camp chiite ou bien faire partie du camp sunnite. Peu importe après tout que la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite aient eu des stratégies politiques concurrentielles sur le théâtre égyptien. Peu importe les liens entre la Turquie et l'Iran, et entre Islamabad et Téhéran. Peu importe les dimensions locale, révolutionnaire et sociale dans les revendications des houthis. Peu importe l'émergence au sein même du monde sunnite des jihadistes d'el-Qaëda et de l'État islamique (EI). Peu importe que les Américains participent aux côtés des Iraniens aux combats contre l'EI à Tikrit tout en apportant un soutien logistique aux frappes de la coalition sunnite contre les houthis. Peu importe les multiples contradictions dans la composition de ces deux blocs communautaires.
Aux ambitions régionales de « l'arc chiite » répondent les missiles de la coalition sunnite. Aux provocations verbales des dirigeants iraniens répondent à l'unisson les voix de la fermeté sunnite. Aux pasdaran déployés en Irak et en Syrie répondent les 150 000 soldats saoudiens mobilisés pour l'opération yéménite. À Kassem Souleimani répond Bendar ben Sultan. Œil pour œil. Dent pour dent. En Syrie hier, comme au Yémen aujourd'hui, le Moyen-Orient est rattrapé par ses instincts sectaires. Ou plutôt le Moyen-Orient est une nouvelle fois rattrapé par la démesure des projets politiques des deux mastodontes qui se disputent l'hégémonie régionale depuis 35 ans. Deux pays qui n'ont cessé d'allumer la poudrière communautaire dans les différents théâtres locaux, en fonction de leurs intérêts propres.
Présenté comme une guerre sunnito-chiite, le conflit qui oppose l'Iran à l'Arabie saoudite n'a pourtant rien de religieux. Ce ne sont pas les débats sur l'interprétation du Coran ou bien sur l'existence ou non d'une autorité cléricale dans l'islam qui divisent actuellement le Moyen-Orient. Ce sont, comme toujours, les enjeux politiques et économiques qui prévalent, quitte à complètement anschlusser et redéfinir de façon politique les notions de chiisme et de sunnisme.
Aujourd'hui, l'Arabie saoudite et l'Iran ont tous deux réussi leur pari. En imposant à toute la région une lecture binaire de chaque événement politique, où chacun doit choisir son camp en fonction de son appartenance à une des deux grandes branches de l'islam, ils ont réussi à utiliser, voire à figer, le religieux au profit du politique. Ils ont réussi à imposer, chacun de son côté, deux visions d'un islam politique conservateur. Et finalement, au gré de leurs efforts, ils ont réussi à étouffer les revendications politiques qu'avaient vu naître les printemps arabes. Mais si les deux puissances ont décidé de déplacer leur fou dans cette partie d'échecs sur le théâtre moyen-oriental, ils pourront bien tous les deux en payer les conséquences. En continuant de donner l'impression de mettre en œuvre une stratégie d'expansion dans toute la région, les Iraniens ne rassurent pas les populations sunnites du monde arabe et ne se mettent pas dans les meilleures conditions pour négocier un accord sur le nucléaire avec les 5+1. Plus les Iraniens joueront la carte communautaire, plus ils seront perçus comme une puissance déstabilisatrice dans la région.
En choisissant d'attaquer frontalement les houthis au Yémen, l'Arabie saoudite et ses alliés sunnites ont envoyé un message fort à la communauté internationale et aux populations arabes : la lutte contre le rival chiite est plus importante à leurs yeux que la lutte contre les organisations jihadistes. Même si l'Iran et les houthis combattent ces organisations sur le terrain, même si en stigmatisant les chiites ils alimentent la rhétorique des organisations jihadistes, même si cet extrémisme est probablement un danger bien plus menaçant pour l'ensemble du monde sunnite que l'avancée des houthis au Yémen, la coalition sunnite a privilégié les instincts sectaires sur la raison.
Et en attendant, ce sont tous les leaders autoritaires de la région qui doivent se frotter les mains. Tant que l'Iran et l'Arabie saoudite continuent de déplacer leur fou, ils ne sont pas près de quitter leur trône. Échec et mat.
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commentaires (5)
le titre aurait pu être aussi...la diagonale du foul'...! vu que les iraniens sont exportateurs de poids-chiche ...!
M.V.
13 h 01, le 28 mars 2015