Une épilation définitive au laser est facturée aujourd’hui entre 1 000 et 3 000 dollars.
En l'espace de quelques mois, le secteur médico-cosmétique, qui réunit les professionnels de l'esthétique et des soins de confort, a brutalement chuté. Si on en croit Tania Eid, directrice du Salon In Shape, qui réunit chaque année les professionnels du marché, 20 % des centres de soins louant des espaces dans son salon ont désormais baissé le rideau. En cause ? Un scandale : des client(e)s se sont retrouvé(e)s victimes de brûlures, voire de paralysie faciale après des traitements au laser ou au botox dans des instituts de beauté et autres centres de soins.
Un scandale révélateur des dérives d'un secteur : depuis des années, de nombreux instituts de beauté transgressent la loi en proposant des épilations au laser ou par lumière pulsée, voire des injections au botox, sans la présence d'un médecin pour en assurer la supervision.
En guise de rappel à l'ordre, le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, a décidé de la fermeture de 96 salons de beauté en novembre dernier. Le ministère leur reproche de ne pas s'être enregistrés auprès de ses services comme exigé par un arrêté pris il y a quelques mois. Certains appartiennent à des chaînes connues, comme Silkor, Jane Nassar ou encore Seif Beauty Clinic.
Afflux de demandes d'homologation
Pour le ministère, l'absence de certification n'est qu'un prétexte à « montrer les muscles » face à un secteur qui avait fini par se croire au-dessus des lois. La réglementation est pourtant claire : un arrêté de 1962, qui fixe la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins (ou des auxiliaires médicaux), précise que tout mode d'épilation est un acte médical, sauf l'épilation à la pince ou à la cire.
Des techniques comme le recours au laser ou au botox n'existant pas à cette date, le ministère a pris un nouvel arrêté qui les assimile également à un acte médical et exige la présence d'un médecin à temps plein pour superviser ce type de soins. « Pour continuer à exercer, les instituts devront nous prouver qu'ils ont bien cessé de recourir aux machines laser ou aux injections de botox... » assure Walid Amar, directeur général du ministère de la Santé.
Mais comme souvent, le ministère n'a pas les moyens de sa politique. Assez vite, ses services ont croulé sous un afflux soudain de demandes d'homologation et se sont avérés incapables de mener à bien les inspections requises. Du coup, les centres de beauté sont restés fermés, même ceux qui s'étaient mis en conformité avec la règle... Pour Joëlle Aoun, commerciale au sein de Medica, une société qui vend des appareils de phototechnologie, la situation est bloquée : « Nos clients ont peur aujourd'hui d'investir : avec ces fermetures, le marché de l'équipement a considérablement ralenti. »
Démocratisation des pratiques
Depuis le début des années 2000, le secteur « médico-cosmétique » connaît une croissance soutenue, de l'ordre de 15 à 20 % annuels, si on en croit une étude de l'Université de Stanford, datée de 2009. Aucun chiffre ne permet d'avoir une idée du poids global de cette niche. Toutefois, cette même étude estimait en 2009 que les seules techniques d'épilation laser représentaient alors déjà un chiffre d'affaires de 54 millions de dollars au Liban.
Cet engouement s'explique par la démocratisation de techniques onéreuses jusque-là. Les machines utilisées sont en général de type laser « diode ». En 2009, pour en acquérir une, il fallait envisager 150 000 à 200 000 dollars selon l'étude de l'Université de Stanford. Aujourd'hui, leur prix varie entre 65 000 et 90 000 dollars. Sans compter le marché de l'occasion où un appareil peut s'acheter entre 30 000 et 50 000 dollars.
Résultat, les soins sont devenus accessibles au grand public : au début des années 2000, une épilation définitive coûtait entre 7 000 et 10 000 dollars selon la zone corporelle ciblée, toujours selon l'Université de Stanford ; on tourne aujourd'hui entre 1 000 et 3 000 dollars. Soit au maximum une cinquantaine d'épilations définitives pour amortir une machine à 50 000 dollars. Une rentabilisation d'autant plus rapide qu'on évite de payer les services d'un dermatologue, soit a minima 10 000 dollars mensuels... « Il n'y en a de toute façon pas assez pour appliquer la loi à la lettre : on compte environ 200 dermatologues en exercice, contre 15 000 esthéticiennes... » explique Emma el-Imad, consultante auprès du syndicat des experts de la beauté, une organisation créée dans la foulée du récent scandale pour défendre les intérêts du secteur.
S'aligner avec l'étranger
Face aux dérives, une proposition de loi étendant la portée de l'arrêté de 1962 est aujourd'hui à l'étude au Parlement. S'appliquant aux centres de plus de 150 m2, ce texte dispose que toutes les techniques médico-esthétiques, pratiquées dans les instituts de beauté, doivent être supervisées par un médecin spécialisé, présent à plein-temps. La proposition de loi confirme l'exigence d'une licence préalable du ministère de la Santé pour ces centres qui doivent en outre souscrire à une assurance professionnelle couvrant les fautes médicales éventuelles.
Parmi les professionnels, cette proposition de loi est plutôt accueillie d'un bon œil. « Si elle est votée et appliquée rapidement, elle permettra au Liban de s'aligner avec les réglementations en vigueur à l'étranger », assure Zeina el-Hajj, fondatrice de Cosmetic Tourism, une société qui propose des voyages clés en main pour se « refaire une beauté » à des clients du Golfe. « Jusqu'à maintenant, nous faisions nous-mêmes les vérifications; si cette future loi s'applique, nous traiterons avec des instituts " sûrs ", c'est-à-dire certifiés. L'industrie esthétique libanaise a tout à y gagner », dit-elle.
Reste un point en suspens : le sort des « petits instituts » de moins de 150 m2, qui n'entrent pas dans le champ d'application de la proposition de loi. En l'état du texte, ils devront renoncer, sous peine de poursuites, à pratiquer des soins médico-esthétiques.
Des dangers de soins sans médecins
La proposition de loi est claire : les médecins restent les seuls habilités à utiliser le laser ou les lumières flash. En revanche, l'utilisation par une esthéticienne des machines à lumière pulsée fait débat. « Les machines à basse énergie pourraient être autorisées dans les salons esthétiques, contrairement aux machines à lumière pulsée à haute énergie qui resteront réservées à un usage médical », prévient Georges Khawand, membre du Comité exécutif de la société libanaise de dermatologie. Pour le dermatologue Fouad el-Sayyed, qui officie à l'hôpital Trad : « Ce sont des soins qui nécessitent un vrai savoir-faire médical. » Faute de quoi, ils peuvent s'avérer dangereux. « Seul un médecin peut jauger du traitement adéquat en fonction du type de peau ou du profil hormonal de la personne », reprend Georges Khawand. On peut en effet craindre brûlures, dépigmentation de la peau, voire cicatrices avec le laser. Une injection de botox faite dans un vaisseau sanguin, au lieu de la peau, peut aussi entraîner une nécrose des tissus... À bon entendeur...
Entre un poil qui pousse et un poil qui pourra briser ta vie , opte chère Eve pour le premier choix .
12 h 46, le 23 mars 2015