Ils sont Charlie. Frédéric Boisseau, Philippe Braham, Franck Brinsolaro, Cabu, Elsa Cayat, Charb, Yohan Cohen, Yoav Hattab, Honoré, Clarissa Jean-Philippe, Bernard Maris, Ahmed Merabet, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, François-Michel Saada, Tignous et Wolinski. Les 17 victimes de ces trois derniers jours à Paris ont dû hurler. De colère. Cette unanimité et cet « unanimisme utile à Marine Le Pen pour demander la peine de mort », dixit le dessinateur Luz, que la plupart des tués avaient toujours fuis et haïs ; ces bons sentiments qui nivellent par le bas. Ces représentants d'États qui ont tellement dynamité les libertés que cela en devient ahurissant : le Russe, le Turc, l'Égyptien, l'Émirati, l'Algérien, le Gabonais, etc. Tous ces « nouveaux amis » qui hier fustigeaient Charlie Hebdo. La présence de l'Israélien Netanyahu, qui a élevé le terrorisme d'État au rang d'art de gouverner.
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Ensuite, une fois les premières images de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Berlin, de Rome, de Londres, de Madrid, de Montréal, de Beyrouth, de Ramallah et de partout arrivées, ces hommes, ces femmes, ont arrêté de gueuler, juste grincé des dents. Enfin, au moment où la nuit tombée, ivres de cette unité, de ces 3,7 millions de personnes dans les rues de France, ivres de ces crayons brandis vers les étoiles, ivres de ce silence et de ce recueillement, ivres de cette simplicité et de ce bon et ce beau exhibés sans le moindre incident, ils se sont tus. Ont juste souri. C'est ce que devrait faire cette petite minorité d'hier qui, devant les micros ou sur les réseaux sociaux, s'est répandue en lamentations, en rancœurs, en pleurnicheries et en aigreur. Juste arrêter de critiquer les quelques couacs et saluer la naissance de la révolution du crayon. Qu'elle meure aujourd'hui ou qu'elle vive longtemps, peu importe : elle a existé.
Re-prise de la Bastille
Pourquoi ce que la France et Paris ont vécu hier, pourquoi cette présence extraordinaire d'une cinquantaine de chefs d'État et de gouvernement dans les rues parisiennes n'a pas suivi les attentats de New York en 2001, de Madrid en 2004, de Londres en 2005, pourtant bien plus lourds en pertes humaines, bien plus, c'est un euphémisme, spectaculaires ? Cent et une possibilités de réponses s'entremêlent. Mais ce qui est sûr, c'est que quelque part, le Syrien Bachar el-Assad doit sourire.
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Pour la première fois dans le monde occidental, quelque chose de gigantesque s'est (im)posé. Au-delà des chiffres, inédits, jamais vus depuis la Libération en 1945, incomptables presque, les Français (et avec eux les Européens et les Occidentaux) ont fait un printemps. Contre, évidemment : le terrorisme, mais surtout pour : la liberté, les libertés (de pensée et d'expression), les valeurs de la République, la fraternité, etc. « Il s'est passé aujourd'hui quelque chose de magique » : les témoignages lus et entendus hier allaient tous dans ce sens-là : personne en France ne pensait que cela pouvait effectivement arriver. Qu'une « insurrection républicaine », pour reprendre Raphaël Einthoven, pouvait exister dans la France du XXIe siècle, dans une Ve République percluse de douleurs, de doutes, d'angoisses ; qu'elle pouvait se faire par et pour des Français pourtant caricaturés volontiers de par le monde en ultrarâleurs, égoïstes et grands paresseux. « P..., cela fait du bien », a résumé le Schtroumpf grognon même du PAF français, l'humoriste Christophe Alévêque.
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Hier, la France a re-pris la Bastille. Elle a renoué avec un axiome que les Libanais connaissent (mal)heureusement bien : la coexistence, le vivre-ensemble, et plus encore, la convivialité. Dans les rues, naturellement, et sur les plateaux de télévision, avec une séquence au-delà de l'émotion, bigger than life : la maman musulmane, en hijab, d'une victime de Mohammad Merah et le père juif, en kippa, d'une victime d'Amedy Coulibaly, réunis sur le plateau de France 2 dans une seule et même douleur, une seule et même prière, une seule et même empathie. Inouïes. Cette image aussi, insensée, d'un manifestant embrassant un CRS presque gêné, mais tout sourire : depuis quand les Français, génétiquement rebelles, avaient-ils quelque sympathie que ce soit pour les forces de l'ordre ? Depuis quand, plongés dans un quotidien socio-économique plus qu'éprouvant, les Français avaient-ils été fiers, tellement fiers, d'être français, d'être ensemble, à tel point que beaucoup ne voulaient plus quitter les places, de la République, de la Bastille, de la Nation ?
Investir, désormais
Depuis quand enfin, surtout, le président le plus impopulaire de l'histoire de France a-t-il été à ce point ovationné ? L'autorité qu'il a imposée en politique étrangère, François Hollande l'a répliquée depuis le 7-Janvier français sur la scène locale (lire en page 10). Cette révolution du crayon, par pragmatisme, calcul ou simple communion, il l'a voulue, initiée, bonifiée : près de 130 pays étaient représentés, accompagnés. Pendant les deux premiers jours, entre le massacre rue Nicolas-Appert et le dénouement de la double prise d'otages en simultané et en mondovision, il a été impeccable, « l'homme de la nation ». Il a déjà gagné quelque chose de fondamental, et quatre points de popularité selon le baromètre OpinionWay pour Metronews/LCI diffusé hier.
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Mais c'est dès aujourd'hui que tout va se jouer, pour François Hollande, qui présidera dès 8h30 une réunion sécuritaire, et pour les autres. Cette absolue harmonie, cet UMPS intelligent, brave et redoutablement efficace, que devait regarder, de Beaucaire et jaune, Marine Le Pen, qui vient de commettre sa première très grosse faute politique ; cette France « sacrée », combien de temps va-t-durer ? Investira-t-on sur tout cela, et si oui comment ? Le gouvernement de Manuel Valls, pour qui « l'état d'esprit de ce 11 janvier doit rester », saura-t-il empêcher la France de se libaniser, de se communautariser ? La majorité PS commencera-t-elle à légiférer intelligemment, à laïciser à outrance ?
Aucun angélisme, aucun irénisme possibles. La France ne se réveillera pas aujourd'hui débarrassée de ses crises en tout genre, la croissance n'est pas pour demain non plus. Mais quelque chose s'est passé hier. La France était « vivante comme jamais ». Aux Français de (continuer à) jouer, désormais.
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commentaires (6)
Après la révolution du crayon ...faut maintenant faire bonne mine....
M.V.
16 h 50, le 12 janvier 2015