La bonne nouvelle de cette fin d'année mouvementée est le déclenchement dans la forme du dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah. En dépit des tentatives de donner à ce développement l'ampleur d'un événement, les protagonistes eux-mêmes ont préféré la discrétion, conscients que l'heure n'est pas aux mises en scène grandioses, les Libanais étant de moins en moins convaincus que cette démarche peut être porteuse de grandes solutions. Parodiant la phrase du premier homme qui a marché sur la lune, un politicien a lancé : « Il s'agit d'un grand pas pour le Hezbollah et le courant du Futur, mais d'un petit pas pour le Liban ». Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que ce dialogue qui commencera réellement aux alentours du 8 janvier 2015, la séance de mardi soir étant préliminaire, ne peut que faire du bien à la situation générale du pays. Le Hezbollah aurait certes préféré que les deux délégations soient plus réduites, deux personnes au plus, mais le courant du Futur a préféré désigner trois interlocuteurs, choisis selon une appartenance régionale (Nader Hariri de Saïda, Nouhad Machnouk de Beyrouth et Samir Jisr de Tripoli) et finalement, le Hezbollah a suivi plus ou moins la même démarche (Hussein Khalil de Tyr, Hussein Hajj Hassan de Baalbeck et Hassan Fadlallah de Bint Jbeil). Le choix des personnes n'est pas seulement lié à leur appartenance régionale. Saad Hariri a tenu à écarter « les faucons » comme l'ancien Premier ministre Fouad Siniora et le ministre de la Justice Achraf Rifi, et le Hezbollah a répondu à ce signe de bonne volonté en choisissant aussi des personnalités convaincues de l'importance d'un tel dialogue et prêtes à dépasser les petites considérations litigieuses. C'est dire que les deux parties tiennent à aborder le dialogue avec sérieux en mettant toutes les chances de leur côté. Le président de la Chambre qui a tenu à mettre la touche finale à l'opération a choisi d'accueillir la première séance chez lui à Aïn el-Tiné, en présence de son adjoint le ministre des Finances Ali Hassan Khalil.
Nabih Berry a donc ouvert la séance par un discours dans lequel il a insisté sur la gravité de l'heure et sur l'importance de parler ensemble pour chercher des terrains d'entente, au moment où la région tout entière est en ébullition et où le conflit entre les sunnites et les chiites prend une tournure sanglante dans plusieurs pays. Les discussions se sont prolongées pendant quatre heures, entrecoupées d'un dîner à la table du chef du législatif, et elles ne se sont pas concentrées sur un sujet précis, mais survolant plutôt la situation générale. Les deux camps ont révélé par la suite qu'ils ont été surpris par la bonne volonté perçue chez l'autre délégation, comme s'il y avait une volonté réelle d'aboutir à un résultat concret. Mais de si bonnes dispositions suffisent-elles à faire aboutir ce dialogue ?
Les sources politiques des deux camps ne se font pas trop d'illusions. Si l'ouverture de ce dialogue est bénie par les parrains des deux camps, l'Iran et l'Arabie, sans lesquels il n'aurait même pas été question de songer pour le Hezbollah et le courant du Futur à s'asseoir autour d'une même table, cette bénédiction ne va pas jusqu'à accepter de faire de grandes concessions. Au contraire, dans le contexte actuel, les relations entre l'Iran et l'Arabie sont au plus mal et le bras de fer se poursuit entre ces deux pays en prenant pour champ de bataille la plupart des pays de la région. L'Arabie saoudite continue par exemple de miser et de travailler pour faire tomber le régime syrien, ou du moins Bachar el-Assad, alors que l'Iran vient d'augmenter ses aides financières et militaires au président syrien considérant plus que jamais que son maintien est pour lui un enjeu stratégique.
En Irak, l'Iran tente de retrouver son influence mise en cause par le coup de force de Daech, en nouant des liens solides avec les Kurdes (un peu comme il l'avait fait avec le Hamas à Gaza), tout en renforçant l'armée irakienne et en entraînant ce qu'on appelle désormais « les forces de défense populaires », selon l'idée du général iranien Kassem Soulaymani. Cette idée est d'ailleurs appliquée en Syrie et au Liban, dans le cadre des « unités de défense ». Par contre, l'Arabie, tout en intégrant la coalition internationale contre Daech menée par les Etats-Unis, continue à avoir une position ambiguë au sujet de cette organisation terroriste. Entre la République islamique et le royaume wahhabite, le conflit s'étend donc de Gaza en passant par le Yémen, l'Irak, la Syrie et le Liban et rien n'indique qu'il est sur le point d'être réglé. Au contraire, les Iraniens estiment que depuis son arrivée au pouvoir il y a un an et demi, le président Hassan Rohani a multiplié les ouvertures en direction de Riyad. Il a même exprimé le souhait de se rendre en Arabie, mais la réponse a été des plus sèches : il peut venir, mais il n'y aura pas de rencontre avec le roi Abdallah. Malgré cela, il y a eu une autre visite du ministre adjoint des Affaires étrangères pour les questions du Moyen-Orient, Hussein Amir Abdel Lahyan à Riyad, mais là aussi, les propos saoudiens étaient aimables sans plus. Même chose plus tard, lors de la rencontre entre les ministres iranien et saoudien des Affaires étrangères à New York.
Il est donc clair que pour l'instant, Riyad et Téhéran veulent poursuivre leur confrontation dans leurs zones d'influence, dans l'espoir d'affaiblir l'autre. Dans ce cas, pourquoi le Liban serait-il épargné ? Pour deux raisons, estime un diplomate étranger : d'abord les États-Unis ne veulent pas ajouter à un dossier déjà bien complexe, un nouveau chaos qui risque de déborder du cadre libanais, et ensuite parce que dans le rapport de forces actuel au Liban, le Hezbollah reste le plus fort et une explosion pourrait l'amener à renforcer sa poigne sur le Liban. Ce qui aboutirait à un résultat à l'opposé des plans saoudiens.
Liban - Décryptage
Le dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah : un grand pas sous un plafond bas
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 25 décembre 2014 à 00h00
commentaires (7)
À CE QUI TRANSPIRE JUSQU'AUJOURD'HUI ON CRAINT QU'IL SOIT UN "PETIT PAS SOUS UN PLAFOND GRAND" !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 45, le 27 décembre 2014