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Diaspora - Recherche

Mesurer la puissance et la fragilité de l’impact de la diaspora libanaise

« Strong in Their Weakness or Weak in Their Strength ? The Case of Lebanese Diaspora Engagement with Lebanon »*. Tel est le titre d'un rapport publié par le département des sciences sociales de la LAU sur les communautés libanaises.

Paul Tabar, l’un des coauteurs de cette étude.

Décortiquer l'émigration libanaise est devenu une priorité pour les chercheurs en sciences sociales. D'abord en raison de l'importance de la diaspora : selon les estimations, les Libanais d'origine seraient entre 12 à 15 millions répartis sur un grand nombre de pays. Ensuite parce qu'on sait que les migrants libanais sont toujours engagés envers leur pays d'origine. Cette recherche récemment publiée sur les points de force et les fragilités de cette action de la diaspora a été financée par l'« International Development Research Center » (IDRC). Son but est d'évaluer quand et dans quelles circonstances la diaspora libanaise répartie au Canada, en Australie et aux États-Unis est le plus en mesure d'affecter le Liban.

Manque d'associations caritatives
L'étude menée par Paul Tabar et Jennifer Skulte-Ouaiss analyse les influences qu'exercent les émigrés sur le Liban. Elle se penche plus précisément sur les divers procédés par lesquels la diaspora s'implique dans le pays ainsi que le poids qu'elle peut exercer sur l'État libanais. Enfin, elle revient sur les relations que ces comunautés nouent avec les diverses structures sociopolitiques locales. Plus de 300 entretiens ont été menés durant trois ans, avec, d'une part, des individus et des groupes libanais et, d'autre part, des associations basées en Australie, au Canada et aux États-Unis. Quelque 29 groupes politiques, 44 habitants de zones rurales et 29 membres d'associations caritatives ont été interrogés.
Que retenir de tous ces entretiens et des diverses données récoltées par les chercheurs ? D'une part, les associations dans les villages exercent des fonctions que devrait exercer normalement l'État lui-même, à l'instar de verser des énormes sommes d'argent pour la construction d'églises et de mosquées, la création de cliniques, la construction d'une salle d'hôpital au Liban... D'autre part, les associations caritatives visant à améliorer la situation de tous les Libanais quelles que soient leurs origines sont relativement rares au sein de la diaspora.
Sur un autre plan, le travail des groupes politiques dépend de leur situation géographique. À titre d'exemple, ceux situés en Australie et au Canada sont nombreux à être tout simplement représentatifs du système politique libanais. Leurs objectifs : lever une quantité importante de fonds pour les partis qu'ils soutiennent. Aux États-Unis, en revanche, ces partis exercent du lobbying pour pousser les expatriés à réclamer leurs droits de vote lors des élections locales. Par ailleurs, cette étude démontre comment les divisions internes libanaises sont souvent reproduites à l'étranger. Pire encore, les dissensions profondes locales engendrent non seulement un schisme au sein de la diaspora, mais aussi une tendance chez certains organismes de l'étranger à adopter une pratique politique encore plus radicale qu'au Liban.
C'est pour toutes ces raisons que l'État libanais semble incapable d'atteindre cette diaspora en tant que corps unitaire et de l'intégrer dans une politique nationale. Quant au système confessionnel, il a un tel impact sur la perception de la citoyenneté qu'un migrant définit en général son identité via son appartenance à une secte religieuse plutôt qu'à la nation.
Dans un tel contexte, les chercheurs se penchent sur une question cruciale : dans l'exercice de son engagement envers son pays d'origine, quand cette diaspora montre-t-elle des signes de force, et quand apparaît-elle plus fragile ? Il semblerait que les groupes diasporiques soient plus puissants quand ils sont liés à des organisations ayant une bonne assise au niveau national. Ainsi, certaines associations se trouvent affaiblies lorsqu'elles désirent préserver leur indépendance par rapport au système libanais interne.

Une culture qui se développe
C'est autour de cette réalité et d'autres que Paul Tabar, professeur associé en sociologie et anthropologie et directeur de l'Institut des études migratoires à la LAU, a bien voulu discuter. Selon lui, il y a de plus en plus de voix qui tentent au sein de la diaspora de s'élever contre cette donne et aspirent à la changer. « Il s'agit d'individus ou de groupes qui font souvent partie de la seconde génération d'émigrés et qui ne se satisfont plus de la situation politique libanaise, explique-t-il. Ils veulent aider leur pays d'origine, mais à leur manière, c'est-à-dire en allant au-delà des structures locales existantes. » Certes, ajoute le chercheur, « ces voix ne sont pas encore assez nombreuses ni assez fortes pour faire basculer la réalité diasporique. Mais il existe au sein de cette diaspora une culture démocratique à prendre en considération. C'est un genre de responsabilité citoyenne qu'acquiert l'émigrant. Il est capable d'interroger davantage ses dirigeants ».
À la suite de la publication de cette recherche, une rencontre avec les instances locales étatiques a été organisée. Les dirigeants libanais ont donc eu connaissance de cette réalité diasporique. La balle est aujourd'hui dans leur camp.

*L'étude est de Jennifer Skulte-Ouaiss et Paul Tabar. Elle vient de paraître dans la revue « Immigrants & Minorities ».

Décortiquer l'émigration libanaise est devenu une priorité pour les chercheurs en sciences sociales. D'abord en raison de l'importance de la diaspora : selon les estimations, les Libanais d'origine seraient entre 12 à 15 millions répartis sur un grand nombre de pays. Ensuite parce qu'on sait que les migrants libanais sont toujours engagés envers leur pays d'origine. Cette recherche...