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Pourquoi le monde arabe semble obsédé par les théories du complot ?

Aller par quatre chemins pour comprendre les théories du complot

Il serait tout à fait malhonnête de prétendre que le monde arabe, particulièrement la région du Machreq, détient le monopole du développement des thèses conspirationnistes et des théories du complot au niveau mondial. Au contraire, la diffusion et la propagation de ces thèses relèvent d'un phénomène international que Julien Giry, docteur en sciences politiques et ayant fait sa thèse sur le conspirationnisme dans la culture politique et populaire aux États-Unis, présente et analyse en quatre points :

1 – Conspirationnisme # théories du complot
Si les deux termes conspirationnisme et théorie du complot (TC) sont très souvent associés, ils n'ont pas la même signification et ne répondent pas exactement à la même logique. Selon Julien Giry, « une TC est topique et circonstanciée, c'est-à-dire qu'elle renvoie à un événement extraordinaire et souvent inattendu ». Pour préciser sa pensée, l'auteur prend en exemple les attentats du 11 septembre 2001 à New York et le développement d'une épidémie comme le sida ou Ebola. Face à « cette situation exceptionnelle » marqué par la détérioration des canaux d'informations classiques, la TC vient apporter « une réponse et une explication rassurante », ajoute-t-il. Pour sa part, le conspirationnisme « ne nécessite pas d'élément déclencheur spécifique », analyse M. Giry. « Il est une vision politique, historique et symbolique du monde, une théorie du pouvoir qui envisage la marche du monde dans son ensemble, les événements extraordinaires tout autant que les aspects les plus banals du quotidien, comme le déroulement d'un gigantesque plan secret fomenté des milliers d'années auparavant par une vengeance maléfique : les juifs, les francs-maçons ou même des extraterrestres », détaille-t-il. Aujourd'hui, selon l'auteur, « la tendance dominante est celle du conspirationnisme » puisque les différentes TC semblent « réinscrites dans un schéma narratif conspirationniste dans lequel elles ne deviennent finalement qu'une illustration parmi d'autres ou supplémentaire du mégacomplot universel dans le temps et dans l'espace ».

2 – Le rôle d'Internet
L'apparition d'Internet a profondément bouleversé les mécanismes de propagation des TC. Julien Giry l'explique par le fait qu'avec Internet « les savoirs profanes sont mis au même niveau que les savoirs académiques ». Cela provoque ce que l'expert appelle « un nivellement épistémologique », c'est-à-dire une remise en question de la hiérarchie des savoirs. Internet permet en outre de rendre les TC beaucoup plus accessibles : « Aussitôt produites elles deviennent mondiales », note-t-il encore. Mais Internet a également modifié la nature des TC en permettant « une hybridation et une créolisation plus rapides, transformant les TC en attrape-tout », analyse-t-il. Clairement, cela signifie « qu'alors que le XVIIIe siècle, en Occident, était celui des complots francs-maçons, illuminati ou même jésuites, les XXe et XXIe sont marqués par l'avènement du mythe judéo-maçonnique ou judéo-bolchevique, ceux du mégacomplot, c'est-à-dire d'un complot unique, universel dans le temps et dans l'espace, en vue d'instituer un nouvel ordre mondial », explique l'expert. Pour les partisans de ces théories, « les ennemis officiels ne sont en fait que les deux facettes d'une même domination », ajoute-t-il enfin.

3 – Tous les milieux sont touchés par les TC
Ici, il est nécessaire de déconstruire un mythe : le conspirationnisme touche tous les milieux sociaux. Julien Giry l'explique en ces termes : « Il faut impérativement et définitivement écarter l'idée moralisante ou la prénotion demi-savante et cynique selon laquelle le conspirationniste serait le fait unique des classes laborieuses, du peuple vulgaire et intempérant, inconscient et inconsistant, frustré et autoritaire, sujet aux passions et incapable de raison. » Bien au contraire, « il touche des universitaires, des ingénieurs, des hommes politiques ou des journalistes de premier plan », ajoute-t-il. L'expert précise que cette croyance relève, le plus souvent, d'une démarche sincère, même s'il existe « une véritable industrie du complot fort lucrative ».

4 – Comment est désigné l'ennemi ?
Les TC développent une vision manichéenne du monde dont l'issue est nécessairement « eschatologique », relève M. Giry. Selon lui, « les boucs émissaires appartiennent toujours à un groupe minoritaire ou marginal relativement à une société ou une culture donnée mais qui serait assez puissant pour imposer délibérément dans l'opinion une version qui ne serait qu'une "version officielle" des événements et qui dissimulerait alors la conspiration ».
En ce sens, les théories du complot sont « des théories du pouvoir », ajoute-t-il. En outre, ce qui est particulièrement intéressant, c'est que les boucs émissaires ont une « double nature : à la fois responsables et victimes », précise M. Giry. « Responsables dans la mesure où ils sont accusés d'être à l'origine de tous les maux, de toutes les crises ou catastrophes qui touchent la société, les boucs émissaires sont en quelque sorte l'incarnation du mal absolu et radical ; victimes dans le sens où ils deviennent l'objet de persécutions en répression de leurs fautes jugées inexpugnables, sauf à admettre leur élimination totale ».

Il serait tout à fait malhonnête de prétendre que le monde arabe, particulièrement la région du Machreq, détient le monopole du développement des thèses conspirationnistes et des théories du complot au niveau mondial. Au contraire, la diffusion et la propagation de ces thèses relèvent d'un phénomène international que Julien Giry, docteur en sciences politiques et ayant fait sa thèse...

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