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Moyen Orient et Monde - Les lettres de Jacqueline A.

À l’attention de Mme Erdogan

Chère Émine, je pense bien fort à vous. Depuis que ma fille s'est laissé tomber sur sa chaise, à la table du petit déjeuner, en me lançant : « Tu sais, mum, j'en ai vraiment ras le bol des délires mégalos des potentats du coin », je pense à vous. Et je compatis.
Je vous ai imaginée, au petit déjeuner, avec votre mari Recep, vos deux garçons et vos deux filles, dans une des 1 000 pièces de votre nouveau palais. 1 000 pièces. Remarque : peut-être ne prenez-vous plus de petits déjeuners en famille ?


Pour moi, le petit déjeuner est sacré. C'est le seul moment vraiment que je passe avec ma fille. Ensuite, elle file au travail, elle est avocate, ma fille, et le soir, elle « va prendre un verre » avec ses amis. Elle a beaucoup d'amis. Vos filles sortent-elles souvent aussi, le soir ?
J'aime ces petits déjeuners, même quand ma fille est de méchante humeur. Elle l'était hier. La faute à votre mari. Parce que, et vous l'excuserez, le « potentat du coin », c'est Recep. Ce qui l'a énervée, ma fille, c'est ce nouveau palais, cet énorme palais, 200 000 mètres carrés, m'a-t-elle dit, dans lequel vous venez d'emménager à Ankara. Je crois que c'est le prix de la chose qui l'a fait bondir. Plus de 350 millions de dollars ? Une somme tout de même, chère Émine. Depuis deux mois, ma fille négocie une augmentation de salaire auprès d'un patron qui a des oursins dans le porte-monnaie. Elle est un peu sensible sur le sujet des sous...


Moi, ce n'est pas tant les sous que les 1 000 pièces qui m'ont clouée. Mille pièces. J'imagine que Recep a fait en sorte que vous ayez toute l'aide nécessaire. Il n'en demeure pas moins que vous restez la maîtresse de maison. Mille pièces. Et moi qui m'en sors à peine avec mon trois-pièces... Je compatis, Émine.


Vous n'allez pas le croire, mais ce n'est que l'année dernière, à 65 ans, que j'ai découvert la Turquie. Istanbul, pas Ankara. J'ai beaucoup aimé cette ville. Beaucoup. Surtout les petites ruelles, avec leurs petits commerçants, leurs petits restaurants. Ça m'a rappelé mon quartier, à Beyrouth.


Entre le parking et mon immeuble, il doit y avoir une centaine de mètres. Et sur ces quelques mètres s'étend un monde.
D'abord, il y a la pharmacienne, elle me connaît si bien qu'elle sait ce que je vais demander avant que je n'ouvre la bouche. Ma fille trouve ça agaçant. Puis le fils du quincaillier, un grand bonhomme d'une quarantaine d'années qui traîne dans la rue toute la journée et... une partie de la nuit, m'a dit ma fille. Vient ensuite le primeur. Mercredi, il a monté une pyramide de gros potirons. Ma fille dit que ses vendeurs, des garçons charmants, dorment à même la terre battue, sous la structure en étages qui porte les fruits et légumes. Ça me semble un peu gros quand même.
En face du primeur, sont alignées trois épiceries. L'une d'elles est tenue par un vieux monsieur amputé des deux jambes. Sur le trottoir, en début de soirée, des gamins jouent au billard sur une petite table improvisée. Après 20h, c'est le tour des ados du quartier. Mon épicier préféré est un peu plus loin. Il est syrien, un garçon vraiment travailleur, toujours souriant, et d'une politesse... Il traite les employées de maison étrangères comme n'importe quel autre client. Pour moi, c'est un signe qui ne trompe pas. Puis il y a le coiffeur, le vendeur de falafel et Hassan, le voiturier qui observe toute l'activité du quartier. Il est syrien aussi. Il y a aussi un pervers. Déplaisant personnage, mais je ne crois pas qu'il soit dangereux. Ma fille ne le supporte pas. Elle me dit toujours : « Cette façon qu'il a de regarder les filles, mum, c'est immonde. »


Ma fille ma montré une photo de votre palais. Émine, je me sentirais tellement hors du monde derrière ces murs.

 

Bien cordialement,

Jacqueline A.

 

Lire la précédente lettre de Jacqueline A.

 

 

Chère Émine, je pense bien fort à vous. Depuis que ma fille s'est laissé tomber sur sa chaise, à la table du petit déjeuner, en me lançant : « Tu sais, mum, j'en ai vraiment ras le bol des délires mégalos des potentats du coin », je pense à vous. Et je compatis.Je vous ai imaginée, au petit déjeuner, avec votre mari Recep, vos deux garçons et vos deux filles, dans une des 1 000...

commentaires (3)

A quoi sert cette histoire?

Nicolas Rubeiz

18 h 24, le 20 février 2015

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Commentaires (3)

  • A quoi sert cette histoire?

    Nicolas Rubeiz

    18 h 24, le 20 février 2015

  • Qand on habite un aussi grand palais avec des œillères , on ne voit que les couloirs !!

    FRIK-A-FRAK

    12 h 21, le 02 novembre 2014

  • La Turquie fait encore partie du tiers monde. elle en a les attributs. alors, normal, non?

    Massabki Alice

    22 h 28, le 31 octobre 2014

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