À l’attention de Paul McCarthy,

« Googueule-le. » Elle s'est levée, plus rapidement encore que d'habitude, elle a attrapé son sac, son manteau. S'est-elle seulement brossé les dents après sa tartine ? Elle a lancé « googueule-le » et elle est sortie de l'appartement.
Moi, je me suis retrouvée seule dans la cuisine avec cette exhortation étrange, ce borborygme, « Googueule-le ».

Vous ne le savez pas, M. McCarthy, mais j'ai été enseignante, en France puis au Liban. Aujourd'hui, je suis retraitée. J'ai toujours eu la passion des mots, M. McCarthy. Sans vouloir me vanter, moi la Libanaise, je pense avoir une maîtrise impeccable de la langue de Molière, impeccable. Eh bien, le « googueule-le » jeté par ma fille, il m'avait échappé.

J'y ai pensé toute la matinée, cherchant une racine, un indice. J'aurais pu l'appeler, mais elle est tellement occupée au bureau. Elle est avocate, ma fille. Il y a autre chose qui m'a retenue. Un sentiment, une impression. Elle est partie tellement vite ce matin.

Pourtant, le petit déjeuner se passait bien, nous ne parlions pas politique pour une fois, mais art. Nous parlions de votre œuvre, celle de la place Vendôme, celle qui a été dégonflée par des vandales.
Je vais être honnête avec vous, je ne le trouvais pas très élégant, votre sapin. Je comprends que les temps sont durs pour les artistes, qu'il faut à tout prix se faire remarquer. Sur ce plan, c'est gagné.
Vous allez me trouver vieux jeu, mais moi, j'aime les vrais sapins, les grands, avec des branches en bois, des guirlandes et des boules. Avec une crèche aussi. Ma fille aime beaucoup les crèches.
Ceci dit, même si je ne l'aimais pas beaucoup, votre sapin en plastique vert, il ne me serait jamais venu à l'esprit de le dégonfler. C'est du travail tout ça, vous avez dû y passer des heures et une telle entreprise vous a probablement coûté un œil.

J'expliquais tout cela à ma fille, quand elle m'a coupé : « Ce n'est pas ça, le problème. » Certes, ai-je répondu, la question de l'art contemporain, le tableau tout blanc ou tout noir qui se vend des millions... Parfois, je la soupçonne de me prendre pour une vieille truffe, ma fille. Je suis au courant des polémiques suscitées par l'art contemporain. Duchamp et son urinoir renversé, je connais !
Le problème, M. McCarthy, c'est que les gens sont de plus en plus mal élevés. On ne détruit pas le travail d'autrui, ce n'est pas bien, un point c'est tout.

Elle m'a dit : « Non, mum, là, la question c'est de savoir ce que représentait l'œuvre. »
« Mais ma chérie, cette forme élancée, ce socle, cette couleur... C'est un sapin, très stylisé certes et un peu en avance sur le calendrier, mais un sapin ! » lui ai-je répondu.
Elle a eu une moue étrange, comme une hésitation, puis elle a dit : « Non, mum, ceux qui ont dégonflé l'œuvre l'ont fait parce qu'ils estimaient que ce n'était pas un sapin, mais un... anal. »
« Un quoi anal ? »
« Un plug anal », a-t-elle répété en articulant.
« Plug ? »
C'est à ce moment-là qu'elle s'est levée, plus rapidement encore que d'habitude, qu'elle a attrapé son sac, son manteau, et m'a lancé son « Googueule-le ».
M. McCarthy, auriez-vous la bonté d'éclairer ma lanterne ?

Bien à vous,

Jacqueline A.

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