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Économie - Réforme

L’Irlande renonce à son « paradis fiscal »

C'est lors de la présentation de son budget 2015, mardi 14 octobre, que l'Irlande a officialisé son intention de mettre fin à son fameux régime fiscal longtemps controversé, dit du « double irlandais ».

Le ministre irlandais des Finances a annoncé un durcissement des règles fiscales pour les entreprises, qui font l’objet de critiques européennes pour leur supposé laxisme. Paul Faith/AFP

C'est une véritable révolution fiscale pour un pays qui a longtemps accueilli des multinationales comme Apple ou Google, du fait du faible taux d'imposition sur les sociétés sur son territoire.
L'Irlande, qui a toujours été qualifiée de « paradis fiscal » (notamment avec les Pays-Bas et le Luxembourg), a récemment été victime d'enquêtes sur plusieurs pratiques fiscales assimilables à des aides d'État envers les entreprises. La Commission européenne mène aujourd'hui, entre autres, une enquête médiatisée sur le statut fiscal d'Apple en Irlande et d'éventuels avantages spéciaux accordés à la firme.
Pour comprendre la technique du « double irlandais », un peu de droit s'impose. En clair, le droit irlandais permet à une multinationale étrangère, comme Apple, Microsoft ou Google, de créer sur son sol une société dite « hybride », c'est-à-dire de droit irlandais mais sans être résidente fiscalement. Sa résidence fiscale se trouve donc ailleurs, dans un paradis fiscal encore plus avantageux comme les Bermudes, où l'impôt sur les sociétés est nul (rappelons que le taux d'imposition sur les sociétés en Irlande est de 12,5 %).

Pression des États-Unis
Interrogé par L'Orient-Le Jour, Alain Trannoy, directeur de Aix-Marseille School of Economics et spécialiste des questions fiscales, estime que l'une des raisons de cette soudaine annonce serait la pression des États-Unis : « Comme l'impôt sur les sociétés est une principale source du budget fédéral, les Américains ne sont certainement pas prêts à lâcher cette recette fiscale. » « Les multinationales américaines payaient un taux inférieur au taux initial de 12,5 %. L'Irlande est très sensible aux pressions des États-Unis », ajoute-t-il.
Avec cette décision, l'Irlande anticipe aussi la mise en place du fameux plan d'action de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) contre l'optimisation fiscale agressive des multinationales, qui suscite une levée de boucliers des grands lobbies industriels et financiers. « Les différentes pressions et investigations venant de l'OCDE, du G20 et de l'Union européenne ont certainement joué un rôle aussi dans la prise de décision », explique l'expert.

Le « double irlandais » est mort, place au « patent box »
Même si l'Irlande a accepté de mettre un terme au système qui constitue la pierre angulaire des stratégies des multinationales pour échapper à l'impôt, le pays n'a pas renoncé à son statut de paradis fiscal pour les entreprises. Alain Trannoy affirme donc que même si la technique du « double irlandais » viendrait à disparaître, le dispositif appelé « patent box » posera toujours problème.
Un régime dit de « patent box » est un régime d'incitation fiscale conduisant les revenus des brevets à être taxés à un taux effectif moindre que les revenus courants, et donc inciter les entreprises au développement économique. « Ce dispositif permet de transférer les droits de propriétés intellectuelles dans des filiales des multinationales. Ce type de disposition est largement attaqué par l'OCDE avec son plan d'action dit BEPS (de l'anglais erosion and profit shifting », érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices). »
Pour le cas de Google, où l'essentiel du service est une idée technologique, ce dispositif permet donc de rapatrier les profits de la multinationale faite dans d'autres pays vers l'Irlande.
« Certes, avec la suppression du " double irlandais ", il y aura un alignement du taux de taxation de 12,5 % pour toutes les grandes sociétés d'Internet qui ne payaient jusqu'à présent que 2 ou 3 %. Mais le transfert de profits d'un pays à un autre pourra toujours se faire », explique M. Trannoy.
L'Irlande sort-elle gagnante de cette réforme ? « Globalement, il y aura certainement plus de recettes. L'Irlande joue un jeu très intelligent, restaure sa réputation qui n'était pas au plus haut ces derniers jours », précise l'expert. L'Irlande ne sera plus en effet un « paradis fiscal », mais continuera à jouer le jeu de la concurrence fiscale.

Fraude ou optimisation fiscale ?
Le groupe américain Google, qui s'est fait enregistrer en Irlande sous le statut de « société hybride », a notamment choisi les Bermudes comme résidence fiscale. Donc aujourd'hui, d'un point de vue irlandais, Google est une société bermudienne et non irlandaise, et c'est aux Bermudes que le géant d'Internet devrait donc payer ses impôts. Pis ! Grâce au transfert des flux financiers entre toutes ces filiales européennes, une grande partie de ces bénéfices n'atterrit ni aux États-Unis ni en Irlande, mais aux Bermudes.
Alors fraude ou optimisation fiscale ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que cet argent est un manque à gagner énorme pour les États en ces temps de crise économique.

Vers une harmonisation de la fiscalité des entreprises en Europe
Le Conseil d'analyse économique (CAE) en France, organe de réflexion placé auprès du Premier ministre français et dont Alain Trannoy fait partie, suggère une série de réformes en faveur de l'harmonisation européenne en termes de fiscalité.
« La CAE ne propose pas une harmonisation des taux d'impôts sur les sociétés, mais suggère d'une part une harmonisation des bases d'imposition (des assiettes) et d'autre part une répartition du profit qui se fera au prorata de différents critères, comme le chiffre d'affaires, le personnel... pour empêcher l'optimisation fiscale », explique M. Trannoy.
En d'autres termes, pour éviter les transferts de flux des entreprises de pays à pays, le bénéfice imposable sera consolidé. Il sera reparti selon la réalité de l'activité économique de l'entreprise dans le pays européen où il a une activité importante (chiffre d'affaires, masse salariale, emploi, immobilisations...).
L'ouverture prônée par Dublin envers les différentes multinationales peut cependant toujours lui servir d'argument pour conserver son taux d'imposition très attractif sur les sociétés (12,5 % contre 33,3 % en France), malgré l'adoption de cette nouvelle loi.

C'est une véritable révolution fiscale pour un pays qui a longtemps accueilli des multinationales comme Apple ou Google, du fait du faible taux d'imposition sur les sociétés sur son territoire.L'Irlande, qui a toujours été qualifiée de « paradis fiscal » (notamment avec les Pays-Bas et le Luxembourg), a récemment été victime d'enquêtes sur plusieurs pratiques fiscales assimilables...

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