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À La Une - Crime

Au Mexique, une école, un mouvement de contestation, et un possible massacre d'étudiants

L'école normale d'Ayotzinapa est un bastion historique de la contestation radicale.

Des étudiants mexicains brandissent, le 7 octobre, des photos des étudiants disparus depuis le 26 septembre. REUTERS/Jorge Dan Lopez

Dans la nuit du 26 septembre dernier, des policiers mexicains soupçonnés d'être en affaires avec une organisation criminelle violente s'en prennent à de jeunes professeurs en formation. Ils viennent de l'école normale d'Ayotzinapa. Trois sont tués sur le champ, rapportent des survivants. Des dizaines d'autres sont embarqués dans des véhicules de la police. Plus tard, les enquêteurs découvrent 28 cadavres, certains mutilés, enterrés dans des fosses communes à flanc de coteau aux alentours d'Iguala, ville de l'Etat du Guerrero, dans le sud du Mexique. Une enquête est ouverte sur un possible massacre, l'assassinat d'une partie des 43 étudiants portés disparus.

L'école normale d'Ayotzinapa est un bastion historique de la contestation radicale, objet selon les uns d'une campagne d'un "lynchage" de la part des autorités locales et, selon les autres, base d'actions de racket et de vandalisme.

En début de semaine, plusieurs femmes priaient devant un autel improvisé dans la cour centrale de l'école, sous les regards de Marx, Engels, Mao Tsé-toung et Ernesto Che Guevara, représentés sur une peinture murale. Toutes des parentes ou proches des élèves-enseignants victimes de l'attaque du 26 septembre.


Ce jour-là, une centaine d'étudiants, partis à Iguala pour recueillir des fonds et manifester, avaient arraisonné des bus du service public de transport pour se déplacer, une pratique commune depuis plusieurs année de la part des élèves d'Ayotzinapa. Mais cette fois-ci, des policiers et des présumés criminels attaquent les étudiants à l'arme à feu.

Selon les étudiants, les tirs ont commencé parce qu'ils refusaient de rendre les véhicules comme le demandait la police. Ils disent qu'ils sont ensuite partis à pied. Trois étudiants ont été tués et trois autres personnes, dont un chauffeur de taxi, son passager et un adolescent, ont également trouvé la mort pendant la fusillade.

 

"Mon camarade de classe saignait tellement"

Dans l'école d'Ayotzinapa, entièrement masculine, Angel Neri de la Cruz, 19 ans, raconte comment la police a visé un de ses camarades de classe à la tête et un autre au niveau de la bouche. "Mon camarade de classe saignait tellement", raconte le jeune homme, des sanglots dans la voix. "Il a écrit sur son téléphone mobile : 'sors-moi de là parce que je suis en train de mourir'. Il ne pouvait pas parler." Les deux élèves blessés ont survécu, précisent leurs camarades.

Angel Neri de la Cruz et son camarade Uriel Alonso Solis ont dit avoir vu des policiers partir en pick-ups avec 25 à 30 étudiants. "Nous les avons vu les emporter. Cela veut dire que nous avons un narco-gouvernement dans le Guerrero", estime Angel Neri de la Cruz.

 

Lors de son arrivée au pouvoir en décembre 2012, le président mexicain Enrique Pena Nieto s'était engagé à rétablir l'ordre au Mexique, où la violence liée à la drogue avait explosé lors du mandat de son prédécesseur Felipe Calderon. Quelque 100.000 personnes ont perdu la vie depuis 2007. Les homicides ont eu tendance à baisser sous Enrique Pena Nieto mais les enlèvements et le racket sont à la hausse. La mise en accusation de la police dans l'affaire d'Iguala souligne la corruption qui gangrène les forces de sécurité mexicaines.

Les autorités du Guerrero ont ordonné l'arrestation du maire d'Iguala, de ses deux responsables de la sécurité - deux de ces trois personnes sont en fuite - et d'une vingtaine de policiers soupçonnés d'être impliqués dans l'affaire. Selon le bureau du procureur général du Guerrero, les membres de l'administration municipale d'Iguala recherchés sont soupçonnés d'avoir des liens avec le gang des Guerreros Unidos ("Les guerriers unis"). Le procureur les accuse de s'être mis d'accord avec le gang pour tuer les étudiants.


Une école créée à l'époque postrévolutionnaire
L'école normale rurale a été créée en 1926, en pleine époque postrévolutionnaire, celle où la population mexicaine vivait majoritairement à la campagne et quand le gouvernement lançait un vaste projet éducatif qui passerait par les enseignants ruraux.


Il subsiste 12 écoles normales rurales au Mexique, explique Carlos Ornelas, de l'Université autonome métropolitaine (UAM) de Mexico. "Dans les années 60, le gouvernement autoritaire de Gustavo Diaz Ordaz a fermé 14 d'entre elles parce, du point de vue de son gouvernement qui réprima dans le sang la révolte étudiante mexicaine d'octobre 68, c'était un nid d'agitateurs et de communistes". Ornelas explique que, "du temps de l'expansion du système éducatif, les élèves avaient automatiquement un emploi d'enseignant". Mais durant les années 90, les emplois se sont raréfiés et les manifestations se sont succédées pour l'obtention de postes, souvent avec succès.

 

Ambiance de lynchage
Les méthodes d'action se sont progressivement radicalisées. En décembre 2011, deux étudiants avait trouvé la mort dans des incidents avec la police après qu'il se furent emparé de bus et bloqué les rues. Un employé de station-service avait trouvé la mort dans l'incendie provoqué par un cocktail molotov.


Le gouvernement de l'Etat de Guerrero "n'a cessé de disqualifier ces jeunes, de dire qu'ils étaient motivés par la rancoeur sociale parce qu'il auraient été endoctrinés par des groupes extrémistes", dit à l'AFP Kau Sirenio, chercheur sur les écoles normales. Mais selon lui, les autorités ont lancé une "campagne de lynchage" contre les jeunes.
Une opinion partagée par Abel Jesus Barrera, directeur du Centre des droits de l'homme de la montagne du Guerrero, une ONG qui assiste les familles des disparus. "Il y a une ambiance de lynchage, de criminalisation contre les étudiants, encouragée par les autorités. Il y a une animosité contre ces jeunes et ce climat est en même temps un message pour les groupes criminels qui y voient une autorisation pour les tuer", assure-t-il. "Leur idée est de faire disparaître les écoles normales rurales, pour dissuader les parents d'y envoyer leurs enfants l'an prochain", a aussi dit à l'AFP la tante de l'un des jeunes disparus.


Mais selon Carlos Ornelas, l'action syndicale et politique des étudiants a dégénéré depuis des années vers "l'industrie du vandalisme". "Ils se sont emparés de bus de passagers, les ont incendiés plusieurs fois", pour appuyer leurs revendications. "C'est une longue histoire de blocage de routes, d'attaque de commerces, surtout de centre commerciaux, ce qui irrite la population". Mais jusqu'à présent, d'après lui, "avec ces tactiques, il ont toujours obtenu ce qu'il cherchaient : plus de moyens pour les bourses, plus d'argent pour la nourriture et des postes d'enseignants".


Ce qui est sûr c'est que les jeunes d'Ayotzinapa avaient commencé à avoir peur, dit la mère de l'un d'entre eux. Ils étaient souvent pourchassés quand ils partaient pour récolter des fonds. "J'ai vraiment peur maman, mais je suis décidé à étudier", furent les dernières paroles qu'elle a entendu dire de son fils le 15 septembre, alors qu'il partait pour l'école.

 

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