De gauche à droite : Ghazi Aad, Wadad Halawani et Nizar Saghiyeh, entourés des parents des détenus en Syrie et des disparus au Liban.
Le rapport de la commission officielle d'investigation sur le sort des personnes enlevées et disparues au Liban (nommée en 2000 par Sélim Hoss, alors Premier ministre) est « une preuve formelle de l'incurie des gouvernements » qui se sont succédé dans le dossier des détenus et des disparus. C'est la conclusion à laquelle sont parvenues les familles des disparus au Liban et des détenus libanais en Syrie et l'ONG Solide (Soutien des Libanais en détention et en exil) après avoir examiné ledit dossier qui leur avait été remis samedi dernier par la présidence du Conseil, conformément à la décision émise dans ce sens par le Conseil d'État, le 4 mars dernier, consacrant ainsi le droit des familles à connaître la vérité sur le sort de leurs proches.
« Les informations contenues dans ce rapport sont tronquées et sont restées, malgré leur importance, des informations à l'état brut, dans le sens où elles n'ont pas dépassé la première étape de l'enquête », affirme Nizar Saghiyeh, avocat du Comité des familles et de Solide. « De plus, les commissions qui se sont succédé n'ont pas effectué leur travail de creuser les informations pour parvenir à la vérité », ajoute-t-il, au cours d'une conférence de presse tenue hier dans le petit jardin de Zokak el-Blatt, à proximité du Grand Sérail.
« Le dossier renferme en fait un grand nombre de formulaires remplis par les familles des disparus, dans lesquels elles fournissent tous les éléments concernant les circonstances de l'enlèvement » de leurs proches « ainsi que les parties ou les personnes qui y seraient impliquées », poursuit l'avocat. « Le dossier a donc fourni aux commissions des informations importantes et de valeur sur les familles des disparus et les parties qui pourraient détenir les informations nécessaires pour connaître leur sort, indique-t-il. Malheureusement, les enquêtes des commissions sont restées superficielles et tronquées, leurs efforts s'étant concentrés sur la classification des dossiers des disparus en fonction de la partie supposée être incriminée dans l'enlèvement et de l'existence de preuves : est-ce une organisation ou une milice libanaise ? Est-ce un service relevant de la République syrienne ? Ou est-ce Israël ? »
En ce qui concerne le premier cas, Nizar Saghiyeh explique que les commissions ont demandé aux différents services de sécurité (Sûreté générale, Sécurité de l'État, Forces de sécurité intérieure) de leur fournir les informations dont ils disposent. Toutefois, « les réponses reçues étaient presque identiques : "Le résultat est négatif" ou "nous ne possédons pas d'informations" », précise-t-il. « Il est évident que les commissions se sont contentées de ces réponses sans prendre la peine de contacter les milices ou les organisations désignées par les familles des disparus comme responsables des enlèvements », note Saghiyeh.
Quant aux personnes détenues en Syrie, l'avocat souligne qu'en 2001,le député Fouad el-Saad, président de la deuxième commission d'enquête chargée du dossier des disparus, a adressé une demande de renseignement en ce sens au général Ghazi Kanaan, alors chef des services de renseignements syriens au Liban, « mais nous n'avons pas trouvé de réponse dans le dossier », puis au Haut Conseil syro-libanais. En ce qui concerne les personnes détenues en Israël, la commission a adressé une demande de renseignements à travers le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui a reçu des réponses concernant certaines personnes que l'État hébreu a reconnu détenir.
Le déni
Se penchant sur la question des charniers, Nizar Saghiyeh rappelle que « la commission d'enquête a prétendu en l'an 2000 en avoir trouvé plusieurs ». « Or, mis à part un seul charnier où des corps ont été déterrés et examinés, il n'y a aucune mention dans le rapport concernant les informations sur lesquelles la commission s'est basée dans ce cadre », indique-t-il, soulignant qu'« au lieu de préserver les charniers » afin de procéder à l'identification des corps, la commission a estimé que l'existence de ces charniers « est un prétexte pour fermer le dossier ».
Et Nizar Saghiyeh d'insister : « Il semble que les commissions ont recouru aux familles des disparus et aux formulaires qu'elles ont remplis, non pas pour découvrir la vérité, mais pour prétendre que l'État a accompli son devoir et qu'il était temps, par conséquent, que les familles abandonnent leurs revendications et se résignent, comme d'autres, au simulacre de l'oubli délibéré et du silence. Dans cette optique, le dossier que nous détenons aujourd'hui constitue une preuve formelle de l'incurie des gouvernements. Une incurie qui reflète d'ailleurs d'une manière claire leur politique consistant à pratiquer la politique de déni à l'égard des victimes et à enterrer la mémoire. » Nizar Saghiyeh indique enfin qu'une copie du dossier sera remise au CICR dans le cadre des efforts qu'il déploie pour dévoiler le sort des disparus.
Le mensonge officiel
Ghazi Aad, porte-parole de Solide, fait remarquer pour sa part que la remise du dossier aux familles « est un pas historique dans la longue lutte contre cette volonté politique qui a toujours voulu gommer la cause des disparus ». « Ce que nous avons réalisé aujourd'hui est une consécration de notre droit à la vérité », insiste-t-il, affirmant que la prochaine étape consiste à œuvrer pour la création de la banque d'ADN, d'autant que les parents ont vieilli et que beaucoup d'entre eux sont déjà morts, et à former une commission nationale des disparus.
De son côté, Wadad Halawani, présidente du Comité des disparus au Liban, affirme que le dossier qui a été remis aux familles « témoigne du mensonge officiel exercé envers nous depuis quatorze années » (date de la formation de la commission officielle d'investigation). Il n'en reste pas moins que ce dossier aussi incomplet soit-il reste « la clé pour aboutir à la vérité ».
N. M.