Non, ce n'est pas Mao Tsé Toung mais Lao Tseu qui le dit : « Un voyage de mille lieues commence toujours par un pas. » Barack Obama aurait-il planché sur cette maxime avant de mettre ses pas dans ceux de George Herbert Bush (première guerre du Golfe) puis de George Walker Bush (seconde guerre du Golfe) ? Toujours est-il qu'il vient de poser un pied dans la fourmilière irako-syrienne en annonçant sa décision de détruire (« destroy and degrade ») l'État islamique mais, a-t-il précisé, sans envoyer de troupes au sol. Sur ce dernier point, cependant, de sérieux doutes subsistent après l'annonce par le Pentagone qu'il pourrait être amené à envoyer au front des conseillers militaires pour épauler l'armée irakienne. Après surtout les derniers propos du général Martin Dempsey, pour qui les décisions seront prises au cas par cas. Il y a là de quoi alimenter toutes les supputations – ce que ne manquent pas de faire les commentateurs américains – et de réveiller le spectre d'avril 1951, quand le président Harry Truman avait limogé le général Douglas MacArthur, un héros national, qui commandait alors le front coréen et dont la principale erreur avait consisté à écarter la possibilité de voir la Chine s'engager aux côtés de Pyongyang dans la guerre déclenchée au pays du Matin calme. Mieux vaut toutefois éviter les parallèles, surtout dans le cas présent, Obama n'affichant aucune similitude même lointaine avec le successeur de Roosevelt, et son chef d'état-major interarmes ne ressemblant en rien au flamboyant champion de la libération des Philippines.
Tout de même, la confusion née des prises de position du chef de l'exécutif et de son chef d'état-major interarmes est telle que le magazine Vanity Fair s'est amusé à publier un florilège des interventions publiques des responsables concernés : le président, les secrétaires d'État et de la Défense, enfin le général Dempsey, coiffées d'un titre faussement candide : « Nous ne savons pas si nous sommes ou pas en guerre contre ISIS » (Islamic State of Iraq and Syria, l'ancien nom de Daech).
Il est une autre question que l'Américain moyen se pose : « Que feront nos boys en Irak? » Et d'énumérer les quatre missions imparties, sur le papier, aux militaires : lancer des raids ciblés en appui à l'armée irakienne, soutenir l'action des forces de sécurité locales, former les unités rebelles en Syrie, protéger le personnel de l'ambassade US à Bagdad. Jusque-là, rien que de parfaitement clair. Oui mais avant-hier mardi, devant les membres de la commission des Forces armées du Sénat, Dempsey et Hagel ont laissé entendre que d'autres perspectives pourraient s'offrir, débouchant, si cela s'avère nécessaire, sur un engagement direct des 1 600 « conseillers » américains en terre mésopotamienne. Question du sénateur Jim Inhofe (républicain, Oklahoma) : « Nos hommes pourraient-ils déclencher une opération au sol destinée à sauver des camarades en situation dangereuse ? » Réponse catégorique : « Oui. »
Aux impondérables, inhérents à toutes les guerres, s'ajoute une évidence citée cette semaine par le Pentagone : la conviction que près de la moitié des 50 brigades qui forment les troupes irakiennes, 24 pour être précis, sont inopérantes car « trop marquées par le confessionnalisme ». Quant aux autres unités, considérées comme « nationalistes » suivant leurs instructeurs américains, elles devront être « partiellement reconstituées, rééquipées et formées par des spécialistes ».
Les mille et un problèmes qui se posent dans le cas syrien sont encore plus complexes. Là, à aucun moment l'éventualité d'un engagement direct n'a été évoquée par Washington. Tout au plus a-t-il été question d'entraîner, ce qui nécessitera de trois à cinq mois et probablement en Arabie saoudite, un groupe de 5 000 rebelles dont les familles ont été chassées de leurs foyers par l'organisation islamiste, étant entendu qu'il s'agira de les aider à « affronter Daech et non pas Assad ». Qu'il soit permis à ce propos au vulgum pecus de se poser la question de savoir comment tracer la ligne de séparation entre celui-ci et celle-là.
Aux roulements de tambour et aux bruits de bottes venus de la coalition des Quarante a répondu jusqu'à présent un calme olympien affiché par l'ennemi désigné, exception faite d'une vidéo de 52 secondes intitulée Les flammes de la guerre, montrant des militants mettant le feu à un blindé, des soldats blessés ou sur le point d'être tués, accompagnée d'une image d'Obama annonçant que des soldats ne seront pas envoyés en Irak et de cette petite phrase : « La bataille vient tout juste de débuter. »
Tout juste ? On aurait cru pourtant...
Moyen Orient et Monde - Le point
À l’épreuve de l’Irak
OLJ / Par Christian Merville, le 18 septembre 2014 à 00h40