Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Jihadisme

L’Etat islamique ou la puissance par l’image

Que sait-on vraiment de l'État islamique (EI) aujourd'hui ? Que sait-on vraiment de ce mouvement qui, en seulement quelques semaines, est devenu, aux yeux de certains, la menace numéro un mondiale ? Que sait-on de sa puissance réelle, de ses ressources, de sa gestion des territoires conquis, du nombre d'otages qu'il détient ou de ses objectifs immédiats? À vrai dire, pas grand-chose. Ou plutôt, ce que l'on sait de l'EI, c'est avant tout ce qu'il veut nous montrer. Des vidéos d'égorgement où la mise en scène des détails, du décor aux costumes, jusqu'au choix précis de chaque mot, est minutieusement pesée. Des photos de jihadistes armés jusqu'aux dents ou, bien au contraire, affichant leur bonheur de vivre dans le califat. Des commentaires, des articles et des images qui envahissent les réseaux sociaux. Et enfin ce reportage réalisé par Vice News qui, loin de contredire l'image qu'entretient l'organisation, la renforce en lui attribuant un crédit extérieur. La communication de l'État islamique semble parfaitement maîtrisée. Elle entretient une image d'ultraviolence qui terrorise son ennemi autant qu'elle attire de nouvelles recrues. L'étudier et en comprendre la stratégie sous-jacente devraient permettre d'éclairer certaines zones d'ombres sur l'organisation.
Abdelasiem el-Difraoui est chercheur associé à l'Institut des médias et de la communication politique à Berlin et auteur d'El-Qaëda par l'image, la prophétie du martyr. Dominique Thomas est un spécialiste des questions islamistes et du Proche-Orient, et auteur d'un ouvrage intitulé Les hommes d'el-Qaëda : discours et stratégie.

 

(Lire aussi : Contre l’État islamique, l'arme de la dérision)

 

Pas une nouveauté
En premier lieu, les deux experts s'accordent sur le fait que les atrocités commises par l'État islamique ne constituent pas en soi une nouveauté. Les ancêtres de l'EI, dont el-Qaëda en Mésopotamie, avaient déjà diffusé dans la seconde partie des années 2000 « des vidéos d'égorgements où la victime était habillée en orange en référence à Guantanamo », précise M. Thomas. « Cette organisation a toujours mis en avant l'ultraviolence, c'est son mode de fonctionnement », confirme M. el-Difraoui. « La récente controverse autour du cas Nemmouche démontre que le mouvement a d'ailleurs attiré des nouvelles recrues du fait de son extrême brutalité », ajoute-t-il. Selon lui, la nouveauté, c'est « la révolution 2.0 ». Les jihadistes sont passés d'un organe de presse centralisé à « une multitude d'organes exploitant les réseaux sociaux, permettant non seulement de communiquer plus vite, mais surtout de s'adresser à un public non arabophone », analyse M. Thomas. « L'EI a réussi ce qu'el-Qaëda n'a jamais pu faire, à savoir mobiliser les masses », ajoute de son côté M. el-Difraoui.

Désormais, selon M. Thomas, l'EI « a rationalisé sa production médiatique notamment en fonction de ses divisions administratives ». En d'autres termes, comme dans un État classique, des organes indépendants apparaissent dans les différentes régions (Alep, Mossoul, Raqqa) conquises par l'organisation. Toutefois, « la communication du calife reste centralisée », tempère M. el-Difraoui. Alors qu'avec la révolution 2.0, chaque membre de l'organisation peut devenir un vecteur supplémentaire de communication, les États essayent, en partenariat avec les entreprises qui gèrent ces réseaux sociaux, d'identifier les comptes d'accès et de les bloquer. « Mais il est très facile de recréer une multitude de comptes dans la foulée ou de muter vers un autre réseau social », explique M. Thomas. « En quelque sorte, les jihadistes jouent au jeu du chat et de la souris avec les États », ajoute-t-il.
Concernant les moyens de lutter contre cette organisation, les deux experts estiment que les Occidentaux sont en train de jouer le jeu de l'EI en lui accordant une surmédiatisation qui le fortifie. « La propagande de l'EI diffusée par les médias renvoie une image de puissance qui est disproportionnée par rapport à sa réalité sur le terrain», affirme M. Thomas. «Toute propagande permet d'exagérer sa propre puissance », indique quant à lui M. el-Difraoui.

 

(Pour mémoire : Le prêche du « calife » à Mossoul montre sa force et « le niveau de confiance au sein de son organisation »)

 

Le but de la propagande
Selon ce dernier, la propagande de l'EI doit être appréhendée selon trois niveaux d'analyse. Le premier est de l'ordre de l'utilitaire. « Il concerne le financement, le recrutement, il consiste à convaincre le public du contrôle réel du territoire », explique-t-il. Le deuxième est d'ordre mythique. « L'organisation s'approprie les symboles de l'islam, comme le drapeau ou le sceau du prophète pour faire appel à l'inconscient musulman », ajoute-t-il. Enfin, le troisième est d'ordre eschatologique. « Il utilise la symbolique du martyr, de la vie dans l'au-delà et de la repentance, notamment pour toucher un public européen qui veut se racheter de ses péchés antérieurs », analyse-t-il. « Même s'ils utilisent de nouvelles technologies, de nouvelles façons de filmer et d'exploiter leur image, les trois niveaux de la stratégie médiatique de l'EI font partie de la longue histoire jihadiste débutée depuis 30 ans », analyse-t-il encore.


Le décalage entre ces différentes références historiques met en avant les propres contractions du mouvement. « Ils sont en contradiction avec les préceptes mêmes de l'islam. Ils sont même en contradiction avec le salafisme et le wahhabisme, conclut M. el-Difraoui. Le meilleur moyen de les combattre, c'est d'expliquer aux jeunes que l'islam, ce n'est pas le jihadisme ».

 

Lire aussi
Les États-Unis en "guérilla" sur Twitter contre l’État islamique

Des jihadistes occidentaux émergent sur les réseaux sociaux

Abou Bakr al-Baghdadi, entre la barbarie de ses actions et l'ubiquité de ses silences

 Repère
Tout ce qu'il faut savoir sur l’État islamique

 

Que sait-on vraiment de l'État islamique (EI) aujourd'hui ? Que sait-on vraiment de ce mouvement qui, en seulement quelques semaines, est devenu, aux yeux de certains, la menace numéro un mondiale ? Que sait-on de sa puissance réelle, de ses ressources, de sa gestion des territoires conquis, du nombre d'otages qu'il détient ou de ses objectifs immédiats? À vrai dire, pas grand-chose. Ou...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut