« Monsieur le Président/ Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps/ Je viens de recevoir/ Mes papiers militaires/ Pour partir à la guerre/ Avant mercredi soir/ Monsieur le Président/ Je ne veux pas la faire/ Je ne suis pas sur terre/ Pour tuer des pauvres gens. »
Il s'agit donc d'une lettre adressée à « Monsieur le Président » par un homme ayant reçu un ordre de mobilisation en raison d'un conflit armé. L'homme y explique qu'il ne souhaite pas partir à la guerre et qu'il préfère déserter.
Nous sommes en 1954. La contre-offensive française face aux troupes du général Võ Nguyên Giáp avait conduit à la défaite française de Diên Biên Phu où 1 500 soldats avaient été tués. Boris Vian écrit alors cette chanson alors que la guerre d'Indochine n'était pas finie et que celle d'Algérie allait commencer. Des paroles qui vont choquer la société française. De tous ceux que Vian sollicite, seul Mouloudji, compagnon de route du Parti communiste, acceptera de l'interpréter, et il l'enregistrera le 14 mai 1954. Mais ce dernier propose une version adoucie de la chanson originale. Au lieu de cette phrase « Si vous me condamnez/ Prévenez vos gendarmes/ Que j'emporte des armes/ Et que je sais tirer », Mouloudji suggérera de remplacer les deux derniers vers par : « Que je n'aurai pas d'armes/ Et qu'ils pourront tirer ». Il demande son avis à Vian qui répond : « Tu fais comme tu veux Mouloud, c'est toi qui chantes. » Malgré cela, l'air est immédiatement censuré sur les ondes, et le disque, un 45 tour sorti en avril 1955 en pleine guerre d'Algérie, sera, quelque temps plus tard, retiré du commerce pendant de longues années. L'interdiction ne sera levée qu'en 1962. Mais la censure n'empêche pas Mouloudji de continuer à la chanter. Plus tard, il reviendra sur la polémique entourant la chanson : « En 1954, beaucoup de journalistes m'ont reproché d'avoir édulcoré Le déserteur. Mais ils n'avaient qu'à venir au moment où je l'ai créée : ils auraient vu que je m'appelais Mouloudji, que j'avais un nom arabe et que j'ai créé cette chanson le jour de la prise de Diên Biên Phu ! »
Depuis, la chanson a été très largement traduite (en 45 langues) et reprise par de nombreux interprètes comme Richard Anthony, Marc Lavoine, Juliette Gréco, Serge Reggiani, Johnny Hallyday, mais aussi Joan Baez ou Peter, Paul et Mary qui la chanteront durant la guerre du Vietnam. Le texte a également été détourné en 2012, en accord avec les héritiers de Boris Vian, et des militants antinucléaires chantaient : « Monsieur le Président/ Je ne peux plus me taire/ L'énergie nucléaire/ Peut tuer nos enfants. »
En 1967, Jean Ferrat, critique ceux qui ont pris le train en marche de la mode pacifiste :
«Il paraît que Le déserteur/Est un des grands succès de l'heure/Quand c'est chanté par Anthony», dira-t-il dans Pauvre Boris.
Aujourd'hui, Le déserteur demeure cet hymne antimilitariste entonné par tous ceux qui n'aiment pas la guerre.
Mais Dieu ! Qu'ils ont devenus rares !
Culture - Que me chantez-vous là ?
Y a-t-il encore un déserteur sur cette terre ?
Cela fait plus de trente-neuf ans que Boris Vian est mort, et sa chanson « Le déserteur » demeure vivante. Traduit en plus de quarante-trois langues, cet hymne pacifiste, s'il appelle à la désertion, invite surtout à la paix et à la non-guerre.
OLJ / Par Colette KHALAF, le 01 septembre 2014 à 00h00