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Liban - Reportage

Après Ersal, Qaa et Ras Baalbeck traversent l’époque la plus difficile de leur histoire

Une semaine après l'attaque islamiste contre le village de Ersal qui suscite de nombreuses interrogations, c'est dans l'angoisse et l'expectative que vivent les habitants des villages chrétiens frontaliers de Qaa et Ras Baalbeck. Plus que jamais accrochés à leur terre, ils s'organisent.

Photo Nagi Nasrallah

« Nous ne lâcherons jamais notre village quoi qu'il arrive! » C'est d'un ton catégorique et sans la moindre hésitation que Nadia, une jeune commerçante de Qaa, résume son attachement à son village, suite à l'attaque islamiste du village voisin de Ersal le 2 août. « Nous avons vu pire, nous avons l'habitude, alors Daech ou pas, nous sommes là et y resterons. » Autour d'elle, ses proches renchérissent. « Nous ne pouvons abandonner notre terre, nos biens, nos activités professionnelles », dit un père de famille. Mais les propos trahissent l'inquiétude de la population de ce village chrétien de la Békaa, situé à la frontière syrienne. « Voilà des mois que nous subissons les répercussions de la crise syrienne. Nous avons même été bombardés il y a quelque temps », dit une autre jeune femme.
Nombre de familles, et pas uniquement des estivants, ont alors choisi de quitter la région, le temps que les choses se calment. Des inquiétudes confirmées par l'épicière d'à côté, « Nous avons été très secoués », avoue-t-elle. Mais dans cette localité qui n'a pas été épargnée par la guerre, elle crâne : « Les habitants de Qaa n'ont peur de rien. » Chacun finit par s'en remettre à Dieu, à la Vierge et à tous les saints, en espérant que les choses rentreront vite dans l'ordre. « Pourvu que la situation se calme, et nous irons bien », finit par dire un jeune homme.

 

30 000 réfugiés syriens
Dans ce village de 5 000 habitants tout au plus, dont une grande partie est engagée dans l'armée libanaise ou les forces de l'ordre, on se prépare au pire. Car on craint sérieusement que l'épisode de Ersal ne se reproduise ici. Et pour cause, Qaa héberge quelque 30 000 réfugiés syriens logés chez l'habitant ou dans des tentes dans la région agricole de Macharih el-Qaa.
Depuis l'agression de Ersal, le village ne dort plus sur ses deux oreilles. « Nous sommes persuadés que Qaa et Ras Baalbeck, ces deux villages exclusivement chrétiens de la région, étaient la cible principale des islamistes. Nous nous demandons encore ce qui a changé pour qu'ils jettent leur dévolu sur Ersal », avoue le curé de la paroisse, le père Éliane Nasrallah. Car le président de la municipalité, Milad Rizk, a reçu des menaces sur son téléphone portable. « Abou Hassan al-Mouhajer m'a menacé de détruire Qaa sur la tête de ses habitants si nous portons atteinte aux réfugiés de Macharih el-Qaa », confirme ce dernier. Et pourtant, les réfugiés sont assistés et pris en charge par les organisations internationales par le biais de l'Association nationale libanaise du développement social, fondée par le père Nasrallah.
Pourraient-ils constituer un danger pour la petite localité ? « Nous leur avons fourni une aide humanitaire telle que nous ne pensions pas qu'ils puissent constituer une menace pour Qaa », estime le curé, montrant notamment les services sanitaires, éducatifs et alimentaires assurés aux réfugiés syriens. Une aide qui n'a pas manqué de susciter des grincements de dents de la part d'une population locale privée d'une partie de ses terres pour cause d'insécurité et minée par le chômage.
Alors, pour protéger la localité qui vit « la période la plus difficile de son histoire depuis 50 ans », comme le souligne Pierre Saad, membre du conseil, la municipalité a décidé de réagir. Et ce en coordination avec l'Église et les habitants, toutes appartenances confondues. « Nous avons dû faire face aux débordements des réfugiés syriens qui multipliaient les atteintes à la sécurité du village, affirme Milad Rizk. Nombre d'entre eux sillonnaient le village à mobylette, sans papiers, tirant en l'air. » « Les mobylettes ont donc été interdites la nuit. De plus, une équipe de vigiles armés a été mise en place, formée d'habitants et d'agents municipaux. Une équipe prête à tout moment à entrer en contact avec l'armée si besoin est », assure M. Rizk. Il ajoute qu'une centaine de jeunes gens sont prêts à intervenir en cas d'attaque, tout en souhaitant « que l'armée, qui n'est présente en force que depuis quelques jours, joue son rôle ».


Mais il ne peut s'empêcher d'inviter l'État libanais à réglementer et informatiser la présence des réfugiés syriens sur l'ensemble du territoire, ou alors à donner aux municipalités les moyens de le faire. « Pourquoi ne pas leur fournir des cartes informatisées, sur lesquelles toutes les données les concernant sont disponibles, leur permis de séjour, leur lieu de résidence, les aides qu'ils reçoivent, leur lieu de travail ? » demande-t-il, assurant que cela permettrait de mieux gérer la situation.

 

La ligne rouge avant Achrafieh et Jounieh
Quelques kilomètres plus au sud, Ras Baalbeck, qui n'abrite qu'un millier de réfugiés syriens, vit la même angoisse d'une invasion islamiste. Ici ou là, une femme fait part de sa peur panique, alors qu'une autre assure qu'elle ne quittera son village natal pour rien au monde. Un épicier, lui, se contente de hocher la tête, craignant pour l'avenir des chrétiens et priant pour la sécurité de la troupe, au sein de laquelle servent de nombreux jeunes du village.


Mais la peur de Daech n'a pas empêché les habitants de célébrer la fête de l'Assomption, hier soir, même si nombre de Beyrouthins n'étaient pas au rendez-vous de ce week-end de festivités. Comme leurs voisins de Qaa, les habitants de cette localité de 3 000 habitants environ s'agrippent à leur terre, à leurs maisons, à leurs racines. « En réponse au communiqué des islamistes invitant à chasser les chrétiens, nous n'avons qu'une réponse : nous ne partirons pas. Nous ne quitterons pas notre village », martèle Naji Nasrallah, enseignant et agriculteur. Mais l'homme, membre actif de la société civile, ne peut s'empêcher de faire montre d'inquiétude face aux actes à répétition perpétrés par « des hommes armés venus de Syrie ». Outre la récente affaire de Ersal qui continue de susciter des interrogations, il rappelle la dégradation sécuritaire ainsi que l'action perpétrée en juin dernier par des éléments armés venus de Syrie contre une carrière de pierres au sommet de Ras Baalbeck, notamment le vol de broyeuses, l'enlèvement contre rançon d'un chauffeur de la carrière, habitant du village. « Pour libérer ce dernier, nous avons payé la somme de 30 000 dollars, que nous avons remise au président de la municipalité de Ersal, rappelle à ce propos le propriétaire de la carrière », Nidal Mechref.


« Si la ligne de défense qui va de Qaa à Younine, en passant par Ersal, tombe aux mains des islamistes, Achrafieh et Jounieh ne seront plus en sécurité », assure encore M. Nasrallah, dans un message clair aux autorités. Il tient à préciser que cette région est multiconfessionnelle et cohabite en « bonne harmonie ». « Elle abrite presque autant de chrétiens (30 000 environ) que de sunnites (40 000 environ) et de chiites (40 000 environ) », affirme-t-il. Insistant sur le soutien inconditionnel à l'armée de toute la population, il souligne que les habitants n'ont d'autre choix que « d'organiser une résistance ». « Nous essayons d'éviter l'autosécurité, mais ne quitterons pas nos maisons. » Contacté par téléphone, le président de la municipalité, Hicham el-Arja, confirme : « Nos jeunes sont sur le qui-vive et veillent, prêts à informer l'armée en cas de danger », affirme-t-il. Car si la population est plus tranquille depuis la présence de la troupe dans la région et souhaite la voir rester, il est hors de question de réduire la vigilance. Il ambitionne donc de mieux organiser la défense du village et « de créer une équipe de vigiles, comme l'a fait Qaa ».
Car désormais, pour Ras Baalbeck comme pour le Qaa, il y a l'avant-Ersal et l'après-Ersal. Et ces deux villages chrétiens sont une ligne rouge à ne pas enfreindre...

 

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« Nous ne lâcherons jamais notre village quoi qu'il arrive! » C'est d'un ton catégorique et sans la moindre hésitation que Nadia, une jeune commerçante de Qaa, résume son attachement à son village, suite à l'attaque islamiste du village voisin de Ersal le 2 août. « Nous avons vu pire, nous avons l'habitude, alors Daech ou pas, nous sommes là et y resterons. » Autour d'elle, ses...
commentaires (1)

Unique solution , chasser ou répartir ces 30 000 réfugiés syriens sur d'autres villages ayant la même confession.

Sabbagha Antoine

11 h 16, le 15 août 2014

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Commentaires (1)

  • Unique solution , chasser ou répartir ces 30 000 réfugiés syriens sur d'autres villages ayant la même confession.

    Sabbagha Antoine

    11 h 16, le 15 août 2014

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