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Économie - Liban - Social

L’affaire des journaliers d’EDL en cacherait-elle une autre ?

Le ton monte entre la direction d'EDL et les journaliers qui ont appelé à une grève ouverte depuis samedi dernier. Mais le nombre de personnes autorisées à passer le concours pour être intégrées au cadre de l'office pourrait-il être en réalité une excuse pour empêcher l'installation des « compteurs intelligents » ?

Photo Hassan Assal

« Vous nous traitez comme des esclaves », ont accusé hier encore les journaliers d'Électricité du Liban (EDL) le directeur général de l'office, Kamal Hayek. Le dialogue s'envenime chaque jour davantage et chaque partie campe sur ses positions, refusant de céder. Bloquant l'autoroute, brûlant des pneus et empêchant les employés d'EDL de se rendre à leurs bureaux, les journaliers protestent depuis samedi dernier contre la publication par la direction d'EDL d'un mémorandum chiffrant les places vacantes au sein de l'office à 897. Et comme le stipule la loi approuvée par le Parlement en avril dernier, ce document doit être transmis au Conseil de la fonction publique qui devra organiser un concours dans l'objectif de cadrer les journaliers. Ces derniers, qui sont approximativement 1 700, affirment refuser qu'on puisse exclure la moitié d'entre eux de l'intégration au cadre et disent être déterminés à poursuivre leur grève ouverte et leur mouvement de protestation jusqu'à obtention de leurs revendications.

Mais pour le président-directeur général d'EDL Kamal Hayek, il n'y a pas de négociation possible à ce sujet. « C'est à la direction de la compagnie de déterminer les postes vacants », a-t-il affirmé hier lors d'une conférence de presse. « L'affirmation selon laquelle tous les journaliers seront inscrits au cadre n'existe pas dans la loi », a ajouté M. Hayek. Selon lui, « certains journaliers ont d'autres métiers et ne souhaitent pas intégrer le cadre d'EDL afin de garder les deux emplois ». Le PDG a fortement critiqué le fait que les journaliers mènent des actions entraînant la fermeture d'EDL, soulignant qu'il existe d'autres moyens de protester. « EDL n'est pas une ferme, et nous ne sommes pas des animaux », a-t-il martelé, avertissant qu'il n'hésiterait pas à traduire en justice les casseurs.

Mais les journaliers disent ne pas craindre les menaces et portent à leur tour une série d'accusations contre la direction d'EDL. « Quel message vous voulez donner aux citoyens en gardant à la tête d'EDL la même direction depuis 15 ans, qui n'a fait qu'accentuer la dégradation de l'institution ? » ont-ils demandé en interpellant les responsables politiques. « Pourquoi ne pas appliquer la loi 181 qui stipule la nomination d'une nouvelle administration depuis l'année 2011 ? » se sont-ils interrogés. « Pourquoi le directeur général (Kamal Hayek, NDLR) ne s'est pas basé sur l'étude réalisée par les directeurs des centres régionaux d'EDL qui chiffrait le nombre de postes vacants à 1 600 ? » ont-ils encore scandé.

Levée de boucliers face aux « compteurs intelligents »

« Vous nous avez vendu à des sociétés avec lesquelles nous ne voulons pas travailler », ont accusé les journaliers la direction d'EDL. « À bas Nizar Younès », scandaient encore il y a quelques jours les manifestants qui brûlaient des pneus devant l'office. Dans un entretien accordé à L'Orient-Le Jour, Nizar Younés, président du conseil d'administration de Butec, maison mère de Bus (l'une des trois sociétés ayant remporté l'adjudication lancée par EDL pour la gestion du réseau de distribution d'électricité), récuse ces accusations et soutient que le mouvement des journaliers est manipulé.

« Aucun des anciens journaliers d'EDL, qui sont aujourd'hui employés chez nous, n'a participé aux violences des derniers jours, et les quelques casseurs et agitateurs se battent en réalité pour le compte des mafias du secteur de l'électricité », a-t-il affirmé.
Selon lui, c'est la mise en place prochaine de milliers de « compteurs intelligents » à travers tout le pays qui a créé un vent de panique chez tous ceux qui participent à la corruption généralisée du secteur. En 2010, le Conseil des ministres avait approuvé un plan de sauvetage de l'électricité, dont un des piliers était ces « compteurs intelligents » qui offrent la possibilité de coupures à distance, des factures informatisées et d'un contrôle précis du gaspillage technique et non technique. « Les essais pilotes que nous avons menés ont chiffré les pertes sur le réseau électrique à 40 %. Grâce à ces compteurs, nous sommes en mesure de limiter les pertes à 10 %, collectant ainsi plus d'un milliard de dollars supplémentaires par an », a expliqué M. Younès. « L'enjeu est de taille car cette somme importante qu'EDL pourrait récupérer équivaut à autant de milliards que les mafias perdraient », ajoute-t-il. Rappelons par ailleurs qu'en plus des 700 millions de dollars qu'ils déboursent chaque année à EDL, les Libanais règlent quelque 1,7 milliard de dollars aux propriétaires de générateurs électriques.

Alors cette mobilisation pour réclamer davantage de postes vacants à EDL, M. Younès n'y croit qu'à moitié. « Sur les 1 600 journaliers concernés, 1 230 ont l'âge et les aptitudes scolaires requises pour passer le concours, soit environ 80 % d'entre eux si on considère qu'il y a 897 places vacantes », indique-t-il. M. Younès va même encore plus loin en affirmant que seuls 10 % des journaliers employés à Bus accepteraient de quitter l'entreprise pour être intégrés au cadre d'EDL s'ils passaient le concours. « On les a formés, on les a inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), on a signé un contrat à durée indéterminée avec eux et on n'a aucun intérêt à les laisser partir », insiste-t-il, répondant indirectement aux appréhensions des journaliers relevées lors des manifestations, craignant d'être mis à la rue si EDL ne renouvelle pas son contrat avec les entreprises. D'ailleurs, les employés mêmes de Bus ont publié hier un communiqué pour se démarquer des « fauteurs de troubles » et condamner les actions violentes des journaliers ces derniers jours. « Nous déplorons les attaques émises contre Nizar Younès et apprécions son soutien continu dans notre bataille pour davantage de justice sociale », a indiqué leur communiqué.
Mais une nouvelle bataille, d'une autre dimension, semble aujourd'hui se jouer au niveau de l'économie informelle à dimension démesurée (mafias des générateurs électriques et trafiquants de compteurs) et que certains osent encore défier. Une bataille loin d'être gagnée...


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