Avec Nouri Kamel al-Maliki, c'est à peine si les bonnes intentions durent l'espace d'un matin. L'invite faite mardi à l'armée à observer une stricte neutralité dans la crise actuelle reflétait moins une résignation devant le choix, pour lui succéder, d'un nouveau Premier ministre que la nécessité de se donner le temps de retrouver son second souffle. C'est chose faite à en juger par la correction de tir opérée hier. Rien n'est joué, a-t-il fait savoir, et le gouvernement reste en place en attendant la décision de la Cour fédérale suprême.
L'homme est coutumier des coups tordus. La scène, rappelée par le New York Times, se passe à l'automne 2007, lors d'une vidéoconférence consacrée à la signature, avec George W. Bush, d'une déclaration de principes. Le président américain appose son paraphe sur le document tandis que l'Irakien, lui, fait semblant et se contente de le survoler avec son stylo. Toutefois, le manège n'a pas échappé à un officiel US qui lui lance : « Don't screw with the president of the United States. »
Ces dernières quarante-huit heures, Maliki multiplie les mises en garde à l'adresse de ses actuels adversaires et de ses anciens protecteurs, menacés de voir s'ouvrir « les portes de l'enfer » pour peu qu'ils s'obstinent dans leur choix. Il a réussi, en recommençant à ruer dans les brancards, le tour de force d'unir contre lui l'Amérique, la République islamique, l'Europe et l'Arabie saoudite. Sur le plan interne, il a été lâché par son principal soutien armé, la milice des Assaëb Ahl el-Haq – financée par l'Iran –, les députés de l'Alliance nationale chiite, les Kurdes de Massoud Barzani et même les sunnites du parti Mouttahidoun dont le porte-parole, Zafer el-Aani, a estimé que le choix par le chef de l'État Fouad Maassoum de Haïdar el-Abadi « redonne espoir à la nation ».
Or de l'espoir, elle en a besoin, cette nation irakienne, aujourd'hui menacée autant par le nouvel Attila qu'est Abou-Bakr al-Baghdadi que par ses divisions internes. Ces jours-ci, on a frôlé l'intervention musclée pour faire entendre raison à l'imprévisible Maliki qui continue de se battre, le dos au mur. Avec des forces armées devenues quantité négligeable après leur désastreuse prestation face aux hordes de Daëch, il ne lui reste que les rares tribus qui n'ont pas encore fait allégeance aux nouveaux maîtres de la moitié du pays. Certes, il conviendrait de ne pas se dépêcher de donner pour « mort » un crocodile qui aura gouverné sans discontinuer depuis le 20 mai 2006. Formée fin décembre 2010, l'équipe actuelle a organisé les législatives qui ont permis à son chef d'enlever 93 des 328 sièges de l'Assemblée nationale, un chiffre nettement insuffisant pour former, comme il l'espérait, son troisième gouvernement. Le second coup de semonce est venu de la présidence de la République lorsqu'il s'est agi de désigner un nouveau Premier ministre. En dépit des dénégations américaines, on n'a pas oublié les innombrables appels téléphoniques de Barack Obama, de son vice-président Joe Biden et du secrétaire d'État John Kerry pour souffler à leurs interlocuteurs le nom d'Abadi. Ni, s'il faut croire le site Daily Beast (en général fort bien informé), la présence sur place de l'ambassadeur US Robert Beecroft et le numéro deux du département d'État Brett McGurk, chargés de veiller à la réussite du soufflé.
La formation d'un gouvernement est susceptible de prendre quelque temps, tout comme pourraient être minimes ses chances de mener à bien les tâches qui lui seront assignées. Une chose est sûre cependant : une résurrection de Nouri Kamel al-Maliki apparaît improbable. Les coups de boutoir portés à l'Irak, au prétexte de le sauver d'un désastre annoncé (programme nucléaire, visées iraniennes, folie destructrice de Saddam Hussein...), l'ont laissé exsangue, à la merci des aléas du sort, des rêves d'un État kurde encouragé par la communauté internationale mais combattu par Téhéran, Damas et Ankara et – maintenant que la neutralisation de la communauté sunnite par l'ancien tyran d'abord, l'administration Bush ensuite, Maliki enfin, a fait son œuvre – à la merci de la folie du calife de Bagdad.
De là à parler de la fin de Sykes-Picot, et, par voie de conséquence, d'une nouvelle carte de la région, il n'y avait que quelques pas que certains se sont dépêchés de franchir avec une suspecte allégresse et des considérations qui n'ont rien à voir avec la réalité sur le terrain. Non pas que ledit accord continue d'être viable (c'est même le contraire qui serait vrai), mais parce que l'on ne voit pas très bien par quels « quasi-États » (l'expression est de Robert Jackson*) il pourrait être remplacé, ni au moyen de quels chambardements. Et puis les faiseurs/défaiseurs de notre pauvre planète seraient peut-être tentés de tout laisser en l'état (sans jeu de mots).
* « Quasi-States : sovereignty, international relations and the third world », by Robert H. Jackson – Cambridge University Press1990, 225 pages.
VOILÀ UN DARTAGNAN DES ÂGES NOIRS... DU : TOUS POUR UN !!! ET LUI POUR LUI-MÊME...
18 h 02, le 14 août 2014