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Campus - À l’UIR Web Science de l’USJ

Les identités numériques au cœur du débat

Définir les identités numériques, leurs enjeux et leurs problématiques, tel a été l'objectif du séminaire de recherche organisé le 2 mai par l'Unité interdisciplinaire de recherche Web Science à l'Université Saint-Joseph, et donné, via Skype, par le sociologue français Dominique Cardon.

Dominique Cardon.

À l'UIR Web Science, hébergée par le Centre d'études pour le monde arabe moderne, des chercheurs étudiants en sociologie, philosophie ou sciences politiques travaillent sur l'impact du Web sur l'individu, à travers l'étude de textes, produits par des sociologues, en « digital humanities ». « Nous organisons régulièrement des séminaires de recherche qui sont, faute de moyens, donnés parfois sur Skype. Deux étudiants préparent ainsi une activité scientifique de recherche interactive et présentent le thème, puis le conférencier développe son point de vue », explique Stéphane Bazan, responsable de recherche à l'UIR Web Science.
Le thème des «identités numériques» s'inscrit dans ce contexte. Le sujet fait l'objet de travaux en sociologie, notamment avec l'émergence du Web 2.0 qui permet au simple utilisateur d'être actif et, entre autres, de produire son propre contenu et d'interagir avec les autres. «Avec le Web 2.0, l'internaute est mis en scène d'une manière particulière: il s'introduit lui-même dans l'espace numérique, sous l'aspect de l'identité numérique. Le Web social va mettre celle-ci en forme à travers le profil que les plateformes demandent à l'individu de construire», indique Dominique Cardon, également chercheur au laboratoire des usages de France Télécom et membre associé au Centre d'études des mouvements sociaux de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
L'identité numérique se caractérise par trois types de signes, selon Fanny Georges, maître de conférences en sciences de la communication à l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, que l'étudiant en sciences politiques, en échange à l'USJ, Adam Chour, cite, lors de sa présentation, pendant le séminaire. «Il y a l'identité déclarative qui renvoie à l'ensemble des éléments qu'une personne révèle sur elle-même, l'identité agissante qui renvoie à l'ensemble des actions ou activités de l'utilisateur, ainsi que l'identité calculée qui correspond aux calculs du système, tel le nombre de "followers" sur Tweeter», explique ce chercheur à l'UIR Web Science.
Dans la construction de cette identité numérique, M. Cardon relève trois points essentiels. Tout d'abord, l'identité réelle et l'identité numérique des personnes sont entrelacées et difficiles à défaire, surtout avec l'apparition des réseaux sociaux. «En fait, c'est une suite de rebonds entre l'identité réelle et l'existence numérique des individus, dit-il. On le sait maintenant, sur Facebook par exemple, même si on a beaucoup d'amis, on discute avec très peu de gens, parmi lesquels ceux qu'on croise dans la vraie vie», poursuit le
chercheur.
Ensuite, l'individu négocie la visibilité du profil qu'il montre sur Internet. Ainsi, dans la construction de son identité, c'est lui qui décide des personnes qui peuvent le voir. Ce semblant de contrôle est pourtant ébranlé par « deux acteurs importants qui nous surveillent et qui possèdent nos données. C'est l'usage commercial et l'usage étatique. La question de la visibilité est toutefois centrale car elle est liée à la démocratisation de l'accès à l'existence numérique des personnes », selon M. Cardon.
Le troisième point dans la construction de l'identité numérique est le travail de production de soi, de l'image que l'on souhaite donner aux autres.On parle alors de « la dimension de production créative de cette entité virtuelle sur laquelle on projette un désir de construction de l'image de soi ».

Un travail sur l'image de soi
En outre, la problématique de la construction de l'identité numérique englobe différents enjeux. Relevant de la philosophie, le premier enjeu porte sur le rapport entre deux entités en interaction sous l'angle de l'éthique de Levinas. «Un risque se pose sur la qualification de l'entité avec laquelle on discute sur le Web. Est-ce que deux fiches/individus Facebook qui discutent sont deux projections artificielles et construites? Est-ce que le modèle de l'éthique morale levinassienne est applicable dans cet univers-là?» déclare M. Cardon. En effet, de nouveaux rapports humains sont produits car virtuels. Intervenant lors du séminaire, Tatiana Menassa, étudiante en philosophie et en relations internationales à l'USJ et chercheuse à l'UIR Web Science, estime que « le Web transforme le regard d'autrui. Il brise le contact direct avec le visage qui représente l'humanité d'autrui et donc brise l'éthique. Comme conséquence directe, des choses désobligeantes peuvent se dire à travers le Web, d'une façon directe et frontale ».
Sur un autre plan, se pose un enjeu relatif à la vie privée. En se construisant comme sujet numérique, l'individu produit des données dont une partie formerait des traces d'éléments intimes. Celles-ci pourraient être récupérées et faire l'objet de calculs et d'opérations commerciales ou étatiques.
M. Cardon aborde, par ailleurs, l'enjeu du calcul de soi-même. «C'est un enjeu très important. L'individu devient sculpteur de sa propre image car il a créé une sorte de distance réflexive à lui-même qu'est son identité numérique et qui l'accompagne partout dans sa vie quotidienne.» Ainsi, l'individu va se mettre dans une situation réflexive et calculatoire afin de transformer son expérience vécue en expérience racontée dans l'espace numérique.
En allant plus loin dans l'idée du calcul, l'individu peut produire des représentations de soi auxquelles il aspire mais qui ne sont pas en affinité avec ses agissements réels ou qui ne correspondent pas exactement à la réalité de ses pratiques. Il dirait, en effet, ce qu'il aimerait être en pensant aux effets qu'il souhaiterait produire sur les autres. « Un des débats, en matière de traitement des données, porte sur l'idée qu'il ne faut pas prendre au sérieux ce que les gens racontent car ils se mentent à eux-mêmes sur leur propre activité. Il faut prendre en compte uniquement les traces de leur conduite. Donc ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on dit faire, mais ce qu'on fait réellement », affirme M. Cardon. De là découle l'idée que l'existence numérique d'un individu correspondrait à ses accomplissements.
Dans le même ordre d'idées, et pour appuyer la présence d'éléments de calcul dans la construction de l'identité numérique, le chercheur donne l'exemple d'enquêtes effectuées sur Facebook auprès de jeunes utilisateurs. Ces derniers expliquent que les signaux qu'ils produisent sur eux-mêmes, tel un statut, devaient être associés à des éléments tactiques, liés à leur publication sur le Web, comme le choix du moment de la journée ou du jour de la semaine. Le but : recueillir le plus de « like », « re-tweet » ou commentaires. En d'autres termes, « l'évaluation par le regard des autres est très centrale dans l'animation de la pratique. Et toute l'économie du Web 2.0 réside dans la reconnaissance que manifestent les autres. Si l'on n'obtient pas ces signes de reconnaissance, on abandonne vite cette pratique », affirme M. Cardon.
Par conséquent, l'usage esthétique de l'individu sur le Web social se caractérise par le besoin constant de plaire. « Il y a un besoin presque pathologique et narcissique de vouloir accumuler les amis sur Facebook ou de paraître beau dans les photos. Ainsi, on cherche à se faire apprécier de tous pour finir esclave de ses passions », remarque Tatiana.
Avec le Web 2.0, l'identité se retrouve dans un paradigme nouveau. L'individu doit se rendre visible à l'écran: la manifestation de son existence en dépend. Son identité numérique est en perpétuelle construction. Elle se nourrit à travers ses activités et les traces qu'il laisse, mais elle est aussi formée, voire légitimée, par le regard et l'évaluation de l'autre.

À l'UIR Web Science, hébergée par le Centre d'études pour le monde arabe moderne, des chercheurs étudiants en sociologie, philosophie ou sciences politiques travaillent sur l'impact du Web sur l'individu, à travers l'étude de textes, produits par des sociologues, en « digital humanities ». « Nous organisons régulièrement des séminaires de recherche qui sont, faute de moyens,...

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