Rechercher
Rechercher

Culture - Rencontre

Propos sur la musique et la vie avec Abdel Rahman el-Bacha

Retour en sol majeur pour Abdel Rahman el-Bacha, pianiste prodige et prodigieux. Depuis son départ pour la France en 1974, le compteur de la navette Beyrouth-étranger marque plus de 150 allers-retours. Invité par le Conservatoire national supérieur de musique, rencontre pour parler bien entendu musique mais aussi de quelques détails d'un parcours exceptionnel*.

Cheveux sel et poivre pour des tempes dégarnies, silhouette plus fine que par le passé («mieux vaut un kilo en moins qu'un en plus», dit il en riant!), teint basané, regard vif, démarche agile, Abdel Rahman el-Bacha est parfaitement heureux de se retrouver dans sa ville natale. Impression? «Beyrouth évolue comme toutes les villes du monde», commente-t-il, heureux aussi de s'exprimer dans un français impeccable. Et d'expliquer: «J'adore la langue arabe mais, pour mieux cerner ma pensée et la traduire, je me sens plus à l'aise en français... Oui je pourrais même revenir plus souvent, mais ma vie de musicien a ses diktats. Retrouver Beyrouth, c'est comme pour un poète qui retrouve la lumière et les éléments qui se remettent en place. C'est un rééquilibrage mental et physique.»
Petit récapitulatif d'une «success story» dont les Libanais s'enorgueillissent. Non parce qu'ils le retrouvent sur Wikipédia, mais parce que ses concerts et sa présence régulière au pays du Cèdre rassurent et parlent à ses concitoyens.


Appel du large à 16 ans (on est bien sérieux à cet âge, quoiqu'en pense Rimbaud!), juste avant le séisme des armes, pour appartenir au monde auquel il se devait, c'est-à-dire le Conservatoire de musique de Paris. Il en sort couronné de quatre prix. Et très vite, presque à l'orée de ses vingt ans, voilà en 1978 ce fabuleux concours Reine Elizabeth remporté haut la main, à l'unanimité. Du jamais-vu au royaume de Belgique dans cette compétition considérée comme périlleuse et redoutable. Et c'est Nikita Magaloff qui glisse l'idée de la partition de Prokofiev sous les doigts du jeune pianiste libanais qui, par une interprétation flamboyante, mettra le feu à la baraque.


Aujourd'hui, à 56 ans, la discographie de Abdel Rahman el-Bacha dans les bacs est impressionnante. Plus d'une quarantaine de CD (chez «Mirare et Octava Records») où se rangent les œuvres de Prokofiev, Beethoven, Chopin, Schumann, Schubert, Ravel, Rachmaninov et Bach. CD salués avec respect et enthousiasme par la critique et les mélomanes du monde entier.
L'art est une hérédité familiale chez les Bacha. Pour eux, musique et peinture sont chevillées. D'abord son père, compositeur et chef d'orchestre oriental, sa mère Wadad, chanteuse à la voix d'or, ensuite son oncle Amine, aquarelliste et peintre, et maintenant sa fille aînée qui fait de la peinture. Père de quatre enfants, dont le dernier est bachelier, Abdel Rahman el-Bacha est un être à l'écoute de l'autre et du monde.

 

Quel livre fréquente-t-il?
«Longtemps Le Prophète de Gibran a été mon guide, dit-il. Je le lis de moins en moins. À présent, je parcours les livres sacrés, la littérature française, afin de pouvoir répondre aux détracteurs en tout genre! La musique est reliée à la culture, la métaphysique et la
mystique.»

Puisque nous en sommes aux questions, alors qu'est-ce qui vous touche?
«Je ne sépare pas l'esthétique du sens de l'expression. Je ne voudrais pas que mon expression produise un art musical qui choque mes oreilles au lieu de leur plaire.»

Et comment définissez-vous la musique?
« La musique a l'avantage d'être invisible, ce qui est visible trompe facilement. La musique a la délicatesse des fleurs et d'un clair de lune. On donne toute notre âme à l'argent et il ne le mérite pas. L'argent ne donne pas la vie, mais il donne la possibilité d'entretenir la vie. La vie c'est autre chose ! »

Et le piano, quelle résonance éveille-t-il en vous ?
«Le piano a été un moyen de toucher à ce qui est beau, à ce qui fait du bien à l'âme. C'est une façon de toucher à l'exaltation et au bonheur d'exister. Mais c'est aussi un instrument de communication. Façon de fraterniser par quelque chose de réel l'humain qui nous relie et qui, pour moi, est plus important que ce qui peut nous séparer. Et c'est ce qui nourrit mon inspiration. Mon approche du clavier a évolué. Je ne travaille pas plus de trois heures par jour. Il y a un travail de latence, une sorte de gestation, même dans mon sommeil... »

Et de quoi aurait peur Abdel Rahman el-Bacha ?
«Peur? Je n'ai plus peur maintenant. J'ai gagné en tolérance avec l'âge. Je suis de plus en plus convaincu que le bien ou le mal qu'on fait, on le fait pour ou contre soi et non contre l'autre. Je ne peux avoir peur que du mal que je peux faire. Ce qui me désole, c'est cet animal préhistorique couché en chacun de nous et qui, à la première occasion, montre son nez (Kalachnikov ou autre...) »

Êtes-vous croyant ?
«Oui je suis croyant, mais pas dans le genre traditionnel. Je ne suis aucun rite. La vie est un miracle. La musique est l'une de ses voix et elle est divine. »

Parmi les compositeurs libanais, avez-vous une préférence ?
«Je préfère ne pas porter un jugement sur un artiste, mais sur des œuvres. Et bien sûr là je pourrais citer celles de mon père Toufic, Béchara el-Khoury, Zad Moultaka, Marcel Khalifé, Georges Baz et Boghos Gélalian qui est resté fidèle à la musique qui l'a nourri. Et je suis certain, j'en oublie bien d'autres... »

Vous êtes aussi compositeur. Il y a plus de cinquante pièces à votre actif. Comment définissez-vous vos opus ?
«Mes pièces sont brèves et ont un esprit un peu modal, conciliant l'oriental, le romantique et l'ibérique. Ce sont des œuvres spontanées, inspirées de faits événementiels. Je n'ai pas une carrière de compositeur. Cela me tranquillise : je ne me situe pas dans le sillage des pionniers. »

Dernier souhait ou mot au public ?
«Que la musique soit enseignée comme une valeur essentielle dans la formation des jeunes. Au même titre que toutes les autres disciplines. Qu'on prenne la musique au sérieux, car elle apporte beaucoup de bonheur et de plaisir. D'autant plus précieux qu'on vit des moments difficiles...»

 

*Abdel Rahman el-Bacha sera ce soir, à 20h30, à l'église Saint-Joseph. Il donnera la réplique à l'Orchestre philharmonique libanais placé sous la direction de Harout Fazlian. Pour la circonstance, il interprétera le « Concerto pour piano et orchestre n°4 » de Beethoven. Au menu, pour la part orchestrale, une œuvre de Toufic el-Bacha et « Les Tableaux d'une exposition » de Moussorgski.

Cheveux sel et poivre pour des tempes dégarnies, silhouette plus fine que par le passé («mieux vaut un kilo en moins qu'un en plus», dit il en riant!), teint basané, regard vif, démarche agile, Abdel Rahman el-Bacha est parfaitement heureux de se retrouver dans sa ville natale. Impression? «Beyrouth évolue comme toutes les villes du monde», commente-t-il, heureux aussi de s'exprimer dans...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut