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Liban - Liban

À Bourj-Hammoud, la difficile cohabitation entre Libanais et Syriens

Bourj-Hammoud est aujourd'hui un des quartiers les plus multiculturels de Beyrouth. Mais la pauvreté, la surpopulation et le laxisme des autorités ouvrent la voie à la xénophobie envers les Syriens, travailleurs ou réfugiés.

« La municipalité de Bourj-Hammoud informe les habitants étrangers (Syriens) qu’il leur est interdit de circuler entre 20 heures et 6 heures », dit le texte sur la banderole. Photo Anne-Marie el-Hage

« La municipalité de Bourj-Hammoud informe les habitants étrangers (Syriens) qu'il leur est interdit de circuler entre 20 heures et 6 heures ». Surplombant la place centrale et les artères principales du quartier arménien de Beyrouth, cette phrase inscrite sur des banderoles s'impose aux passants. Elle porte la signature de la municipalité de Bourj-Hammoud. Elle est également placardée dans les étroites ruelles, sur les murs des habitations qui hébergent des Syriens, qu'ils soient réfugiés ou kurdes installés dans le quartier depuis des décennies.


La décision remonte à quelques jours. Outre l'indignation qu'elle peut susciter vu son caractère discriminatoire, elle dénote le malaise qui règne dans cette localité surpeuplée de 2,5 km carrés, aux portes de la capitale. Un malaise qui résulte d'une difficile cohabitation entre les citoyens libanais de toutes communautés d'une part, qu'ils soient arabes ou arméniens, comme on les appelle ici, et les Syriens réfugiés, travailleurs migrants ou habitants de longue date. Car le quartier est encore sous le choc après une rixe entre deux groupes rivaux d'habitants, le 17 mai dernier, en présence des forces de l'ordre.

 

Animosité de longue date entre Libanais et Kurdes
La scène s'est déroulée dans le quartier Sader, qui abrite notamment des Syriens kurdes. Elle a opposé d'un côté, des Libanais arabes (non arméniens) et d'un autre côté, des Syriens kurdes. L'incident a fait un blessé grave côté libanais, Élias Karache, qui tentait de calmer les esprits, dit-on, et qui a reçu de plein fouet une bonbonne de gaz, lancée depuis la terrasse d'une vieille maison de deux étages qui abrite des Syriens kurdes. Les choses ont manqué de s'aggraver le lendemain, avec l'annonce de sa mort par certains médias. L'information s'est avérée fausse, fort heureusement. Les choses sont progressivement rentrées dans l'ordre lorsque l'état de santé de la victime s'est amélioré.


Les raisons de cette échauffourée qui a failli tourner au drame ? Outre l'animosité de longue date qui existe entre Libanais et Kurdes de Bourj-Hammoud, « une dispute personnelle qui a dégénéré, probablement liée à une femme », assure une source informée. Les habitants, eux, accusent formellement les Syriens kurdes d'avoir « harcelé une fille ». « Des dizaines de voyous ont alors tenté de prendre d'assaut une maison où habitent des ressortissants de cette communauté », explique la source. L'un des habitants de cette maison, pris de panique, a jeté la bonbonne de gaz pour empêcher les voyous d'entrer, ajoute-t-elle. Et de préciser que parmi les belligérants, « certains avaient abusé de boissons alcoolisées ». Résultat, le lanceur de la bonbonne de gaz, M.M., est aujourd'hui sous les verrous. « Il a reconnu ses torts, promis d'assumer les frais d'hospitalisation de la victime et refusé de porter plainte contre les assaillants », dit encore la source.

 

Des citoyens mécontents
Mais le malaise règne toujours à Bourj-Hammoud. Un malaise affiché par les citoyens mécontents de la présence excessive de Syriens dans leur quartier, réfugiés, travailleurs ou même habitants de longue date. « Nous sommes envahis par les Syriens. Je ne me sens plus en sécurité dans mon quartier », affirme Marie, une commerçante arménienne. Elle fait part de sa peur d'être zyeutée, frôlée, harcelée. « Je marche à toute vitesse pour qu'on ne me suive pas », dit-elle. Mais elle ne manque pas de dénoncer « les mesures corsées, parfois violentes, des forces de l'ordre envers les ressortissants syriens, dans les jours qui ont suivi l'incident ».


Arménien d'origine aussi, Antranik se dit touché par la concurrence déloyale des Syriens. « Ils ont ouvert des commerces illégaux et ne paient ni taxes ni impôts. Ils reçoivent aussi des aides en tant que réfugiés. Ils s'installent à plusieurs familles dans des appartements qu'ils louent et sous-louent, faisant monter les prix », déplore-t-il. Comment puis-je survivre avec à peine 100 dollars par semaine ? » demande ce vieux commerçant. Baissant la voix, il accuse les Syriens kurdes d'être à l'origine de l'insécurité dans son quartier. « Ils jouent les caïds et personne ne peut rien contre eux », dénonce-t-il, invitant les autorités à mettre en place des lois pour « réglementer leur présence et protéger les Libanais ».


Dans la rue principale, en fin d'après-midi, l'animation est relative. Les commerces attendent désespérément le client. Les vitrines affichent déjà les soldes d'été. Les commerçants eux, tuent le temps, assis en groupe sur le trottoir autour d'un narguilé, les yeux rivés sur un écran de télévision. Quelques ouvriers, de retour de leur journée de labeur, font leurs emplettes, dans une sandwicherie ou chez un légumier. D'autres s'installent en groupe dans un café-trottoir improvisé. De jeunes Éthiopiennes rentrent chez elles, portant leurs courses. Des femmes voilées s'attardent devant des étalages d'habits à bas prix. Les Syriens doivent être rentrés chez eux avant 20 heures, heure limite du couvre-feu. À tous les coins de rue, les forces de l'ordre veillent, vigilantes. Les beaux jours semblent loin où les trottoirs de Bourj-Hammoud grouillaient de monde, où les Beyrouthins et les touristes étrangers s'achalandaient dans ce quartier réputé pour ses prix abordables.

 

Couvre-feu discriminatoire ?
Le couvre-feu imposé aux ressortissants syriens rassure certains, dérangés par leur présence, influencés par les rumeurs les plus folles. « J'ai peur de circuler seule la nuit. J'évite leurs ruelles. On dit qu'ils sont armés, qu'ils portent des couteaux et des bâtons », confie une habitante. Un jeune renchérit : « Qu'ils rentrent chez eux. Ils embêtent nos femmes et prennent nos emplois. » Mais un vendeur de falafel dénonce cette mesure qu'il trouve « discriminatoire à l'égard des honnêtes gens ». « Elle plombe les ventes, déplore-t-il, car elle entretient un climat d'insécurité ». Les ressortissants syriens, eux, sont avares en paroles : un boutiquier observe que l'incident est « un acte isolé ». « Nous n'avons rien à voir avec ce qui s'est passé. Nous ne voulons qu'une chose, travailler », dit-il. Un marchand de narguilés, masquant à grand-peine son accent syrien, regrette qu'ils aient « mis dans le même sac les honnêtes gens et les voyous ». Des ouvriers syriens se calfeutrent dans leur unique pièce, avant le couvre-feu. « Grâce à Dieu, personne ne nous a jamais inquiétés. Nous travaillons et ne faisons de mal à personne », notent-ils.


Mais pour le vice-président de la municipalité de Bourj-Hammoud, Georges Krikorian, cette mesure est nécessaire pour tenir la situation et remettre les choses en ordre. « Je regrette que nous ayons été amenés à interdire aux ressortissants syriens de se déplacer la nuit », dit-il. « Cette décision, nous l'avons prise en concertation avec les forces de l'ordre et le mohafez du Mont-Liban », souligne-t-il, assurant que les Syriens obligés de circuler la nuit peuvent obtenir une autorisation.


Quant aux problèmes de Bourj-Hammoud, ils sont essentiellement la conséquence de « la surpopulation et de la pauvreté », explique-t-il. Et de souligner que la population étrangère est à peine inférieure à 50 % des 120 000 à 170 000 habitants de la localité. Outre les Syriens, le quartier héberge des Palestiniens, des Kurdes, des Égyptiens, des Soudanais, mais aussi une main-d'œuvre domestique de différentes nationalités. « Le pourcentage est énorme », dit-il, observant que la situation, quoique inacceptable, n'est pas propre à Bourj-Hammoud. « C'est une réalité nationale. »


M. Krikorian refuse toutefois les propos discriminatoires à l'égard des Syriens. « Ce sont des boucs émissaires », martèle-t-il. Il reconnaît toutefois que les demandes de la population libanaise sont légitimes concernant la réglementation du logement et du travail des étrangers. « En tant que municipalité, nous avons l'autorité de faire payer la taxe municipale aux ressortissants syriens et étrangers au même titre que les Libanais, assure-t-il. Mais nous n'avons aucune autorité sur leurs activités professionnelles. Nous pouvons juste faire un rapport si nous constatons une irrégularité. »
La semaine qui a suivi l'incident, des commerces illégaux ont été fermés à Bourj-Hammoud. Mais pour combien de temps ?

 

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« La municipalité de Bourj-Hammoud informe les habitants étrangers (Syriens) qu'il leur est interdit de circuler entre 20 heures et 6 heures ». Surplombant la place centrale et les artères principales du quartier arménien de Beyrouth, cette phrase inscrite sur des banderoles s'impose aux passants. Elle porte la signature de la municipalité de Bourj-Hammoud. Elle est également...

commentaires (1)

La difficile cohabitation entre Libanais et Syriens à Bourj-Hammoud n'est pas nouvelle . Bravo pour le couvre-feu imposé aux ressortissants syriens .

Sabbagha Antoine

16 h 13, le 02 juin 2014

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Commentaires (1)

  • La difficile cohabitation entre Libanais et Syriens à Bourj-Hammoud n'est pas nouvelle . Bravo pour le couvre-feu imposé aux ressortissants syriens .

    Sabbagha Antoine

    16 h 13, le 02 juin 2014

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