Le chaos continuait de s'étendre hier dans l'est de l'Ukraine, où des milliers de manifestants prorusses se sont emparés de bâtiments officiels à Lougansk.
Dans cette ville, chef-lieu régional d'environ un demi-million d'habitants, des milliers de manifestants prorusses se sont emparés dans l'après-midi du bâtiment de la préfecture régionale, sur lequel ils ont hissé le drapeau russe, a constaté un journaliste de l'AFP. Un grand nombre d'entre eux se sont ensuite dirigés vers le siège régional de la police de Lougansk qu'ils ont pris d'assaut, recevant l'appui d'une quarantaine d'hommes armés de kalachnikovs et de lance-roquettes. Les policiers ukrainiens assiégés depuis la fin de l'après-midi ont finalement abandonné dans la soirée leur QG et leurs armes aux prorusses, a constaté un journaliste de l'AFP. Les bâtiments de la télévision publique et du parquet ont également été saisis, selon des témoins.
Selon les médias ukrainiens, des manifestants prorusses se sont également emparés de la mairie de la ville de Pervomaïsk, proche de Lougansk. Au même moment à Kiev, le président ukrainien par intérim Olexandre Tourtchinov dénonçait « l'inaction », voire la « trahison » des forces de l'ordre dans l'est ukrainien. Au total, les forces prorusses occupent des bâtiments officiels (mairie, siège de la police et des services de sécurité) dans une douzaine de villes de l'Est.
« Terrorisme pur et simple »
Des « progrès significatifs » ont cependant été accomplis à Slaviansk dans les négociations en vue d'une libération des observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) détenus depuis vendredi par des prorusses, a déclaré à la presse le leader séparatiste de ce bastion rebelle de l'Est, Viatcheslav Ponomarev. Parallèlement, le secrétaire général de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Lamberto Zannier, se trouvait hier à Kiev pour des entretiens avec les autorités ukrainiennes sur le sort des observateurs – sept étrangers et quatre Ukrainiens. Les rebelles de Slaviansk détiennent également depuis dimanche trois officiers ukrainiens, qu'ils accusent d'espionnage.
Ces développements surviennent au lendemain de l'attaque d'une manifestation de soutien à l'unité de l'Ukraine à Donetsk lundi soir, par des militants prorusses armés de matraques et de couteaux, des violences qui ont fait une dizaine de blessés.
L'ambassade des États-Unis à Kiev s'était indignée en cours de journée de ce qu'elle a qualifié d'actes de « terrorisme pur et simple », se disant « révulsée » face à ces enlèvements et attaques. Pour sa part, le secrétaire d'État américain John Kerry a accusé hier la Russie de « chercher à modifier l'architecture de la sécurité de l'Europe de l'Est » en « déstabilisant » l'Ukraine. Il a aussi prévenu que « le territoire de l'OTAN était inviolable » et que les États-Unis « en défendraient toutes les pièces ».
Cosmonautes américains « exposés »
Côté russe, le président Vladimir Poutine a averti hier que les nouvelles sanctions américaines et européennes pourraient affecter les entreprises énergétiques occidentales en Russie, démentant par ailleurs la présence de forces russes dans l'est de l'Ukraine. Le numéro un russe a également dit espérer la libération prochaine des observateurs de l'OSCE.
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À Moscou toujours, plusieurs hauts responsables ont vigoureusement dénoncé les nouvelles sanctions infligées par les Occidentaux. « Nous rejetons les sanctions quelles qu'elles soient, et en particulier les sanctions adoptées par les États-Unis et l'Union européenne, contre tout bon sens, concernant les événements en Ukraine », a lancé hier le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. « C'est le retour du système créé en 1949, quand les pays occidentaux avaient abaissé le rideau de fer sur les livraisons d'équipements de haute technologie à l'URSS et à d'autres pays », s'est indigné de son côté le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov. « S'ils veulent frapper le secteur russe des fusées, ils vont automatiquement, par rebond, exposer leurs cosmonautes de la Station spatiale internationale (ISS) », a pour sa part remarqué un troisième haut responsable, le vice-Premier ministre Dmitri Rogozine. Les vaisseaux russes Soyouz sont en effet, depuis l'arrêt des navettes spatiales américaines, le seul moyen d'acheminer et de rapatrier les équipages de l'ISS.
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Le Journal officiel de l'Union européenne avait dévoilé plus tôt hier la liste des personnes considérées comme étant « responsables d'actions qui compromettent ou menacent l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine », dans laquelle figurent les chefs de groupes séparatistes de l'Est ukrainien. Le chef d'état-major de l'armée russe et le patron du renseignement militaire en font partie.
Le Japon a pour sa part décidé hier d'interdire de visas 23 Russes, décision qui ne restera pas « sans réponse », selon Moscou.
Les Américains avaient quant à eux déjà annoncé lundi des sanctions touchant sept responsables russes et 17 sociétés jugés proches du président Poutine. Mais les spécialistes soulignent que les États-Unis n'ont pas encore touché aux secteurs économiques clés de la Russie comme l'énergie, les mines ou le secteur financier. Par ce faire, estiment-ils, Washington cherche à ménager ses alliés européens, qui auraient bien plus à y perdre.
Les Occidentaux estiment que Moscou jette de l'huile sur le feu en Ukraine et a mené des mouvements de troupes suspects à sa frontière occidentale. Selon l'OTAN, elle y aurait massé jusqu'à 40 000 militaires. À ce sujet, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a affirmé lundi soir à son homologue américain Chuck Hagel que les troupes russes participant à des « manœuvres » près de la frontière de l'Ukraine étaient rentrées dans leurs casernes, promettant de ne pas envahir l'Ukraine. Un responsable de l'OTAN a néanmoins indiqué hier n'avoir « pas d'éléments » qui puissent confirmer ces informations.
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commentaires (4)
Bientôt ce sera au tour de la Biélorussie.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 48, le 30 avril 2014