Le 6 mars 1982, une voiture piégée a explosé à Jnah, à Beyrouth-Ouest, tuant au moins 5 personnes et blessant 16 autres. Dans une attaque similaire, le 19 février 2014, deux attentats-suicide successifs ont secoué Bir Hassan, à Beyrouth, tuant au moins 10 personnes et blessant 129 autres. Ce ne sont que deux exemples parmi des centaines d'attentats de ce type perpétrés au Liban au cours des quatre dernières décennies. C'est un rappel douloureux et brutal de la façon dont le legs de la violence imprègne la vie quotidienne des Libanais aujourd'hui.
La vulnérabilité du Liban à un regain de violence est enracinée dans les divisions communautaires dont le développement a été permis pendant des décennies dans l'ombre de griefs collectifs et de crimes présumés. Ces divisions se sont envenimées dans une culture d'impunité et d'amnésie, selon une nouvelle étude menée par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ).
Le Liban doit faire le choix de se libérer du carcan de son violent passé. Il faut y faire la lumière afin de traiter avec honnêteté les plaies qui ont besoin de cicatriser. L'incapacité de prendre ces mesures nécessaires a des conséquences non seulement sur les victimes de la violence, mais aussi sur leurs enfants ainsi que les enfants de leurs enfants.
Le Liban a une longue histoire de violence politique, datant de bien avant le début de la guerre en 1975. Jusqu'à présent, les tentatives pour rendre responsables les individus, les groupes armés et les États étrangers, comme Israël et la Syrie, de violations des droits de l'homme et du droit humanitaire commis sur le territoire libanais et contre les citoyens libanais ont été largement inefficaces et partielles.
L'ouverture du premier procès devant le Tribunal spécial pour le Liban, le 16 janvier dernier, constitue la première tentative substantielle de rendre certains auteurs de crimes responsables de leurs actes – certes pour un nombre limité de crimes. Le tribunal, que le Conseil de sécurité de l'ONU a mis en place en 2007 pour juger les affaires liées à l'assassinat en 2005 du Premier ministre Rafic Hariri, a fait l'objet d'un débat controversé. Pourtant, malgré les controverses entourant sa création et ses procédures, il faut reconnaître que c'est une des rares tentatives pour parvenir à rendre justice dans des cas de violence politique au Liban.
Le silence officiel sur la guerre a été le mot d'ordre. Le règlement politique signé à Taëf en 1989 pour mettre fin au conflit a omis d'inclure des mesures pour rétablir le respect des droits des citoyens ou la confiance de la population dans l'État. Au lieu de cela, un partage du pouvoir a été établi entre les partis politiques les plus puissants, dont de nombreux dirigeants sont eux-mêmes présumés responsables de crimes de guerre, favorisant ainsi l'impunité au plus haut niveau.
Les lois d'amnistie adoptées en 1991 et 2005 ont renforcé ce règlement construit sur les traumatismes du passé. Deux décennies plus tard, l'accord de Doha mit fin à la crise politique de 2008 mais, encore une fois, a dégagé les acteurs les plus puissants de toute responsabilité pénale.
Que s'est-il passé pendant la guerre, qui a été impliqué dans des violations et quelles étaient les causes sous-jacentes des atrocités ?
Laisser la vérité émerger
Des groupes libanais de la société civile et des organisations internationales, y compris le Centre international pour la justice transitionnelle, ont contribué à documenter les violations. On estime que des dizaines de milliers de personnes au Liban ont été victimes de violations graves des droits de l'homme entre 1975 et 1990 : près de 2,7 % de la population ont été tués, 0,75 % sont portés disparus et 33 % ont émigré à l'étranger.
Ces violations – presque toujours commises contre des civils – ne portent pas atteinte à un seul groupe, mais transcendent les divisions religieuses, politiques et géographiques. À la fin de la guerre, l'occasion d'aborder cette souffrance collective s'est présentée, où il aurait fallu reconnaître que l'histoire générale et partagée des traumatismes pouvait être un point de départ pour révéler la vérité et rechercher la réconciliation, comme un moyen pour prévenir de nouvelles violences. Mais elle n'a pas été saisie.
Les défenseurs de l'impunité au Liban, comme partout ailleurs, brandissent le spectre de la violence. C'est le refuge de « l'apologiste », qu'il soit bien intentionné ou non. Si le Liban souhaite avoir une société fondée sur le respect des droits fondamentaux de l'homme, et si les citoyens sont invités à croire que l'État prend leurs droits au sérieux, celui-ci doit faire face au passé. Il doit laisser la vérité émerger et montrer que les victimes et les citoyens ordinaires font plus que supporter le poids de la division et du conflit – ils portent le poids de la dignité et des droits des êtres humains.
Comme le montrent les expériences d'autres États, le silence officiel sur les violations passées ne durera pas éternellement. Soit il y a un regain de violence, soit les demandes des victimes pour la justice deviennent tellement assourdissantes et bien organisées que le gouvernement ne pourra plus les ignorer. L'Argentine est un exemple. Vingt ans après que le président a gracié les hauts fonctionnaires du gouvernement et les responsables militaires en 1989-1990 pour des crimes commis pendant la sale guerre, la responsabilité pénale est réapparue avec la condamnation de plus de 200 anciens généraux, des juges, des ministres et des civils. Aujourd'hui, l'Espagne est invitée par des survivants à retirer sa loi d'amnistie de 1977 et à examiner les atrocités présumées du franquisme.
Les traumatismes de la guerre
Les demandes des victimes en matière de justice et de responsabilité ne s'apaisent pas si facilement, de la même manière que la douleur et la perte de ceux qui ont souffert des violations ne disparaissent pas. Pour ceux qui ont perdu un être cher ou qui ont été forcés à fuir leur maison, les traumatismes de la guerre ne peuvent pas être oubliés. Comme l'étude du Centre international de la justice transitionnelle le montre, la population du Liban a payé un lourd tribut pour l'impunité, comme l'ont fait les institutions étatiques.
En outre, le gouvernement libanais a l'obligation, en vertu du droit national et international,d'enquêter et de poursuivre en justice les violations présumées des droits de l'homme et de pourvoir une justice équitable pour les victimes, indépendamment de leurs positions politiques ou appartenances religieuses. Pour que le Liban atteigne la paix à long terme qu'il recherche, le gouvernement doit entreprendre des enquêtes impartiales à grande échelle et poursuivre les crimes commis pendant la guerre et dans les décennies de conflit qui ont suivi.
Le principe de responsabilité dont le Liban a besoin est celui qui répond aux droits à la justice des victimes, au-delà du politique, met un terme à la pratique « privée » de la justice et donne ainsi des signes d'intolérance envers la récidive des crimes. Le principe de responsabilité ancré dans la découverte de la vérité sur la guerre et les conflits ultérieurs n'est pas une étape suffisante, mais sans aucun doute une étape nécessaire qui va dans la bonne direction pour la reconstruction d'un État digne de confiance, digne de ses citoyens.
Carmen ABOU JAOUDÉ
Directrice du bureau du Centre international de justice transitionnelle au Liban
commentaires (2)
PRINC(IP)E DE RESPONSABILITÉ... CHEZ QUI ? Où ? AU LIBAN ? COMMENT ? A-T-ON DES ARCHIMÈDES OU DES PITHAGORE ? ON N'A QUE DES : ARCHI-ALIBABA... ARCHI-ACHETÉS.... DES ARCHI-VENDUS... ET DES ARCHI-ABRUTIS !!
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 15, le 14 avril 2014