Au cours des trois dernières décennies environ, les banquiers centraux et les universitaires sont devenus de plus en plus convaincus que le ciblage d'inflation est la clé de la préservation de la stabilité macroéconomique. Or, ceci est pratiquement impossible à prouver, et la crise financière de 2008 a suggéré à beaucoup que la politique monétaire devrait se concentrer sur d'autres choses que les prix des biens et services. Dès lors, quelle structure devrait prendre un mandat révisé pour les Banques centrales, de manière à maintenir leur attention sur une faible inflation tout en permettant, le cas échéant, à la politique monétaire de répondre à d'autres problèmes ?
La contribution du ciblage de l'inflation à la stabilité macroéconomique est difficile à évaluer pour une raison simple : il est impossible de savoir ce qui se passerait si la Banque centrale d'un pays poursuivait le chemin inverse. Devant l'impossibilité de comparer directement les résultats, les chercheurs ont utilisé une variété de stratégies pour identifier l'impact du ciblage de l'inflation et ont généralement établi qu'il était important (bien que l'effet devienne faible, voire même nul lorsque les points de départ des pays sont pris en compte).
Par exemple, une étude de cas du Royaume-Uni au cours de la période 1997-2007 – une période de ciblage d'inflation et d'indépendance politique de la Banque d'Angleterre (BoE) complets – indique une amélioration considérable en partant d'un mauvais point de départ. L'accent mis sur la stabilité des prix a été accompagné par une inflation relativement faible (par rapport au passé ainsi qu'à d'autres grandes économies), une forte croissance et une faible volatilité de la production.
Cependant, au cours de cette période, le Royaume-Uni a également connu un désalignement persistent de son taux de change, face auquel le Comité de politique monétaire (MPC) de la BoE était réticent ou incapable de répondre dans les limites de son mandat existant. En outre, le MPC n'a réagi à aucun des trois épisodes de croissance rapide des prix des logements qui ont précédé la crise financière, faisant valoir qu'ils étaient de nature structurelle – causés par la baisse de l'inflation et des taux d'intérêt depuis les années 1980 – et qu'une réponse monétaire n'était donc pas appropriée.
Dans la période qui a précédé la crise, la Réserve fédérale américaine (qui pratique un ciblage d'inflation informel) était encore plus déterminée que le MPC à adopter ce point de vue orthodoxe – tellement déterminée, en fait, qu'elle n'a pratiquement affecté aucune ressource à l'analyse des fluctuations des prix immobiliers.
Ainsi, alors que les Banques centrales ciblant l'inflation ont travaillé dur pour maintenir les anticipations d'inflation pour les biens et services, elles n'ont fait aucun effort pour influencer les anticipations de prix des actifs. En effet, la « Greenspan put » (l'approche de politique monétaire de l'ancien président de la Fed Alan Greenspan) a éliminé le risque baissier en fixant un plancher sous les prix des actifs, mais elle n'a pas fixé de plafond à la hausse. Si les grandes banques avaient suivi une stratégie « à contre-courant » en matière de réserves, cela aurait influencé les attentes et stabilisé au moins en partie les prix des actifs, atténuant peut-être – voire évitant complètement – les effets les plus néfastes de la crise financière.
La notion consistant à intégrer les préoccupations sur les prix des actifs dans le ciblage de l'inflation reste source de grande controverse, les opposants citant le principe Tinbergen : si les décideurs n'ont qu'un seul instrument, le taux d'intérêt, ils ne peuvent poursuivre qu'un seul objectif, la stabilité des prix. Les tentatives de poursuivre plusieurs objectifs, ainsi va la logique, ne feraient que rendre confus les marchés financiers et les agents du secteur privé.
Pourtant, les Banques centrales ont bel et bien poursuivi plusieurs objectifs simultanément, sans entraîner de conséquences néfastes ni détruire leur propre crédibilité. De même, depuis 2008, de nombreuses Banques centrales – sous la pression des gouvernements – ont réagi spécifiquement à d'autres développements dans l'économie réelle (en particulier le chômage), au lieu de maintenir leur but unique de ne se concentrer que sur la stabilité des prix à long terme.
Cela est particulièrement évident au Royaume-Uni, où le gouvernement, cherchant désespérément à observer une reprise économique avant les élections de 2015, a poussé la BoE à introduire des subventions de crédit et, plus récemment, des indications sur la politique future. En conséquence, les décisions de la BoE ont pris en compte le compromis à court terme entre croissance et inflation – ce qui signifie qu'elle a pris des décisions concernant les objectifs, et pas seulement les instruments.
Ce dont les Banques centrales ont besoin aujourd'hui est un mandat nouveau, qui confirme la stabilité des prix en tant qu'objectif principal à long terme tout en permettant aux décideurs de poursuivre d'autres objectifs le cas échéant. Plus précisément, la Banque centrale devra être en mesure de ralentir son action sur la stabilité des prix si elle considère que la faiblesse de l'économie réelle est inacceptable, ou si un défaut d'alignement des prix des actifs menace la stabilité financière et ne peut pas être désamorcé rapidement au moyen des nouveaux instruments macroprudentiels.
Selon les dispositions actuelles de la BoE, si l'inflation s'éloigne de plus d'un point de pourcentage de sa cible (dans les deux sens), le gouverneur de la banque est obligé d'écrire une lettre ouverte au chancelier de l'Échiquier pour expliquer cet écart et fournir un plan en vue de l'éliminer, y compris un échéancier prévisionnel.
Un mandat révisé pour la BoE – ou, dans une forme ou une autre, pour d'autres Banques centrales qui ciblent l'inflation – pourrait aller plus loin en prévoyant une cible primaire et de long terme pour l'inflation, de laquelle les décideurs pourraient s'écarter si cela était jugé nécessaire. Dans de tels cas, le gouverneur de la Banque centrale devrait être tenu d'écrire une lettre ouverte expliquant la décision de la banque, y compris durant combien de temps il s'attend à accorder la priorité à l'objectif autre que l'inflation, ainsi que la façon dont il prévoit le retour à la normale.
Une telle disposition permettrait à la Banque centrale d'adopter une vue plus large de ses responsabilités dans un contexte de transparence et de responsabilité, mais d'une manière qui préserve à la fois sa crédibilité anti-inflationniste et empêche les décisions de politiques motivées politiquement ou inappropriées.
© Project Syndicate, 2014.
Traduit de l'anglais par Timothée Demont