Depuis la nouvelle du départ du chef des services de renseignements saoudiens, l'émir Bandar ben Sultan, aux États-Unis pour y subir une intervention chirurgicale, les pronostics vont bon train sur l'existence d'un changement dans la politique saoudienne dans la région, notamment au Liban et en Syrie. Ces pronostics ont été accrédités par la récente déclaration de l'ambassadeur d'Iran à Beyrouth Ghadanfar Rokn Abadi, sur le fait que le « rapprochement entre Téhéran et Riyad ne devrait plus être très lointain ».
En même temps, des informations ont circulé dans certains médias sur le fait que le dossier libanais aurait été retiré des mains de l'émir Bandar pour être confié au fils du roi Abdallah, l'émir Abdel Aziz, et à l'ancien ambassadeur au Liban Abdel Aziz Khoja. C'est à cette décision que les analystes ont attribué le changement d'attitude du royaume wahhabite à l'égard de la formation du gouvernement au Liban, ainsi que la position de Saad Hariri acceptant un gouvernement politique rassembleur, sur la base des « trois huit ».
Pourtant, un diplomate arabe en poste au Liban précise qu'il ne faut pas accorder trop d'importance à cette décision et ne pas la considérer comme un indice d'un changement radical de la position saoudienne face aux dossiers régionaux. Le diplomate ajoute que le véritable indicateur du changement serait une modification de la position de Riyad à l'égard du dossier syrien. Or jusqu'à présent, et en dépit de l'échec de toutes les tentatives visant à renverser le régime syrien ou même à pousser l'opposition syrienne à enregistrer une victoire sur le terrain de nature à renverser le rapport des forces, le royaume wahhabite continue d'armer les groupes d'opposition et d'envoyer des combattants en Syrie dans l'espoir de changer la donne sur le terrain. Le dernier ordre du roi Abdallah menaçant de prison les combattants jihadistes qui reviendraient au royaume après avoir combattu en Syrie serait, dans ce cadre, d'ordre interne. De même que les récentes décisions sur une réforme des programmes éducatifs et un changement du ministre de l'Éducation ne seraient que des opérations de « relookage » en prévision de la visite du président américain à Riyad annoncée pour le mois prochain. D'autant que la réforme des programmes éducatifs dans le royaume, dans le sens de leur modernisation, est une demande américaine depuis les attentats du 11 septembre 2001, dont les auteurs sont en grande partie saoudiens...
Le diplomate arabe en poste à Beyrouth estime ainsi que le développement le plus important des dernières semaines en Arabie a été quasiment passé sous silence. Il consiste dans une attaque contre certains diplomates allemands à Aouamiyé, dans ce qu'on appelle « la région est » du royaume, le 13 janvier. Les diplomates ont essuyé des tirs et leur véhicule a été incendié, mais ils ont été évacués sains et saufs par un civil saoudien. La nouvelle a été diffusée par l'agence nationale d'information saoudienne qui a aussi publié un communiqué du ministère saoudien de l'Intérieur sur la nécessité pour tout diplomate étranger d'informer le ministère de ses déplacements. Deux jours plus tard, une source de l'ambassade d'Allemagne à Riyad a affirmé au quotidien al-Hayat que les diplomates n'avaient pas de mission précise et qu'ils n'étaient pas personnellement visés. Le 2 février, le ministère de l'Intérieur est revenu à la charge et a rappelé que les diplomates étrangers doivent informer les autorités avant leurs déplacements.
Cette succession de faits mérite qu'on s'y attarde, estime le diplomate arabe, qui précise que Aouamiyé est proche de Katif, où il y a beaucoup de chiites et où surtout des tentatives de protestations ont été enregistrées au cours des dernières années, étouffées par les autorités, sans que les médias puissent les couvrir. De plus, la province dite de l'Est est immense et couvre la frontière du royaume avec l'Irak et la Jordanie au Nord, et avec les émirats du Golfe au Sud. Elle est donc également proche de l'Iran. Cette province est en quelque sorte « le ventre mou » du royaume. Pour mettre un terme à une éventuelle expansion des chiites dans cette région riche en pétrole, les autorités ont ainsi laissé la bride aux extrémistes. Ce qui donne un mélange délicat et fragilise encore plus la région. Les autorités saoudiennes surveillent de près les développements dans cette province et craignent qu'en raison de sa fragilité, elle ne soit utilisée pour déstabiliser le royaume et y lancer une sorte de mouvement de protestation dans le genre de ceux qui ont secoué certains pays arabes. D'où l'insistance du ministère de l'Intérieur pour l'encadrement des déplacements des diplomates étrangers surtout dans cette région. Cet incident montre en tout cas, selon le diplomate arabe, le sentiment d'inquiétude du royaume wahhabite, surtout depuis l'annonce de l'accord préliminaire entre l'Iran et la communauté internationale sur le dossier nucléaire et depuis la renonciation des États-Unis à frapper la Syrie, que l'Allemagne a été d'ailleurs un des premiers pays européens à saluer.
Le royaume est donc aux aguets. Il se sent menacé et a le sentiment que les piliers de sa force sont en train de vaciller. Par conséquent, il considère, à tort ou à raison, la chute du régime syrien comme un élément vital pour sa propre survie et tant qu'il en est ainsi, on ne peut pas vraiment parler d'un changement dans la politique saoudienne dans la région, en dépit de certains signaux qui indiqueraient le contraire...
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commentaires (4)
ça c'est de l'analyse politico-journalistique! On peut d'accord ou pas, mais ça coule comme de l'eau de source. Scarlett for président!
Ali Farhat
00 h 26, le 16 février 2014