Il est l'un des vétérans de l'opposition syrienne au régime Assad, père et fils. Ancien marxiste, très proche de l'un des ténors du Parti communiste syrien, Riad el-Turk, sa lutte contre l'oppression exercée par le pouvoir en place à Damas remonte au début des années 80. Michel Kilo est bien connu de la population syrienne et de l'opinion publique libanaise du fait de son rôle de premier plan dans la rédaction de la déclaration de Damas, en octobre 2005, puis de la déclaration Beyrouth-Damas/Damas-Beyrouth, en mai 2006. Ces deux documents, qui ont revêtu un caractère historique, ont posé les jalons, après l'assassinat de Rafic Hariri, d'une vaste contestation contre la tyrannie des Assad, pour le premier, et d'une redéfinition des relations entre le Liban et la Syrie, sur des bases de confiance et de respect mutuel, pour le second. Arrêté et placé en détention prolongée à plusieurs reprises, Michel Kilo s'est employé activement, dans le sillage de la révolution syrienne enclenchée en mars 2011, à renforcer la composante démocratique et civile au sein de la vaste coalition de l'opposition syrienne.
Dans une interview à L'Orient-Le Jour, accordée il y a quelques jours à Paris (avant l'explosion dans la banlieue sud), il analyse avec lucidité et en toute sérénité et franchise l'évolution de la guerre syrienne ainsi que son impact sur l'avenir des rapports entre Libanais et Syriens, à la lumière de l'implication du Hezbollah dans les combats et de la position adoptée par le 14 Mars, et plus particulièrement par les chrétiens du 14 Mars, à l'égard des enjeux du conflit syrien.
« Le Hezbollah s'est exclu de la Syrie dès l'instant où il a entrepris de l'envahir militairement, souligne d'emblée et sans détour Michel Kilo. Il s'est exclu de l'esprit des Syriens et de leur monde politique. Il s'est transformé en une force hostile aux Syriens en participant aux combats meurtriers menés contre eux, en massacrant leurs femmes et leurs enfants, et en contribuant à la destruction de leurs villes et villages. Sans compter qu'il les traite de peuple takfiriste et fondamentaliste, affirmant qu'il les combattra sans répit. Je pense que le Hezbollah ne parviendra pas, quoi qu'il fasse, à récupérer la place qu'il avait acquise auprès des Syriens. Il est tombé dans un piège dont il ne pourra pas s'en sortir, même s'il remporte une bataille ici ou là. Il se noie dans le sang syrien et il se débat dans les méandres d'un problème qui dépasse ses capacités et son potentiel populaire. »
À la lumière d'un tel constat implacable, Michel Kilo lance un verdict lourd de conséquences : « Les Syriens ne pardonneront pas au Hezbollah ce qu'il est en train de leur faire endurer, d'autant qu'ils lui ont accordé un soutien et une aide fraternelle durant la guerre de 2006. Le Hezbollah ne sortira pas indemne à la fin de ce conflit. Il paiera un prix très lourd du fait de l'attitude irresponsable de son leadership, de son sectarisme, de son attitude sanguinaire et agressive. »
La position des chrétiens du 14 Mars
Sans vouloir verser dans un certain manichéisme, Michel Kilo souligne, avec tout autant de franchise, que la position adoptée par les chrétiens du 14 Mars à l'égard de la révolution syrienne « a posé la pierre angulaire de l'établissement d'une relation bilatérale de confiance et d'une coopération fraternelle, dans l'esprit du document Beyrouth-Damas/Damas-Beyrouth ». « Même si des fondamentalistes arrivent au pouvoir en Syrie, ajoute Michel Kilo, les chrétiens du 14 Mars seront en mesure de réclamer l'établissement de relations bilatérales fondées sur le respect mutuel, en arguant de leur appui à la révolution contre le régime, et en faisant valoir qu'ils ne sont pas tombés dans le piège de la propagande assadiste contre le fondamentalisme. »
Et M. Kilo de relever dans ce cadre que « les chrétiens du 14 Mars sont parfaitement conscients du fait que la plupart des groupes fondamentalistes qui agissent aujourd'hui en Syrie sont une émanation du pouvoir qui les avait recrutés, entraînés et envoyés en Irak ». « Le régime a ensuite récupéré une grande partie de ces groupuscules afin qu'ils s'opposent à l'armée syrienne libre et à l'opposition démocratique, souligne M. Kilo. Tel est le cas de l'organisation "Daëch" (l'État islamique en Irak et au Levant) qui est déployée dans les régions nord de la Syrie. Il est important de préciser sur ce plan que contrairement à ce que pensent certains milieux étrangers, le dernier mot sur la scène syrienne ne revient pas aux fondamentalistes. Il existe une résistance pacifique et militaire contre ces derniers dans la plupart des régions où ils sont implantés. »
Organiser les rangs des démocrates syriens
C'est dans un tel contexte que Michel Kilo fait état d'« efforts soutenus » pour mettre sur pied « une armée nationale libre unifiée afin de faire face aux crimes perpétrés par certains fondamentalistes ». Exprimant l'espoir que la formation d'une telle armée libre unifiée sera « imminente », M. Kilo indique en outre que des démarches sont actuellement entreprises afin d'« organiser et d'unifier les rangs des démocrates » syriens. « Nous avons formé à cette fin il y a un peu plus de deux mois l'Union des démocrates syriens, précise-t-il. Parallèlement, l'activité du courant civil s'accroît d'une manière sensible un peu partout, y compris dans les régions situées dans le périmètre de Damas. »
Comment expliquer dans les conditions présentes que l'opposition n'ait pas été encore en mesure de présenter un front uni et cohérent face au régime ? Michel Kilo rappelle d'abord à cet égard que le pouvoir baassiste s'est employé pendant plus de cinq décennies à combattre, par le biais de son appareil sécuritaire, les partis et courants d'opposition, dont les cadres étaient systématiquement poursuivis et arrêtés, ce qui n'a pas manqué d'affaiblir les opposants. « À cela viennent s'ajouter les fortes interférences étrangères et le fait que la révolution est née en dehors du cadre de ces partis d'opposition », souligne M. Kilo qui se montre toutefois optimiste, malgré tout, en affirmant qu'il existe un niveau « acceptable » et « croissant » d'unification et de coordination entre les composantes du courant démocratique de l'opposition syrienne, « surtout dans la perspective de la conférence de Genève, et dans le but de juguler la dangereuse dérive de la révolution qui risque de se transformer d'une lutte pour la liberté en un combat sectaire ».
Dans l'attente que ces efforts d'unification portent leurs fruits, peut-on dire que le régime est en passe de gagner cette guerre syrienne ? Michel Kilo conteste sans hésitation un tel diagnostic, soulignant que le rapport de force n'a pas globalement évolué au cours des deux dernières années. « Une offensive du pouvoir dans un secteur est contrebalancée par une offensive de l'Armée syrienne libre dans un autre secteur, relève-t-il. Une telle situation n'est pas susceptible de changer car elle sert l'intérêt international, comme l'indiquent les diplomates américains et russes. Il est vrai que le régime a repris le contrôle de certaines régions au Nord au cours des trois derniers mois, mais il a perdu en contrepartie des régions importantes au Sud et au centre. »
Cet équilibre de la terreur qui semble s'être ainsi instauré risque de prolonger le conflit sans qu'aucune des deux parties ne soient en mesure de trancher la situation par la voie militaire, d'autant que « l'opposition est confrontée à un problème d'armement, alors que le régime fait face à un problème de combattants sur le terrain », comme le relève en conclusion Michel Kilo.
À l'ombre de la tragédie vécue par le peuple syrien depuis bientôt trois ans, une question fondamentale demeure pour l'instant sans réponse : jusqu'à quand la communauté internationale continuera-t-elle à assurer l'impunité totale à Bachar el-Assad alors que quotidiennement des missiles balistiques et des barils bourrés d'explosifs s'abattent sur les villes et villages de la Syrie ?
La famine, l'une des armes du régime pour soumettre la population
Bénéficiant désormais d'une impunité totale à l'échelle internationale, du fait de la complicité active du pouvoir russe et de la passivité cynique de l'administration Obama, le régime de Bachar el-Assad ne lésine sur aucun moyen, aussi cruel soit-il, non seulement pour combattre la rébellion, mais aussi pour soumettre la population civile. S'appuyant ainsi sur l'attitude du chef de la Maison-Blanche qui a choisi de rester aveugle et muet face au drame vécu au quotidien par le peuple syrien, Bachar el-Assad ne se contente plus de lâcher ses missiles balistiques et ses barils bourrés d'explosifs sur la population des régions qui échappent à son contrôle, mais il a recours aussi à une arme encore plus barbare : la famine.
Michel Kilo rapporte sur ce plan le cas de la région de Mouadammiet al-Cham, à la périphérie de Damas, soumise à un implacable blocus alimentaire, à l'instar d'ailleurs d'autres secteurs. « Près de 7 000 personnes, la plupart des femmes et des enfants, sont restées dans cette zone, indique M. Kilo. Le régime a imposé un blocus alimentaire à la région, interdisant l'entrée de produits alimentaires et de médicaments. Le blocus a atteint un tel degré que chaque habitant n'avait droit qu'à un seul bol de riz par jour. Cette ration a ensuite été réduite à un bol de riz tous les deux jours. »
Le régime a tenté d'imposer aux combattants de l'opposition des conditions qui équivalaient à une reddition pure et simple afin de lever, partiellement, le blocus alimentaire. Les habitants du secteur ont toutefois rejeté ces conditions, précise Michel Kilo qui souligne que cette situation vécue par la population de Mouadammiet al-Cham est loin d'être un cas isolé.
Lire aussi
Les seigneurs des anneaux, l'éditorial de Issa Goraieb
Repère
commentaires (8)
Comme on dit une hirondelle ne fait pas le printemps , un kilo de plus ne fera pas la bonne pesee intelligente .Tu t'es regarde un peu dans une glace, poids plume ?
FRIK-A-FRAK
16 h 49, le 05 janvier 2014