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Lifestyle - Découverte

Le Musée de l’innocence, un livre, un lieu et un hymne à la mémoire


C'est une de ces ruelles en pente charmantes, entre Est et Ouest, passé et présent, qui porte le nom fleuri et musical de Çukurcuma, le quartier des antiquaires, sur la rive européenne du Bosphore. On y arrive à pied, emporté par des façades d'immeubles aux styles mélangés et les bruits d'un quartier qui vit à son rythme, lent. La maison, ocre rouge, presque timide, se dresse humblement sur trois étages, à l'angle de la rue Dalgiç. Certainement (et bien heureusement) pas un must pour touristes en quête de clichés et de sensationnel, cet arrêt privilégié concerne surtout les amoureux de mots, d'émotions, de la « spirale du temps » et d'objets qui ont une âme.

L'écrivain turc l'a rêvé, imaginé, composé en même temps qu'il avait entamé la rédaction de son roman, avec la volonté, le projet insensé, d'illustrer chacun de ses 83 chapitres avec autant de vitrines chargées d'objets qui décrivent, à leur façon, le fol amour perdu de Kemal pour Füsun, une lointaine cousine désargentée. Stambouliote issu d'une famille aisée, le jeune homme, sur le point de se fiancer avec Sibel, une femme de son milieu, cultive pour sa bien-aimée un sentiment qui évolue au gré des pages jusqu'à devenir une obsession, un attachement fétichiste pour toutes les choses qui la rappellent ou l'évoquent. Boucle d'oreille égarée, robe printanière, facture de restaurant, permis de conduire, photos de famille, montres, clefs, stylos, cendriers, et jusqu'aux 4 213 mégots de cigarettes consommées par Füsun entre 1976 et 1984, tout est là, chaque détail est à la fois visuel et touchant.

Le visiteur, un peu voyeur, un peu témoin, est ainsi invité à pénétrer l'intimité de cette romance, jusqu'à y percevoir des parfums, des sons, – les bruits d'Istanbul : mouettes, Bosphore, voitures et motos se fondent dans le silence –, les couleurs d'une histoire, d'une femme-fantôme et les images en noir et blanc et sépia d'un pays en plein bouleversement politique durant les années 70-80. Sur trois étages d'un espace intime, dans cette maison qui aurait été habitée par la famille Keskin, la famille de Füsun, entre 1975 et 1999, avant que Kemal ne la rachète et y passe les dernières années de sa vie, l'hôte, enchanté, découvre une à une les 83 vitrines, au rythme des chapitres qui portent le même nom. Avant d'arriver, presque naturellement, au dernier étage, la chambre de Kemal où, comme il est indiqué, ce dernier aurait confié son histoire à Pamuk. Fiction ou réalité ? L'ambiguïté presque sensuelle est là pour semer le trouble, jusqu'au bout. Et l'on se plaît à ne pas savoir...

La réalisation

Pourtant, Pamuk a monté ces deux projets de toutes pièces, c'est le cas de le dire. « Naturellement, a-t-il écrit dans le livre L'innocence des objets (éditions Gallimard), un lien puissant unit le roman et le musée : tous deux sont le fruit de mon imagination, je les ai rêvés mot par mot , objet par objet, image par image, pendant très longtemps (...) Cependant, de même que le roman existe par lui-même et se comprend sans le musée, le musée est un endroit que l'on peut visiter et à l'atmosphère duquel on peut goûter tout à fait indépendamment du roman. Le musée n'est pas une illustration du roman et le roman n'est pas une explication du musée. »

C'est en accompagnant sa fille au lycée tous les matins qu'il découvre, fasciné, cette bâtisse délabrée mais élégante, sa rampe en colimaçon, son parquet qui grince et son humilité. Six mois après le grand séisme de l'été 1999, il l'achète en pensant : « Oui, Füsun aurait sûrement vécu ici ; j'en suis certain. » Pour accumuler tous ces trésors, Pamuk, obsessionnel, au même titre que Kemal, voire plus encore, va écumer les antiquaires d'Istanbul pendant 15 ans... « À mesure que j'achetais les objets pour le musée, l'histoire progressait dans ma tête. » Ce projet grandiose dans ses petits détails, soutenu par Istanbul capitale de la culture 2010, aboutira enfin avec l'ouverture du musée en avril 2012.

Découvrir les 600 pages du livre ou le musée d'abord ? Les deux expériences sont différentes mais tout aussi belles, magiques et surtout complémentaires.

« Le Musée de l'innocence » est également celui de l'attachement à un être, au passé, aux moments heureux de la vie. Une manière de les immortaliser et de les partager, avec des âmes aussi sensibles.

*Le Musée de l'innocence est ouvert du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures et les vendredis de 10h à 21h.

C'est une de ces ruelles en pente charmantes, entre Est et Ouest, passé et présent, qui porte le nom fleuri et musical de Çukurcuma, le quartier des antiquaires, sur la rive européenne du Bosphore. On y arrive à pied, emporté par des façades d'immeubles aux styles mélangés et les bruits d'un quartier qui vit à son rythme, lent. La maison, ocre rouge, presque timide, se dresse humblement sur trois étages, à l'angle de la rue Dalgiç. Certainement (et bien heureusement) pas un must pour touristes en quête de clichés et de sensationnel, cet arrêt privilégié concerne surtout les amoureux de mots, d'émotions, de la « spirale du temps » et d'objets qui ont une âme.L'écrivain turc l'a rêvé, imaginé, composé en même temps qu'il avait entamé la rédaction de son roman, avec la...
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