Les corps des victimes de l’attaque terroriste du Westgate Mall à la morgue de Nairobi. Simon Maina/AFP
À la recherche de cadavres et d’éventuels explosifs, les secours fouillaient hier les décombres du Westgate de Nairobi, au premier jour du deuil national décrété après l’attaque meurtrière du centre commercial.
L’assaut lancé samedi, revendiqué par les insurgés islamistes somaliens shebab, a coûté la vie à au moins 61 civils, six membres des forces de sécurité kényanes et cinq assaillants, et fait environ 175 blessés. Un deuil national de trois jours a été décrété à partir d’hier et les drapeaux aux couleurs du pays ont été mis en berne dans toute la capitale. Il s’agit d’ores et déjà de l’opération la plus meurtrière à Nairobi depuis l’attentat-suicide d’el-Qaëda en août 1998 contre l’ambassade des États-Unis, qui avait fait plus de 200 morts.
D’après la Croix-Rouge, le bilan devrait encore s’alourdir : une partie du centre commercial s’est effondrée et désormais 71 personnes sont portées disparues. Le ministre kényan de l’Intérieur, Joseph Ole Lenku, a quant à lui affirmé qu’un nombre « peu important » de corps se trouvaient probablement encore dans le centre commercial Westgate, semblant minimiser les craintes de retrouver dans le bâtiment, mortes, les personnes recensées disparues par la Croix-Rouge.
Hier sur Twitter, les shebab ont, eux, affirmé que « 137 otages » détenus par les assaillants avaient péri dans l’attaque, accusant les forces kényanes d’avoir utilisé « des gaz » pour mettre fin au siège. Et « pour couvrir ses crimes, le gouvernement kényan a provoqué l’effondrement du bâtiment, enterrant les preuves et tous les otages sous les décombres », ont-il ajouté.
Une partie du toit et de trois étages, sur les quatre que compte le Westgate, s’était effondrée mardi, une source sécuritaire et un pompier expliquant alors que la structure avait sans doute été fragilisée par un incendie survenu la veille.
(Lire aussi: Attaque de Nairobi : de nombreuses questions toujours en suspens...)
Depuis hier à l’aube, les secours et les soldats s’affairaient autour du luxueux centre commercial dévasté par les balles, les explosions et les flammes, portant masques et foulards pour se protéger de l’odeur pestilentielle qui s’échappe désormais du bâtiment. Des experts en explosifs aidés de robots démineurs téléguidés l’inspectaient, vérifiant « qu’aucun explosif n’a été laissé » dans le dédale de magasins par les islamistes, a expliqué une source sécuritaire. Des équipes de chiens renifleurs recherchaient également des bombes, mais aussi les corps de tout ou partie des disparus.
Corps en décomposition
Un soldat qui a pénétré mardi dans le bâtiment, dans les dernières heures des affrontements, a raconté qu’il y avait alors déjà « du sang partout ». « Des corps étaient brûlés et d’autres pourris ». « Les corps qui sont encore à l’intérieur du centre commercial devront être identifiés à partir de photos », a de son côté confié une responsable de la Croix-Rouge. « Ils sont maintenant dans un tel état de décomposition qu’on ne peut pas infliger ça aux familles ».
Sur place, « des experts médico-légaux d’autres pays ont été autorisés à se joindre à l’enquête, dont Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni », a indiqué le chef des services administratifs kényans, Francis Kimemia. Pendant le siège, ces trois pays avaient soutenu les forces kényanes sans intervenir directement, à part peut-être les Israéliens qui, selon une source sécuritaire, étaient présents dans le Westgate.
Le président kényan Uhuru Kenyatta avait annoncé mardi soir la fin du siège après presque 80 heures d’affrontements, promettant de poursuivre les responsables.
Le commando, composé de 10 à 15 personnes selon les autorités, avait pénétré samedi à la mi-journée dans le Westgate, lançant des grenades et tirant à l’arme automatique sur les employés et la foule de Kényans et d’expatriés – 16 d’entre eux au moins ont péri – venus faire leurs courses du week-end, avant de se retrancher dans le bâtiment avec des otages. Ont suivi une série d’assauts pour tenter de les déloger. Selon un membre des forces spéciales kényanes ayant participé aux opérations, celles-ci ont pris des allures de « cache-cache » avec les islamistes, aidés par la configuration des lieux : une myriade de magasins et de restaurants répartis sur quatre étages dans des galeries donnant sur un grand hall central ouvert jusqu’au toit. Outre les cinq islamistes abattus, d’autres sont peut-être ensevelis sous les décombres avec des otages. On ignorait hier si certains avaient réussi à s’enfuir. Onze suspects ont par ailleurs été arrêtés, selon Uhuru Kenyatta, sans aucune autre précision. L’identité des membres du commando reste controversée.
« La veuve blanche » ?
En effet, des rumeurs ont circulé sur la présence dans le groupe de combattants étrangers, notamment américains et britanniques, dont la Britannique Samantha Lewthwaite, veuve d’un des kamikazes des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, surnommée « la veuve blanche » par les médias.
Les shebab ont « catégoriquement démenti l’implication d’une femme » dans l’attaque, et Uhuru Kenyatta a affirmé ne pas pouvoir confirmer la participation de Britanniques ou d’Américains, car « les experts médico-légaux travaillent à établir les nationalités des terroristes ».
Une personne de nationalité britannique est détenue à Nairobi après l’attaque du Westgate, a simplement révélé hier matin à Londres le Foreign Office, sans préciser s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Cette personne ne semble pas présenter « un intérêt significatif » pour l’enquête a indiqué hier l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Kenya, Christian Turner.
Après cette prise d’otages meurtrière, la police kényane a renforcé sa vigilance dans les principales villes du pays, tandis que la classe politique, fortement divisée par de récentes élections, a sans relâche appelé à l’unité pendant la crise. L’attaque du Westgate pourrait cependant relancer les tensions politico-religieuses au Kenya entre chrétiens, largement majoritaires, et musulmans, dont une grande partie est d’origine somalienne.
Reportage
"Papa, je suis blessé, viens m'aider !"
Eclairage
Les shebab somaliens divisés, mais toujours dangereux
Pour mémoire
Etats-Unis et Europe redoublent de vigilance face aux menaces d'el-Qaëda