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Technologies - San Francisco

La douzaine perturbatrice

L’histoire est jonchée de technologies ayant à l’occasion été acclamées comme la panacée universelle. Cela peut devenir agaçant pour les consommateurs lorsqu’ils réalisent que, disons, la chaîne stéréo quadriphonique qu’ils viennent d’acquérir est un gaspillage d’argent. Mais lorsque les entreprises font le pari de mauvaises technologies, les conséquences peuvent être terribles pour elles.

Erik Brynjolfsson.

Vers la fin des années 90, par exemple, on pensait que les échanges B2B allaient devenir «l’appli massue» pour le commerce, et près de 1 500 d’entre eux ont été créés. La plupart ont depuis disparu, engloutissant des milliards de dollars d’investissements.
Pour contribuer à contrer le battage médiatique qui entoure l’arrivée de presque toutes les technologies, le McKinsey Global Institute (MGI) a étudié plus d’une centaine de technologies à évolution rapide et en a identifié douze qui devraient certainement perturber le statu quo dans les années à venir. Le MGI estime que l’impact annuel combiné de cette «douzaine perturbatrice» – dans des domaines tels que les technologies de l’information, les machines et les véhicules, l’énergie, les biosciences et les matériaux – devrait représenter 1400 à 3300 milliards de dollars en 2025. Une grande part de cette valeur – et dans de nombreux cas, une majorité substantielle – profitera aux consommateurs.
Prenons l’Internet mobile par exemple, dont on estime que l’impact économique annuel atteindra 1000 milliards de dollars en 2025. Les consommateurs des pays avancés continuent d’amasser les bénéfices d’un accès permanent à un nombre croissant d’informations, d’applis et de services en ligne, mais plus de deux milliards de citoyens des pays en développement pourraient avoir accès aux mêmes avantages résultant du progrès technologique dans le reste du monde. La valeur de ces bénéfices éclipserait celle susceptible d’être récoltée par les fournisseurs d’appareils mobiles et de services Internet.
Des évolutions de valeur axées sur les utilisateurs comparables sont à l’œuvre dans l’ensemble des domaines technologiques liés à l’Internet, y compris dans celles qui ne font pas partie de la dizaine perturbatrice. Par exemple, seule une petite fraction des mille milliards de dollars annuels estimés générés par les recherches sur Internet sont susceptibles de revenir aux fournisseurs d’accès.
Mais pour les travailleurs, les nouvelles ne sont pas toutes bonnes, avec le remplacement de l’homme par la machine dans un nombre croissant de domaines – bien au-delà de l’activité physique ou des tâches de bureau habituelles. Avec l’expansion de l’informatisation et les avancées dans le domaine des logiciels d’intelligence artificielle, les machines sont progressivement mieux capables d’effectuer des tâches complexes nécessitant une réflexion abstraite, comme d’inférer un sens et de formuler des jugements.
En conséquence, les entreprises commencent à automatiser plus de postes hautement qualifiés et fondés sur la connaissance dans des domaines tels que le droit et la médecine. Ce processus génèrera des sommes substantielles – plus de 500 milliards de dollars en 2025, selon les estimations du MGI –, mais qui ne seront pas réparties de manière égale entre les travailleurs, ce qui implique que certains devront se former à de nouveaux métiers.
Les entrepreneurs, les dirigeants comme les actionnaires sont confrontés à une incertitude comparable avec le changement des règles du jeu imposé par ces technologies perturbatrices qui réduisent les barrières et abaissent l’échelle d’exploitation minimale (le minimum de production requis pour le fonctionnement d’une entreprise tout en préservant l’intégralité des avantages d’économies d’échelle). L’impression en 3D permet par exemple aux start-up et aux petites entreprises «d’imprimer» des prototypes, des moules et des produits extrêmement complexes dans divers matériaux, sans outillage ni coût de réglage.
De même, l’informatique dématérialisée (cloud) donne aux petites entreprises des TI des possibilités qui n’étaient précédemment réservées qu’aux grandes entreprises – ainsi qu’un ensemble croissant de services administratifs – à bon marché. C’est un développement inopportun pour les fournisseurs de logiciels dont le modèle économique est fondé sur un principe de licences et des frais annuels de maintenance, et non sur l’usage de l’électricité. En effet, de nombreuses sociétés dans presque tous les domaines sont vulnérables, dans la mesure où les start-up sont mieux équipées, plus compétitives et capables, comme leurs aînées, d’atteindre les clients et les utilisateurs partout dans le monde.
De plus, les technologies perturbatrices entraîneront un basculement de valeur entre les secteurs économiques, comme ce fut le cas lorsque la télévision prit le pas sur la radio ou, plus récemment, lorsque les médias en ligne ont pris le dessus sur la presse écrite. Les entreprises dans tous les secteurs doivent désormais investir dans la compréhension de ces nouvelles technologies de manière à être préparées à saisir les opportunités ou à pouvoir rapidement être en mesure de se défendre efficacement.
En effet, les PDG et les cadres dirigeants doivent devenir des technologues, ou du moins être en mesure de se débrouiller avec ces technologies, et évaluer constamment comment ces innovations affecteront le statu quo, et plus spécifiquement la mutualisation des profits. Mais en réfléchissant aux stratégies pertinentes, les dirigeants d’entreprise doivent prendre conscience que le potentiel économique de cette douzaine perturbatrice n’est que cela – un potentiel. Plutôt que de partir du principe que la valeur générée leur revient, les patrons doivent développer des modèles économiques qui monétisent le potentiel de ces technologies et faire en sorte d’éviter que cette valeur ne leur échappe au profit des concurrents ou d’acteurs dans d’autres secteurs qui seront à leur tour de mieux en mieux capables de participer – souvent plus efficacement et avec moins de contraintes à terme –, tous secteurs confondus.
L’expérience montre que les sociétés qui développent des modèles économiques innovants peuvent gagner. Google, par exemple, continue de proposer son moteur de recherche et d’autres services en ligne gratuitement, tout en utilisant ces fils de recherche et d’autres données comportementales pour vendre de la publicité ciblée – un modèle qui s’est avéré extrêmement profitable. Le genre de modèles économiques «multi-facettes» fait aussi son apparition dans d’autres secteurs, et les entreprises utilisent des modèles d’analyse de méta-données pour développer des moyens de monétiser l’information qu’elles collecteraient de toute manière.
Les consommateurs devraient récolter les fruits de ces technologies perturbatrices, mais les employés et les sociétés ne peuvent rien prendre pour argent comptant. Les employés doivent accepter l’idée de la formation continue dans la mesure où leurs compétences de milieu de carrière s’amenuisent, tandis que les sociétés doivent anticiper et s’adapter aux évolutions rapides.
Les gouvernements doivent aussi se préparer à gérer les répercussions de ces technologies perturbatrices. Les politiques devront répondre à de nouvelles demandes dans les domaines de l’éducation et de la formation, et mettre en place des mécanismes efficaces pour réglementer, par exemple, les voitures automatiques ou l’utilisation des données génomiques pour développer des traitements personnalisés. Une économie fondée sur l’innovation exige des solutions innovantes.

Erik Brynjolfsson est professeur de management à la Sloan School of Management de MIT, directeur du MIT Center for Digital Business et chercheur associé au Bureau national de recherche économique. James Manyika dirige le McKinsey Global Institute. Andrew McAfee est maître de recherche et directeur adjoint du MIT Center for Digital Business.

Copyright: Project Syndicate, 2013.
www.project-syndicate.org
Vers la fin des années 90, par exemple, on pensait que les échanges B2B allaient devenir «l’appli massue» pour le commerce, et près de 1 500 d’entre eux ont été créés. La plupart ont depuis disparu, engloutissant des milliards de dollars d’investissements.Pour contribuer à contrer le battage médiatique qui entoure l’arrivée de presque toutes les technologies, le McKinsey...
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